Des femmes sur le divan...

« Est-il normal d’avoir des rêves si violents, si obscènes ? Les autres sont-elles comme moi ? Ont-elles des pensées incongrues, inavouables ? Si violentes parfois ? Si peu morales... ? »

Des femmes viennent me voir, elles s’étendent sur mon divan et parlent. Je les écoute. Elles disent leurs doutes, leurs culpabilités, leurs envies – leurs peurs de ces envies –, leurs peurs des jouissances qu’elles éprouvent ou que leur corps réclame. Elles racontent leurs fantasmes, ou leur incapacité – croient-elles – à fantasmer. Elles s’interrogent :
« Est-il normal d’avoir des rêves si violents, si obscènes ? Les autres sont-elles comme moi ? Ont-elles des pensées incongrues, inavouables ? Si violentes parfois ? Si peu morales... ? »

Ou bien elles se demandent au contraire : « Pourquoi n’ai-je pas envie d’audaces nouvelles ? Pourquoi, lorsque mon amant me demande mes fantasmes, je ne trouve rien à lui dire ? Est-ce que je n’en ai pas ? Mon imaginaire serait-il frigide ? Et moi avec... ? Il paraît qu’il faut fantasmer, que c’est le signe d’une sexualité épanouie, alors pourquoi je ne fantasme pas ? Suis-je coincée... ? Et si je n’ai pas de fantasmes, dois-je obéir à ceux de mon partenaire... ? J’ai peur de le perdre si je ne coopère pas. Lui a des fantasmes et des besoins, il n’a pas à subir les conséquences de ma libido atrophiée... Que faire ? »

Et ces questions reviennent, posées par chacune de façon singulière, oscillant entre le « suis-je normale ? » et le « comment faut-il être ? ». Des questions qui interrogent le bon fonctionnement d’une femme, sa bonne façon d’imaginer et de vivre sa sexualité, sa bonne aptitude à fantasmer. Or, ce que je remarque toujours, venant de ces femmes et de leurs dires, c’est la référence à La Femme qui les aliène toutes. À l’aune de laquelle elles ne cessent de s’évaluer.

Plonger dans l’océan houleux – mais pas dangereux – des fantasmes féminins, c’est d’abord étriper le fantasme de La Femme. Un fantasme porté par les hommes, nourri par les femmes elles-mêmes, conforté par le « bon sens » et les médias. Fantasmer La Femme, c’est fantasmer ce que je dois être, moi, en tant que femme. Ce que je dois ressentir, quels doivent être mes désirs, leur fréquence et leur direction, comment je dois jouir, quelle en est la juste intensité.

Le fantasme de La Femme est un assemblage d’images de ce que je pense être la féminité : ce qu’on m’en a dit, ce que j’en ai compris, ce qui est censé la garantir, ce que je dois en montrer pour la démontrer. Des images comme autant de fantasmes amalgamés sous l’étiquette de La Femme, la « vraie Femme ». Et toute femme doute de l’être vraiment, femme, au regard de cette référence. Une référence trop figée pour refléter le vivant d’une femme.

Souvent, les fantasmes, lorsqu’ils sont vécus individuellement et confiés à l’écoute sans jugement du divan, dérogent à ce fantasme de La Femme. Ils le dérangent comme on le ferait d’un objet, toujours rangé au même endroit et sur la même étagère, dont on conteste soudain la place et que l’on déplace. Nos fantasmes, qu’ils soient ou non révélés, sont nos refus inconscients de nous ranger à la place de La Femme qui, depuis si longtemps, nous est assignée. Une place à laquelle je ne peux me tenir, quels que soient mes efforts pour m’y inscrire.

Alors oui, les femmes fantasment. Toutes les femmes fantasment, qu’elles en aient ou non conscience. Mais pour repérer ces fantasmes, pour que chaque femme reconnaisse ses propres « productions » fantasmatiques, il nous faudra d’abord dégommer ici les lieux communs sur leur « nature » féminine. Car si les femmes fantasment, si la plupart de leurs fantasmes, lorsqu’ils émergent au conscient, se ressemblent, ils sont plus fous, plus larges, plus cruels aussi que les quelques fantasmes répertoriés dans la plupart des magazines. Un répertoire qui, encore une fois, les assujettit à une supposée normalité et leur définit la vraie féminité.

Mais si ces répertoires ont tant de succès, c’est que l’éventail de nos fantasmes, leur vastitude effraient les femmes elles-mêmes. Ils révèlent l’énergie fabuleuse qui nous habite et qui trouve sa source dans le sexuel. Une source qui, pour le coup, explose tous les schémas normatifs et raisonnables dont nous nous blindons.

Visiter ces fantasmes, les entendre, les interpréter, c’est leur ôter ce masque d’horreur qui nous pousse à les refouler. Ou à les ranger dans des catégories qui rassurent notre aspiration au normal. Rencontrer ses fantasmes, les débarrasser du fardeau moral qui les accable, c’est pousser les murs d’une identité féminine trop étroite pour chaque femme. Et pour être libre de fantasmer, nous irons entendre où se logent nos fantasmes, comment ils s’expriment, à quoi ils nous servent, où ils nous freinent et pourquoi ils se dérobent jusqu’à nous faire croire à leur absence.

Vivre ses fantasmes, c’est d’abord se débarrasser du fantasme de la bonne façon de fantasmer, de ce qu’ils doivent être et de ce que je suis supposée en faire.a

Sophie Cadalen

 

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Reves de femmes