Harcèlement moral : cerner le conjoint ou le parent à personnalité perverse

     
Les personnalités perverses sont des sujets toxiques qui menacent l’équilibre et son entourage. L’environnement familial, au lieu d’aider un jeune à se construire, débouche alors sur la destruction et la dépersonnalisation. De nombreux individus y subissent des violences psychologiques et physiques, causées par un parent au comportement autoritaire et tyrannique. Quels sont donc les signes qui aident à cerner ces personnalités ? Identifions les « parents terribles » ou encore les partenaires qui ne peuvent engager des émotions ou des sentiments positifs dans le couple ou la famille. Rappelons, au passage, que le terme « pervers » désigne seulement, dans le dictionnaire, celui « qui est disposé à faire intentionnellement le mal ».

Ange au soleil, diable à l’abri des regards...
Cet être offre une double face : il semble souvent, vu de l’extérieur, aimable, intéressant, ouvert, apparemment irréprochable. Il serait sans défaut, donnant l’impression d’être à l’écoute de ses enfants, de savoir dialoguer : « Devant nos amis, il avait toujours un mot agréable pour nos enfants, il les regardait avec bienveillance, il semblait offrir l’image du père idéal » affirme Hélène, qui a connu les douleurs du harcèlement moral dans sa famille. Ce parent toxique apparaît, en effet, comme un modèle, aux yeux des autres, amis et familiers. En dehors du cadre familial intime, il se montre à son avantage : personne ne pourrait penser à quel point il est différent, dans l’antre où il sévit. Il sait avancer masqué, sorte de « Dr Jekyll et Mr Hyde », comme si deux personnes l’habitaient : celle du dehors, qui séduit, et celle du dedans, qui détruit. « J’avais l’impression de vivre avec deux hommes différents : l’un qui fascinait tout le monde par sa personnalité aimable et séduisante, et l’autre, qui se transformait en tyran brutal et sans sentiment », analyse Anna, engagée dans un soutien thérapeutique qui l’a reconstruite. Double identité, donc : ange au soleil, diable à l’abri des regards. Dans l’intimité, ses attitudes sont contradictoires. Il ne recule pas devant le mensonge, le chantage, les menaces ; silences obstinés, culpabilisation permanente, calomnie, dénigrement sont aussi au menu quotidien. Incapable de reconnaître ses torts, velléitaire, insensible à autrui, en rupture d’émotion, il offre une carapace luisante et sans prise.

Posons aussi que ses« victimes » offrent une fragilité dans laquelle il s’engage. Rien n’est hasard. La future proie sera attirée par la « beauté du diable », par manque de confiance et d’estime pour elle-même, ayant souvent souffert d’un manque d’affection et de reconnaissance. Pleine de créativité, d’énergie, elle est donc capable de s’investir et de donner, jusqu’au sacrifice d’elle-même, aveuglément : elle tombera vite dans les filets de la personne toxique opportuniste, offrant des mirages... La rencontre se fait souvent à une époque où la future proie connaît des moments difficiles : rupture, temps de deuil, déprime plus ou moins masquée, entamant la lucidité. Le pervers offre alors son plus beau visage, laissant croire qu’il sera l’homme ou la femme de la situation. Et l’emprise est là. Les filets se referment. Bénédicte témoigne : « Je me souviens de l’avoir regardé comme s’il s’agissait d’un rayon de soleil dans ma vie : aimable, attentionné, agréable à la conversation, prêt à avancer vite dans la relation. Je sortais d’une relation douloureuse, après une adolescence chaotique, dans une famille « sauve qui peut... J’ai payé très cher, ensuite, cet engagement avec un homme en fait fermé aux sentiments. ».

Quand la peur du vide le prend à la gorge
L’être pervers ne fait qu’observer et s’observer, car il doute de lui-même, sans le savoir. Il va donc s’en prendre à l’autre, pour l’exploiter, et le briser. Il est alors impossible de développer des sentiments filiaux ou amoureux profonds: ses comportements sont imprévisibles et ses attitudes contradictoires. Il essaie, en même temps, de persuader le conjoint ou l’enfant que le lien qui les relie est irremplaçable. Même si, dans la relation familiale, il peut, à tout moment, projeter ses tensions et ses souffrances rentrées, non maîtrisées. Muré en lui-même, le pervers ne peut pas aimer, au sens de pouvoir se donner, aux autres et à la vie : il doute trop d’être une personne. Il ne peut donc pas se relier profondément à un enfant ou à un conjoint. Il ne voit pas les siens comme une personne : les autres lui renvoient juste un reflet de lui-même. Ils sont là pour le rassurer, le revaloriser, et ils sont utilisés dans ce but. « J’avais l’impression de ne pas exister pour moi, vis-à-vis de papa : je devais toujours vivre à côté de lui, sans rien partager : il n’avait jamais de temps pour moi, et n’exprimait jamais ses sentiments », évoque Alain, un homme de trente ans, passé par un travail thérapeutique pour casser l’emprise paternelle perverse.

Le parent tyrannique se contemple, en regardant l’autre comme dans un miroir : il est donc incapable de considérer l’enfant comme une personne ayant un désir personnel. « Mon époux ne communiquait jamais en profondeur avec son fils et sa fille », rapporte Martine. Il crée peu de liens avec les mots, dans l’intimité familiale. Il vit ainsi dans un monde parallèle, à côté des autres, comme enfermé : par exemple, il consacre tout son temps aux écrans, télévision et ordinateur. Il sera redoutable, si on lui enlève ces prothèses lui permettant de se rassurer : en effet, la relation humaine et familiale lui fait peur. Une peur panique. Alors, il échappe à son vide, par le silence, ou, parfois, par des discours interminables, abstraits : il ne sait pas mettre de mots sur les émotions. Pour se sentir exister, tel un vampire, il va donc se nourrir du fort potentiel de vie de ses proches, pour se remplir. Il dévore l’intimité de l’autre. On imagine les conséquences, sur cet être en formation qu’est l’enfant. « Elle était comme un être sans cœur, si brillante, spirituelle à l’extérieur, mais si fermée, inaccessible, à la maison. Il y avait comme un mur, entre elle et moi », explique Marie, une femme de quarante ans, à propos de sa mère. Foedora, la « femme sans cœur » imperméable aux sentiments, de La peau de chagrin, roman de Balzac, n’est pas loin...

L’enfant : un être nié, insupportable
L’action d’une personne toxique sur un enfant est destructrice: comme elle est elle-même immature, elle ne peut que prendre, sans accueillir un être différent, ni lui faire une place. Que de jeunes sans repères, dévalorisés, souvent dépressifs, et qui parfois enchaînent maladie sur maladie, pour exprimer un malaise profond, ils sont tellement manipulés, non respectés en tant que personnes. Ceux qui ont vécu avec des parents pervers, s’ils ne sont pas devenus des clones, disent avoir été privés de leur énergie vitale, de ce qui les définissait personnellement. L’angoisse est alors très forte, lorsqu’ils réalisent qu’ils ont été un jouet entre les mains d’un père ou d’une mère : leur souffrance est extrême. Dans le roman d’Hervé Bazin Vipère au poing, Jean Rezeau criera longtemps sa colère vive et sa haine tenace, vis-à-vis de Folcoche, sa belle-mère, qui l’a maltraité, et nié humainement, ainsi que ses frères. Avoir subi l’intolérable, ne pas avoir eu d’affection : une enfance empoisonnée laisse des traces, longtemps.

Comment apprendre alors à aimer, quand la confiance a été autant empêchée ? Ces adolescents devenus adultes ont une urgence : dire leur souffrance de ne pas avoir été écoutés, aimés, pris en considération. Dire aussi leur sentiment d’avoir été un instrument, aux mains du parent toxique. Agnès témoigne : « Mon père a fait de moi son faire-valoir, il ne fallait pas que je pense ou sois moi-même, et je devais répondre, à la virgule près, au projet qu’il avait pour moi. Je me suis épuisée. Du jour où j’ai voulu construire ma vie de femme, avec un homme qui ne lui plaisait pas, notre relation est devenue ingérable : chantage, violence verbale, colère. J’étais devenue son souffre-douleur.”

Échapper au rendez-vous avec lui- même et avec les autres
éviter la peur d’être placé face au vide : telle est la politique du pervers. Autrement dit, il s’arrange pour rester au bord de la piscine, sans se donner vraiment à la vie. Il joue à aimer, il joue à vivre, tandis que la victime vit sa vie. Feindre de s’engager, retenir sans donner, consolider, en cas d’urgence, une relation détériorée : c’est pour lui le seul moyen d’éviter son vide. Il n’assume évidemment pas ses responsabilités dans la famille ; il n’est, par exemple, jamais là où on l’attend, dans le cadre d’une procédure de divorce : lui est la victime, les autres seront considérés comme des monstres, responsables de la difficulté relationnelle. Il agira ainsi avec ses enfants : accuser l’autre, c’est être le vainqueur. En effet, comme le parent toxique est incapable de s’engager, et d’assumer ses erreurs, le mauvais parent, ce sera toujours l’autre. Il le clamera aux oreilles de tous, y compris des enfants. Ainsi, Isabelle évoque son passé : « Ma fille a mis du temps à comprendre que son père était un manipulateur : il passait son temps à me dénigrer, à m’accuser de tous les maux, à se faire passer pour victime. De sourires enjôleurs en paroles flatteuses, il savait la faire douter, la persuader. Pourtant, quand elle avait besoin de son père, il était aux abonnés absents, et avait toujours une bonne raison pour se justifier à ses yeux. »

En cas de divorce, si le juge est lucide, sa personnalité réelle se fait jour ; le pervers perd le contrôle et décharge de l’agressivité, par des réactions pulsionnelles : il échappe ainsi à la dépression. La violence est aussi au rendez-vous, face à un partenaire ayant trop de sollicitude et désireux de réparer. Malheur à celui, enfant compris, qui montre son indépendance et sa quête d’autonomie : il sera rejeté, considéré comme hostile. Enfin, la recherche de marques de reconnaissance ou d’affection fait naître une haine répulsive et des réactions sadiques, de la part du conjoint nocif : la perspective de donner quoi que ce soit déclenche une peur panique. En fait, cet individu, handicapé de l’amour, est poussé à détruire celui qui, dans la relation familiale, souhaite une relation affective réciproque. Cette peur devient une frayeur qui le rend dangereux, surtout lorsque le conjoint et l’enfant représentent une menace, du fait de leurs qualités. Tant le pervers doute de lui-même. Il se comporte ainsi en conquérant, construisant ses relations familiales sur le principe de la compétition et de la séduction. On voit combien c’est dangereux pour la construction d’un enfant, d’un adolescent.

Un « vampire » pour ses proches vidés de leur substance
Dès lors, il vient piller les provisions énergétiques de son entourage proche. Les enfants sont manipulés en fonction du besoin, de la pulsion de Dracula. Une caresse, un sourire, une parole flatteuse le font retomber sur ses pieds, après qu’il les aura trompés, de façon souvent imprévisible. L’envie le fait agir, pour posséder, s’approprier l’autre : telle mère exigera de son enfant qu’il soit à son service, qu’il accomplisse chacune de ses volontés, sans tenir compte de sa vie. Il sera un pion sur un échiquier. « J’ai été au garde-à-vous, toute mon adolescence, pour satisfaire les envies, les caprices de ma mère. Il n’y en avait que pour elle. Plus tard, le téléphone s’est mis à sonner, sans répit, dans mon intimité : elle exigeait que je sois à sa disposition, sans se soucier de ma vie, de mes obligations professionnelles ou familiales », évoque Ameline. Elle ressemble à la genitrix du roman de François Mauriac qui mange à belles dents, lentement, l’énergie de sa belle-fille, pour ne pas lui céder son fils...

Cette vitalité et cette capacité à inventer sa vie fascinent et rendent dangereux le parent pervers : les réalisations de son conjoint, de son enfant, le renvoient à ses ratages. « Mon père a nié toutes mes réussites scolaires durant mes études. Il n’a su que me féliciter d’un travail temporaire d’étudiant, sans intérêt aucun. Il a juste mangé mon énergie par ses comportements contradictoires, aimable un jour, distant le suivant, colérique le troisième », laisse entendre Juliette, lors d’un soutien thérapeutique. « Il manie la dialectique du bouquet de fleurs et du hachoir » précise Johann, une autre victime de ces tyrans domestiques. Les réussites personnelles devront donc être tues, sous peine d’essuyer une réaction de silence ou de dureté : cela renvoie le parent pervers à son sentiment d’échec rentré ; il sautera sur le prétexte de la conjoncture économique, exprimera sa vision maladivement noire pour tuer les élans, décourager les désirs de construction de l’adolescent ou du partenaire.

Les membres de la famille – conjoint, frère ou sœur – sur qui cette énergie destructrice a été projetée sont des proies à dépecer. Les juges connaissent ces sinistres histoires d’argent ou de biens matériels détournés, de vols d’objets profitant au pervers : c’est fréquent, lors des procédures de divorce. Comme la tactique revient à inverser les rôles, en cas de séparation, il feint d’être celui qui est abandonné : « La réparation matérielle était pour lui comme un dû... ». C’est ce que souligne Marie, reconstruite après un divorce. Demander une pension ou une prestation compensatoire équivaut alors à une déclaration de guerre. Cette demande est un autre argument destiné à prouver sa position de victime. Enfin, il suffit souvent au conjoint pervers de séduire un autre partenaire qui devra le consoler, avant que celui-ci ne devienne la proie à dépouiller. Dans sa vie familiale et sociale, c’est donc un prédateur, au masculin comme au féminin.


                                                                                  Yvette Poncet-Bonissol  

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