L'emprise dans tous ses états



L’actualité ne manque pas d’exemples de phénomènes d’emprise, sous toutes ses formes, dans tous les milieux. Dans ces relations, la vie mentale de la victime est réduite à néant, comme anéantie, annihilée. L’emprise psychologique s’observe dans toutes les formes de relations humaines. Privées et sociales. Ainsi sont concernées la famille, la vie relationnelle et affective (amour, amitié), mais aussi la vie sociale : l’école, la sphère professionnelle, religieuse, politique, toutes les activités humaines, la santé (physique et psychique). Ce sont des domaines très vastes, où l’emprise est présente à des degrés variables. S’inscrivant dans la durée, elle constitue toujours une « effraction psychique » selon les psychanalystes. C’est un rapport asymétrique toxique de type dominant/dominé, masqué par différentes sortes de manipulations, des plus « douces » aux plus violentes, de stratégies perverses plus ou moins subtiles. Elle constitue une tentative, parfois réussie, de meurtre psychique.

Définition de l’emprise
Emprise (du latin prehendere : prendre, saisir) : « envahissement », « mainmise, domination exercée par une personne sur une ou plusieurs autres, qui a pour résultat qu’elle s’empare de son esprit ou de sa volonté ». « Une forme de domination morale, intellectuelle invisible dans laquelle la victime ne se rend pas compte du processus de domination mis en place 2. »

Synonymes : ascendant, joug, empire, autorité, pouvoir, puissance, dictature, supériorité, influence, séduction, pression, empiétement, appropriation, usurpation 3.
J’utiliserai parfois les termes « empreneur » ou « empriseur », « empris » ou « emprisé » pour désigner les prédateurs et leurs victimes.

L’emprise érode l’estime de soi, la confiance en soi et en l’autre, les fondements de l’identité. La proie des prédateurs finit par ne plus savoir qui elle est vraiment, ses repères ont disparu. Elle peut vivre un état de stress post-trauma- tique sur de longues années, choquée, sidérée, confuse. Elle mettra du temps à en sortir.

L’emprise s’apparente à une attaque du psychisme d’autrui qui devient dépendant de son conquérant, prédateur ou persécuteur qui parvient à persuader sa victime qu’il lui est supérieur. Bien pire, sa proie lui doit en général une allégeance inconditionnelle. Cette mainmise pervertit toute relation. Enfants, adultes : les victimes sont de tout âge, des deux sexes, toutes classes sociales confondues. Tout comme les prédateurs (qui peuvent tout aussi bien être des prédatrices, la lecture de ces pages étant au masculin comme au féminin).

Création d’un délit De violence psychologique
Le délit de violence psychologique a été créé par la loi du 9 juillet 2010 : peuvent désormais être punis les « agissements ou les paroles répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’entraîner une altération de sa santé physique ou mentale4 ». Le problème résidant dans la difficulté à prouver l’existence de cette violence psychologique. D’autant plus que les prédateurs sont d’excellents manipulateurs, maîtrisant toutes les arcanes d’une communication perverse. Ce délit est puni de trois ans (au maximum) d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

 Émission « Violences conjugales – Au nom des femmes », France 5, 24 novembre 2015.

Les prises de conscience des victimes sont généralement tardives tant l’influence toxique évolue de façon souvent sournoise, est si pénible à reconnaître et à admettre. Se croire apprécié (dans son métier ou tout autre contexte), aimé, puis s’apercevoir que l’on n’est qu’un jouet entre les mains d’un marionnettiste est d’une grande violence. C’est l’idée même de soi qui s’effondre, cette colonne vertébrale qui nous soutient. S’ensuivent honte et désillusions, humiliation et incompréhension. Colère, sentiment d’impuissance et culpabilité. Haine et dégoût de soi. Dépression parfois. Dans les cas extrêmes, le suicide ou le meurtre est parfois une délivrance après des années d’enfer.

L’EMPRISE EN FAMILLE
La violence en famille concerne les enfants, les partenaires d’un couple, tous ses membres, y compris les « anciens », qu’il s’agisse de maltraitance psychologique et/ou physique (les abus émotionnels précédant souvent cette dernière), et/ ou sexuelle. Les répercussions sur les victimes apparaissent plus ou moins rapidement, souvent dans un isolement affectif et/ou social qui entraîne un sentiment d’impuissance croissant.

À 45 ans, Marie est encore sous l’emprise des critiques de son père qui, durant vingt ans, lui disait constamment qu’elle n’en « faisait jamais assez ». Paul, sans cesse dévalorisé et humilié par sa mère, doute de ses facultés mentales, à 62 ans. L’enfance est profondément marquée par l’empreinte parentale. La littérature est également riche en exemples, notamment chez Delphine de Vigan :
« À mesure que ses enfants grandissaient, Georges [son grand- père] se laissait aller à des railleries de plus en plus dures. Boutons d’acné, empourprements et regards fuyants alimentaient ses diatribes. Georges avait la métaphore assassine et rien ne lui échappait. Vêtements, attitudes, accessoires étaient passés au crible, analysés, conspués. Certains soirs, la moque- rie confinait au lynchage. Car Georges, toujours, jouissait de la dernière frappe, du dernier mot 5. »
Le sentiment d’identité, la personnalité, sont modelés, conditionnés par ces longues années d’enfance et d’adolescence. Les parents persécuteurs sont des parents nuisibles, voire toxiques. Ils ne sont pas seulement imparfaits : tous le sont, avec la meilleure bonne volonté du monde. Mais avec l’emprise parentale, il est question d’une véritable maltraitance, méconnue car vécue sans témoins extérieurs. Elle entraîne des « lésions de l’intégrité psychique de l’enfant, lésions qui restent longtemps invisibles 6 ».

Le syndrome de münchhausen par procuration (smpp)
Ce syndrome est une maltraitance : une mère dysfonctionnelle est convaincue que son enfant est souffrant et lui fait subir un nombre incalculable de traitements inutiles, le rendant vraiment malade, parfois gravement, pour attirer l’attention sur elle. Pendant plus de quinze ans, Delphine Paquereau a subi la folie destructrice de sa mère 7. La « rescapée » de 33 ans raconte dans un livre comment sa mère a manipulé son entourage, y compris médical, pour en faire une enfant souffrante. Elle est allée jusqu’à lui faire retirer un rein. La reconstruction est difficile et pour ce faire, Delphine Paquereau entame une psychanalyse au cours de laquelle elle remonte le fil d’une vie rythmée par des rendez-vous médicaux incalculables et une douzaine d’opérations chirurgicales injustifiées. Elle comprend a posteriori pourquoi sa mère la frappait violemment au niveau du rein, « pour mon bien, disait-elle. Pour que les médecins voient vraiment où j’avais mal ». Pour duper les médecins, sa mère falsifiait de nombreuses analyses médicales. Cette mère, qui allait mal, développait aussi des connaissances médicales parfois supérieures à celles de son généraliste. Les médecins se faisaient manipuler. « Ils n’ont pas appris à se méfier des parents. » « Elle m’aimait tellement qu’elle faisait tout ça pour me garder. Je m’en suis rendu compte quand j’ai rencontré mon mari en 2000. Elle a tout fait pour que je me sépare de lui. »

Les mauvais traitements sur de longues années sont à l’origine de graves problèmes psychologiques et physiques. La romancière Marie Cardinal écrivait que « l’enfance est lente, et que les émotions ont tout le temps de s’y graver, comme des poinçons ». Pour affirmer leur domination, des parents défaillants, ignorant tout du psychisme d’un enfant (ils croient savoir ou ne veulent rien savoir du tout), s’imposent de diverses façons à leur progéniture dans tous les domaines de la vie, lui refusant le droit d’exprimer sa propre personnalité. Ils restent focalisés sur une totale obéissance (scolarité, performances sportives ou artistiques), ne recherchant que le pouvoir et leur propre valorisation. L’enfant est empêché de vivre « normalement » son enfance, de rêver, d’être insouciant. Il vit dans la peur de ne pas bien tenir son rôle, contraint à se suradapter. « Tu fais trop de bruit, tu ne vois pas que tu nous déranges ? », « Non, je ne veux pas jouer avec toi, tu m’embêtes », « Tu n’as rien à faire ? Arrête de rêver ! », « Non, ne va pas jouer, tu vas te salir ! », « Arrête de poser des questions », « Tu n’es qu’une petite morveuse de 12 ans, tais-toi ! », « Tu resteras devant ton assiette tant que tu n’auras pas tout mangé », etc.

2 Dictionnaire de l’Académie française, 8e édition, 1932-35.
3 Grand Dictionnaire des synonymes et contraires, Larousse, 2004.

 

Sylvie Tenenbaum


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Se libérer de l'emprise émotionnelle