Être créatif avec la pensée chinoise, qu’est-ce à dire ?



Qu’est-ce que la créativité ? Comment ça marche ? Pourquoi utiliser un modèle chinois du monde pour faire de la créativité ?


Le voyage entrepris dans le monde de la créativité, depuis que j’ai eu la chance, à vingt ans, d’étudier cette discipline à l’Université d’État de Buffalo, m’a fait aborder plusieurs continents bien différents. Ces continents ou démarches créatives sont souvent traversés par des tensions, des oppositions, des paradoxes dont la résolution par conciliation des contraires (le « et » plus que le « ou ») est toujours intéressante...

Des méthodes et des Hommes...
La créativité a d’abord été modélisée et pratiquée au travers d’approches basées sur le groupe et l’énergie collective. Ces méthodes sont nombreuses, et anciennes : brainstorming1, brainwriting 2, méthodes des chapeaux1, analogies, associations, bissociations2, combinaisons... Aujourd’hui, parce qu’elles sont partiellement connues, elles ne sont pas toujours bien mises en œuvre : il arrive qu’elles soient réduites à l’une de leurs étapes et qu’elles deviennent ainsi aussi caricaturales qu’absurdes et inopérantes. Et pourtant...

Ensuite, sont venues des approches individuelles permettant, donc, de faire de la créativité en solitaire : créalpha, animaux créatifs3, utilisation des cartes mentales, etc.

Au cœur de ces démarches se sont croisées des approches privi- légiant explicitement le conscient (méthodes cartésiennes ou déductives, posant les problèmes et les résolvant étape par étape) et d’autres largement basées sur la connaissance de l’inconscient et des chemins pour y accéder (méthodes heuristiques, hypnose ericksonienne, utilisation des symboles comme ceux présents dans les jeux de Tarot, etc.

Ces méthodes ont aussi gagné en efficacité par la connaissance de « métaprogrammes » présents dans les cultures et les réflexes des personnes engagées dans l’effort créatif : la culture latine est « mismatcheuse », elle privilégie la critique par la négative (ce qui manque, ce qui ne va pas, ce qui ne marche pas, ce qui n’est pas possible) quand la culture anglo-saxonne est « matcheuse », elle privilégie les constats de succès (ce qui est intéressant dans la question, ce que cela permettrait de faire en plus, ce qui est magnifique dans l’idée évoquée). Concrètement, pour travailler la créativité avec des Français, on gagnera en efficacité à placer les participants dans une posture critique (« anticréativité » : « donnez-moi d’abord des réponses absolument inefficaces à ce problème et nous réfléchirons ensuite au pourquoi de leur inefficacité. En retournant ces critères, nous produirons de l’efficacité »). Cela rend, concrètement, les latins particulièrement efficaces dans la créativité d’amélioration et dans les phases de convergence (les moments où, dans toute méthode créative, nous devons choisir, mettre en œuvre, réduire, rendre possible, etc.). Les anglo-saxons, quant à eux, ont une immense puissance de production d’idées dans la phase divergente (lorsque le jugement est à proscrire pour oser produire et lorsque la quantité est visée). Il est ainsi souvent plus simple d’utiliser les outils heuristiques avec le monde anglo-saxon.

Toutes ces démarches, si on en respecte les étapes, ont leur intérêt, leur domaine de pertinence et d’indication. D’ailleurs, dans le domaine des méthodes, il convient d’être un pratiquant plus qu’un croyant : le pragmatisme s’impose. Si une méthode fonctionne et permet d’être créatif... alors c’est la bonne ! Encore faut-il la trouver. Car la bonne méthode dépend du créatif (de son implication dans la question à résoudre, de son histoire, de ses capacités, de ses croyances, de son humeur, etc.) et... de la situation (le degré de complexité, les tenants et les aboutissants, les autres acteurs, etc.). La créativité se doit donc d’être « situationnelle », comme on parle de « management situationnel ». Dans tous les cas, il faut en plus se donner la permission d’être créatif.

Tout le monde est créatif  !
Pour nous convaincre du fait que la créativité appartient à tout le monde, revenons-en à l’être créatif surdoué que nous avons tous été. Chaque enfant est en effet d’abord un être vivant confronté en permanence à de l’inédit, à de l’inconnu, à de « l’inappris ». Plus il est jeune et plus il est en permanence en situation d’être créatif et innovant.

En sciences de la complexité (« logiques du vivant »), ces expériences où l’on agit face à de l’inconnu s’appellent « éco-organisation » : notre environnement nous « convoque » à résoudre quelque chose que nous n’avions pas prévu ou pas encore expérimenté. Ces moments sont coûteux en énergie et en temps : nous n’aimons pas particulièrement devoir les traverser (sauf exception !).

D’ailleurs, pour ne pas avoir à « s’éco-organiser » en permanence, le vivant enregistre ses expériences : l’enfant apprend. Et ce faisant, il apprend à refaire. Il s’organise. Ainsi, la fois suivante, il n’est plus confronté à de l’inconnu : il peut reproduire ce qu’il a appris ou découvert. Le vivant tend spontanément à se reorganiser parce que cette reorganisation est efficace et moins coûteuse en énergie et en temps.

L’équilibre dynamique entre reproduire ce qu’on sait déjà (la « reorganisation ») et inventer une réponse nouvelle (« écorganisation ») est une caractéristique (et pour certains auteurs, une définition1) du vivant. On appelle cet équilibre dynamique « l’auto-organisation ». Encore une fois, chaque être vivant doit régulière- ment « s’éco-organiser » : la créativité est donc une capacité, une compétence présente en chacun de nous.

L’usage que nous faisons de la créativité peut, en revanche, nous distinguer. Plus nous utilisons le « muscle créatif », plus nous sommes habitués à nous « éco-organiser » et plus ce travail est facile. Mais nos croyances (par exemple, « moi, je ne suis pas créatif ! ») peuvent bloquer notre accès à cette part innovante de nous-mêmes. Accéder à nos propres compétences créatives, en réalité immenses, dépend donc largement de notre expérience et de nos croyances.

Du coup, devant toutes les situations que nous avons à vivre, nous cherchons, par réflexe, dans notre « banque de données » interne la réponse déjà existante et, d’après notre expérience, la mieux appropriée. Spontanément, nous nous « ré-organisons ». Et la plupart du temps, nous avons raison d’agir ainsi : ça marche. D’ailleurs l’expé- rience est, en ce sens, une banque de données excessivement vaste et précieuse où beaucoup de choses ont déjà été modélisées.

Mais lorsque cette attitude spontanée n’aboutit pas, il va nous falloir être créatifs et nous « éco-organiser ». L’échec de nos stratégies, habituelles, éprouvées et souvent remarquables, signale qu’il va nous falloir nous « éco-organiser » et, donc, inventer un chemin nouveau pour aller « où nous ne savons pas ».

Voilà pourquoi nos échecs sont à regarder comme porteurs de possibles. Ils sont d’abord une information : nous avons besoin de neuf. En les dépassant, par le processus créatif, nous allons les transformer en ressources.

 Innovation ou créativité ?
De nombreux ouvrages sur le sujet différencient la créativité (définie par exemple comme une capacité individuelle) de l’innovation (définie alors comme une dynamique au sein d’un collectif : couple, équipe projet, entreprise, etc.).

Je propose, dans cette logique, de considérer que la créativité est l’ensemble des actions que nous menons pour résoudre un problème ou inventer quelque chose de nouveau (et d’utile). L’innovation est alors l’ensemble des démarches à conduire pour que ces solutions ou ces idées nouvelles existent réellement et passent de « la puissance »
à « l’acte ».

Une idée nouvelle est par essence fragile : elle vient perturber la cohérence de l’existant par ce qu’elle apporte ou par ce qu’elle résout. Fruit de la créativité, une idée nouvelle est ainsi à considérer comme un prématuré : il faut en prendre soin sans quoi elle ne survivra pas. L’innovation, ce sont les parents, l’équipe soignante... et la couveuse qui vont permettre au bébé de vivre !

Une méthode créative va donc proposer, dans cet ordre, créa- tivité puis innovation. Il existe en effet un écueil excessivement banal et dramatique pour la créativité en Occident : lorsqu’un Occidental « comprend », il considère qu’il a « fait » ou plus exac- tement qu’il n’a plus besoin de « faire ». Il a « compris » et « la compréhension», pour lui, englobe, dépasse, présuppose et trans- cende « le faire ». C’est évidemment une erreur : lorsque la phase de créativité est terminée, notre attention doit au contraire redou- bler. L’innovation pourrait bien être oubliée, pour cause d’inutilité supposée : on a compris, « donc » plus besoin de faire ; l’intendance suivra. Typiquement, avant de faire un exercice (ou de suivre une méthode !), nous avons besoin de savoir pourquoi, de comprendre chacune des étapes. On aura peut-être moins de mal dans d’autres cultures à pratiquer un exercice dans sa totalité pour en décou- vrir et recueillir de manière pragmatique les fruits. « Peu de gens savent qu’au moment même où les Chinois ont inventé la boussole, les Grecs de l’Antiquité avaient observé le phénomène d’orien- tation de l’aiguille vers le nord. Mais les Grecs n’avaient pas été capables d’en analyser et d’en comprendre les causes. Aussi, ont-ils laissé cette découverte de côté. Les Chinois, eux, n’ont même pas cherché à comprendre pourquoi : ils ont vu que cela marchait et ont décidé de l’utiliser. C’est ainsi qu’ils ont inventé la boussole et son usage pour la navigation1 ». Que ceux qui ont des oreilles entendent !

Les étapes d’un processus créatif ou comment être créatif 2 ?
1. La première étape de toute démarche créative est pragmatique : il s’agit de vérifier qu’on a bien intérêt (dans tous les sens du mot) à résoudre le problème. Qu’a-t-on à perdre et à gagner à résoudre ou à ne pas résoudre la question ? Cela va fonder notre motivation et nous permettra d’aller au bout d’un processus créatif qui va être exigeant. Cela va nous obliger à considérer le problème dans un ensemble plus vaste et à répondre, entre autre, à la question : « que se passerait-il si je ne changeais rien ? ». Parfois, d’ailleurs, la démarche créative s’arrête là...

2. On l’a compris au travers du modèle des logiques du vivant (ré-, éco- et auto-organisation) : la créativité n’est pas notre tout premier réflexe. Face à une difficulté, quel que soit son champ d’application, personnel ou professionnel, nous utilisons nos anciens chemins, balisés et familiers. Si ces chemins se terminent en impasses, nous aurons besoin de les arpenter plusieurs fois avant d’être convaincus que, décidément, notre méthode spontanée n’aboutit pas. Nous devrons épuiser nos possibles avant de nous lancer dans la dynamique plus dérangeante de l’éco-organisation.

La deuxième étape d’un processus créatif consiste donc à analyser les causes des échecs de nos stratégies spontanées de résolution. Cela nous permettra de mettre à l’épreuve notre solution nouvelle en ayant des critères auxquels elle devra répondre. Un peu d’humour, pour prendre de la distance vis-à-vis de soi-même, de sa pratique et de la question, ne nuit pas, à ce stade...

Lorsque nous affrontons une situation problématique, lorsque nos stratégies habituelles sont en échec, la première (et sans doute la plus grande) difficulté va être de quitter notre perception de la situation. En effet, tant que nous appréhenderons le problème de la façon dont nous l’avons initialement appréhendé, nous réemprunterons les chemins habituels pour tenter de le résoudre... En vain ! Or, notre perception du problème est un mélange complexe et souvent profondément inconscient d’analyses et de ressentis : nos sens nous renseignent autant qu’ils nous trompent ; nos projections (pour le coup parfaitement inconscientes) s’avèrent terriblement contraignantes.


La troisième étape d’un processus créatif va donc consister en un retournement qui se traduira par une nouvelle façon de poser le problème : changer de point de vue (perception nouvelle), prendre en compte une notion qui ne l’était pas (analyse nouvelle), accepter de jouer un autre rôle (projection nouvelle), etc.

Dans cette étape, il va falloir faire des efforts car rien n’est plus difficile à changer qu’une perception (souvent solidement installée et « indiscutable »). Pour ce faire, il va falloir accepter des contraintes nouvelles et artificielles qui viendront s’ajouter aux contraintes intrinsèques du problème de départ : en ce sens, la carte XII du Tarot, le Pendu, est la carte du créatif. Le Pendu n’a pas tout oublié : son référentiel est toujours solidement présent. Mais il l’utilise autrement et, suspendu à l’envers, il perçoit les choses différemment. Comme le Pendu, il va nous falloir des contraintes pour nous forcer à quitter le cadre spontané, « naturel », évident et confortable de notre perception et de notre analyse. Nous devons donc considérer ces contraintes, non comme des passifs qui entravent, mais comme des actifs avec lesquels construire. À cette étape, oser emprunter des chemins nouveaux sera décisif.


Olivier Bérut                            
                                                                              

Si cet extrait vous a intéressé,
vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icone ci-dessous 

 Créativité et innovation avec les 5 éléments chinois