Deuil : accueillir le chagrin et renaître à la vie

En tant que psychothérapeute, addictologue et instructrice de Mindfulness depuis plus de trente ans, j’ai l’honneur d’accompagner ceux et celles qui traversent les épreuves de la vie, les souffrances du deuil et les ruptures des liens. J’ai très vite senti que cet accompagnement si spécial exigeait un engagement total du thérapeute dans son humanité, à partir de son cœur et de sa vulnérabilité, au plus proche de sa compassion. C’est pourquoi je me suis formée à différentes approches thérapeutiques intégratives (notamment auprès d’Elisabeth Kübler-Ross et de Jack Kornfield aux États-Unis), pour offrir le suivi le plus cohérent, chaleureux et rassurant à chaque endeuillé, en individuel, en groupe ou en centre de soins palliatifs.

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En tant que psychothérapeute, addictologue et instructrice de Mindfulness depuis plus de trente ans, j’ai l’honneur d’accompagner ceux et celles qui traversent les épreuves de la vie, les souffrances du deuil et les ruptures des liens. J’ai très vite senti que cet accompagnement si spécial exigeait un engagement total du thérapeute dans son humanité, à partir de son cœur et de sa vulnérabilité, au plus proche de sa compassion. C’est pourquoi je me suis formée à différentes approches thérapeutiques intégratives (notamment auprès d’Elisabeth Kübler-Ross et de Jack Kornfield aux États-Unis), pour offrir le suivi le plus cohérent, chaleureux et rassurant à chaque endeuillé, en individuel, en groupe ou en centre de soins palliatifs.

Je suis très honorée d’accompagner chacun d’entre vous dans cette épreuve, que j’espère pouvoir alléger au fil des chapitres du livre présenté en bas de page. Permettez-moi de vous tenir la main, au plus près de notre humanité commune puisque, depuis peu, j’ai rejoint l’immense « Peuple de ceux qui ont perdu un être cher ».

Tandis que je suis frappée par le deuil, tout personnel, de ma mère, je ne peux faire abstraction des événements qui se produisent à l’échelle de l’humanité. J’écris en effet ce livre au milieu de la tourmente d’une pandémie annoncée, la crise de la Covid-19.

Un tout petit virus couronné « coronavirus » a décidé de mettre nos sociétés à l’arrêt.
Peu à peu, nos quotidiens ont été rythmés par l’annonce du nombre de morts, impitoyable et lugubre, par l’obligation de ne pas quitter sa zone et de limiter tous les contacts humains, laissant les plus démunis seuls face à leur désarroi. Puis, à ce traumatisme du confinement sont venues se greffer l’inquiétude et l’incertitude, ravivant les douleurs et les peurs anciennes. Traumatisées dans leur chair par la violence et la brutalité de la perte d’un proche, de nombreuses personnes se sont senties perdues. Les repères, les rythmes du quotidien, les habitudes et, pire encore, tout le tissu relationnel ont été chamboulés.

Des parents, des amis, des proches sont peut-être restés plusieurs semaines dans un service de réanimation. Certains y sont morts, seuls, livrés au personnel soignant débordé et au bruit des machines. Sans personne à leurs côtés.

Il y aura, hélas, des centaines de témoignages poignants d’endeuillés, plongés dans des gouffres de détresse et souffrant de sentiment d’abandon. Cette situation est d’autant plus difficile qu’il faudra enterrer nos morts très rapidement, faire vite, sans se soucier de l’innommable arrachement et des conséquences dramatiques pour beaucoup de familles, également privées de cérémonies religieuses.

Au moment où j’écris ces lignes, les églises, les mosquées et les synagogues sont closes. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’on est privés d’obsèques.
Pour éviter la propagation du virus, les autorités ont en effet pris des décisions drastiques.

Les corps sont mis très rapidement dans un cercueil qu’on referme aussi vite. Impossible de faire la toilette du mort ni de pratiquer le moindre soin de conservation. On ne peut ni voir le corps, ni se recueillir à ses côtés. Les obsèques ne peuvent pas se tenir. Pendant cette épidémie, quelle que soit la cause du décès, aucune cérémonie sociale, religieuse ou laïque ne peut avoir lieu. Seulement vingt personnes peuvent entrer dans l’église, personnel des services funéraires compris. Pour une crémation, aucune cérémonie n’est possible. Seuls cinq membres de la famille sont autorisés à être présents dans le crématorium.

Et surtout, pour éviter aux proches du défunt d’entrer en contact physique, il n’y a plus aucun geste de réconfort, de tendresse, aucun bras pour accueillir notre chagrin, aucune épaule amie pour apaiser l’infinie tristesse. Pas de condoléances, ni sur registre ni de vive voix.

Durant cette crise, nos sociétés consuméristes ont cherché à évincer la mort, à la rendre invisible à un point inédit jusque-là, privant le processus du deuil de son sens, de sa délicatesse, de ses rites tellement nécessaires, au risque d’en faire un deuil difficile, voire compliqué.
Comme le rappelle Boris Cyrulnik : « Depuis que les êtres humains sont sur terre, ils font des sépultures, ils font des rituels du deuil. Toutes les cultures en ont, et là, avec cette pandémie, on sera obligé de ne plus en faire. Donc ça va provoquer des angoisses et de grands malaises parmi les survivants pendant les mois et les années qui suivent. » Les conséquences seront douloureuses et imprévisibles.

En effet, nous sommes confrontés à un événement majeur : être empêché d’enterrer nos morts ! C’est un renversement radical, comme un viol de notre humanité. Pour protéger les vivants, on ne rend pas hommage à nos morts, et on supprime les rituels qui permettent que les morts soient à leur place de morts et ne viennent pas « hanter » les vivants.

En observant comment cette pandémie transforme peu à peu nos vies, je constate que le processus et les étapes du deuil qui seront développés tout au long de ce livre s’appliquent également à ce que nous traversons face au coronavirus.

D’abord, le choc et le déni au début de la pandémie : « Non, ce n’est pas possible, c’est pas vrai ! » ; puis la colère qui monte face aux restrictions sanitaires : « On n’a pas le droit de sortir plus d’une heure et on est obligé de porter un masque » ; suivie par la phase de négociation : « Si je porte un masque et que je respecte les distanciations physiques, tout ira mieux et ce sera fini. » Ensuite vient la phase de tristesse : « Mes efforts ne servent à rien, il n’y a pas d’issue à cette crise, je ne vois pas la fin ! » Et, enfin, l’étape de l’acceptation : « Je vais finalement apprendre à vivre avec un masque, à remplir mon attestation, à me laver les mains vingt fois par jour. Je peux même accepter le télétravail et vivre sans contact à distance des gens. »

À nous d’inventer la phase de restructuration !

Alors, au milieu de l’incertitude et de la panique engendrées par ce virus de la Covid-19, on peut voir se profiler une bonne nouvelle. En effet, très souvent, une crise est aussi une opportunité (en chinois, la crise a le double sens de « danger, risque » et d’« opportunité ») et peut nous éviter le pire1. La crise agit alors comme un révélateur de l’état de la société dans laquelle elle surgit et permet de nombreuses prises de conscience des progrès scientifiques, techniques, et même des améliorations significatives dans plusieurs domaines. Ainsi, cette pandémie qui vient chambouler radicalement notre rapport à la mort, à la vie et à la santé nous oblige à leur dérouler le tapis rouge et à les remettre sur le devant de la scène. Espérons que ce face-à-face avec le réel, parfois douloureux, nous incite à choisir le sens et la place que nous voulons vraiment leur accorder.

                                                                                   Martine Spiesser

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