Dans la vie, il vaut mieux être chêne que roseau ?

Comme beaucoup d’entre nous, enfant j’ai appris les Fables de La Fontaine. Pour m’entretenir avec vous de la souplesse, celle du Chêne et du Roseau reste à mes yeux la plus éloquente sur le sujet. Ce dont je me souviens c’est l’image de la majesté du chêne, de sa robustesse, de sa solidité. Sa présence évoque un refuge, un abri, un lieu sécure

 


Comme beaucoup d’entre nous, enfant j’ai appris les Fables de La Fontaine. Pour m’entretenir avec vous de la souplesse, celle du Chêne et du Roseau reste à mes yeux la plus éloquente sur le sujet. Ce dont je me souviens c’est l’image de la majesté du chêne, de sa robustesse, de sa solidité. Sa présence évoque un refuge, un abri, un lieu sécure. A contrario, le roseau est là dans sa fragilité, sa vulnérabilité, sa souplesse aussi. Rien de poétique en cela mais une vision bien réaliste de cet oxymoron de la nature. Même si la présence de l’Aquilon ravageur auquel résiste le roseau ne m’a pas échappé, j’ai le sentiment que l’on a valorisé à mes yeux d’enfant le chêne. Je crois que l’on m’a fait entendre que dans la vie il valait mieux être chêne que roseau. Erreur d’interprétation de ma part ou de mes éducateurs, je l’ignore. Aussi, pendant longtemps ai-je confondu souplesse et fragilité et réservé au chêne et à ce qu’il symbolise une place de premier plan. Ce qu’il représente, me suis-je dit, c’est bien ce vers quoi il faut tendre pour être bien dans la vie, dans sa vie. La solidité, la robustesse, la force, voilà des valeurs sûres. Il m’a fallu des années pour me rendre compte et accepter :
que cette vision restrictive des choses n’est pas la meilleure. Revisiter la vie à la lumière du roseau, de sa souplesse et vous le faire partager, voilà le but que je m’assigne. Sans la souplesse rien ne peut vivre, changer, évoluer, ni dans la nature, ni dans l’univers, ni en nous-même. Dès lors, ce que je me propose de faire ici, c’est de donner à la souplesse toute la place qui lui revient, justement en regardant la diversité de ses applications pour montrer à quel point elle nous permet de regarder et de vivre autrement. L’intégrer, la faire sienne ne peut que produire un changement trop souvent recherché au travers de solutions complexes et intellectuellement élaborées. Comme me disait l’un de mes patients après des années de torture mentale accompagnées d’une fuite du réel dans l’addiction : « Je pense que c’est simple, il suffit que je choisisse d’aller bien, et tout rentrera dans l’ordre!» Le plus simple est toujours le plus compliqué car le mode d’emploi n’appartient qu’à nous. Le choix de la souplesse relève de quelque chose de semblable et en même temps de différent. Construire une trame c’est donner un cadre de pensée, de réflexion. Le tissage appartient à chacun. Je vous invite à me suivre sur ce chemin.

Souplesse/faiblesse : une confusion sémantique
Notre société valorise la notion de force. Rappelons que la notion de force est double: physique et morale. Elle est résistance, robustesse, vigueur. Elle témoigne d’une capacité à agir, à se mettre en mouvement. Mais la force peut aussi être contrainte, dans le sens de «forcer à» et donc de « faire subi ». Ses antonymes: faiblesse, apathie, inertie, mollesse, impuissance, inefficacité... La représentation que nous en avons, tel le chêne, renforce sa valorisation. L’image a une puissance dont on sait qu’elle va bien au-delà des mots. À cela s’ajoute la confusion sémantique ou l’amalgame qui consiste à considérer que souplesse et faiblesse sont synonymes. La confusion n’est pas seulement le fait de notre société du xxie siècle. Dans le Tao Te King (Livre de la voie et de la vertu), Lao Tseu dit : « Quand l’homme vient au monde, il est souple et faible ; quand il meurt, il est raide et fort. La raideur et la force sont les compagnes de la mort; la souplesse et la faiblesse sont les compagnes de la vie. » Paroles de sagesse, paroles de guidance et pourtant risque de confusion sémantique si l’on n’y prend garde1. Point de vue renforcé par Pascal dans Les Pensées : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. » Nous y sommes ! Pascal place la pensée et le savoir comme vertus salvatrices. Nous l’avons tous cru ! Néanmoins, à chaque fois la juxtaposition des deux termes est fondée dans le contexte. Le risque est de les considérer comme synonymes. Ce faisant nous opposons force et souplesse. Cependant, souplesse n’est en rien faiblesse. La preuve. Que signifie la souplesse ? Si le sens premier du mot renvoie à la docilité de celui qui fait preuve de souplesse, le second est très différent. Il valorise la capacité d’adaptation, en particulier intellectuelle, aisance, agilité, flexibilité, adresse, plasticité. La souplesse trouve son contraire dans la raideur et l’intransigeance. Force (justement !) est de constater que ce simple regard sur la sémantique des termes met en évidence la confusion dont nous sommes, souvent et à notre insu, les victimes. Car les mots en plus d’un sens ont une résonance active1. Cette dernière produit tout un univers d’images, de pensées, et donc de perceptions, de ressentis émotionnels et physiques. Cette dimension et cette résonance, au-delà des mots, ont un impact plus important que l’on ne l’imagine sur notre vie, sur notre manière d’être au monde et de l’appréhender.

Pour nous, il s’agit au travers d’une réflexion et d’exemples multiples de reconsidérer la souplesse à sa juste valeur, de démontrer combien la souplesse est une force trop souvent méprisée et ignorée. C’est en explorant des domaines allant du physique au psychique que nous souhaitons permettre à chacun une réflexion, et, chemin faisant, de trouver en soi le pouvoir de cette force, l’énergie qu’elle contient, la faculté dont elle dispose de modifier notre regard sur la vie, de transformer nos pensées et bien d’autres choses encore, souvent à notre insu ! En route pour un nouveau regard sur la souplesse libérée !

La souplesse du corps
Associer souplesse et corps, c’est affirmer que le corps est en mouvement et doit développer une adaptation pour rester opérationnel et répondre aux besoins du vivant de vivre et se déplacer. La souplesse devient donc indissociable du corps. Elle lui donne la capacité d’exécuter des mouvements, parfois de grande amplitude articulaire ou musculaire de sa propre initiative ou stimulé par une force extérieure. Petit rappel : nous tenons debout grâce à notre squelette. Ce dernier est un ensemble de plus de deux cents os reliés entre eux par des articulations. L’axe de cet ensemble est la colonne vertébrale. Elle nous donne la verticalité. Au cours du mouvement, certaines parties du corps tournent autour d’un point fixe (l’articulation). C’est le muscle, grâce à sa capacité de se contracter et se relâcher, qui permet au mouvement de s’accomplir. L’ordre lui en est intimé par le cerveau. Aussi peut-on affirmer que le tissu musculaire possède les caractéristiques d’un paquet d’élastiques reliés ensemble pour permettre le mouvement et sa synchronisation. Nous y sommes ! Le passage de la contraction au relâchement en fonction des besoins et des circonstances relève bien du domaine de la souplesse. C’est dire que nous sommes constitués d’un corps dont le fonctionnement est basé sur la souplesse. Le concernant, on ne peut se limiter à cette seule souplesse, celle du déplacement, du geste. Je suis assise dans mon fauteuil, en train de réfléchir, immobile. Cette immobilité n’est qu’apparence car, sans que je m’en rende compte, l’ensemble de mon corps est non seulement en mouvement mais de surcroît fait preuve de plasticitécorporelle dans l’ajustement. Il fait en sorte que, quelles que soient les circonstances il trouve le meilleur ajustement possible pour être le plus confortable possible. C’est ce que l’on nomme homéostasie. C’est la capacité d’un système — le corps par exemple — à conserver son équilibre de fonctionnement en dépit des contraintes qui lui sont extérieures. Ce propos est renforcé si l’on ajoute que selon Walter Bradford Cannon, « l’homéostasie est l’équilibre dynamique qui nous maintient en vie. » C’est à cette souplesse, à cette faculté d’ajustement que nous devons une vie libre et indépendante. Cette plasticité, cette souplesse appartiennent à notre corps. Quotidiennement nous l’expérimentons, nous la vivons. Si l’ensemble détient cette capacité, c’est qu’elle existe aussi au niveau de nos cellules, de ce qu’il y a de plus petit, de plus infime en nous.

Récemment (2012), les chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) ont dit avoir découvert le secret de la souplesse de nos cellules. Ils ont démontré que certaines cellules sont régulièrement soumises à des tensions qui les déchireraient si la nature ne les avaient pas dotées de structures leur permettant ces exercices d’extension. Cependant il peut arriver que le grand écart que l’on exige d’elles dépasse leur souplesse habituelle. Pour pallier cela, un mécanisme moléculaire se met en place et leur permet de répondre à cette exigence ponctuelle. Dès réception du message, une suractivation se produit pour donner plus de mou, un peu comme s’il était possible d’ajouter des molécules de caoutchouc à un élastique approchant son point de rupture. Cette souplesse, nous la constatons chaque jour. Qu’il s’agisse de la transformation souple du corps de la femme enceinte, de la souplesse de l’enfant dans les premiers mois de sa vie, ou plus simplement de l’élasticité de notre corps quand il grossit ou qu’il maigrit. En toutes circonstances, force est de constater que par constitution, par nature, la souplesse fait partie intégrante de nous-même. Dès lors, la question se pose. Pourquoi ne pourrions-nous pas appliquer ces principes mis en œuvre spontanément par notre corps, d’une façon plus générale dans notre vie? Pourquoi ne pas créer et entretenir en nous cette souplesse pour un meilleur équilibre ? Comment faire pour reproduire et adapter une souplesse aussi exemplaire ? C’est ce que nous allons examiner.

Dire non : une force pour se construire ?
Selon René Spitz, nous connaissons tous pour l’avoir vécu et pour y avoir été confrontés ce que l’on identifie aujourd’hui par « stade du non » dans le développement de l’enfant. Il apparaît entre 15 et 18 mois et laisse sans voix l’adulte qui ne comprend pas ce qui conduit le « bout de chou » à opter pour une attitude d’opposition soudaine. Ces attitudes ne sont que les premières manifestations d’une force. Il s’agit simplement d’une étape importante de son développement au cours de laquelle il apprend à s’obstiner, à s’opposer, à résister. Cette étape fondamentale dénote l’acquisition d’une capacité d’abstraction, révélée par une faculté de jugement. C’est l’aboutissement d’un processus de maturation somato- psychique. Il ouvre la voie à la communication humaine. En effet, le oui et le non sont à l’évidence les termes les plus utilisés dans nos échanges. De plus, de façon synthétique et efficace ils témoignent de l’autonomie de pensée et d’existence du sujet. Une affirmation de soi et une contrainte pour l’autre de reconnaître son existence. Se positionner en s’opposant au donneur d’ordre, qui peut être vécu comme un agresseur, est une façon pour le moi de l’enfant de s’affirmer. La suite montre bien que ce stade du « non » est insuffisant. Après une période d’accalmie, de latence, l’adolescence fait ré-émerger l’attitude d’opposition et d’affrontement. Accédant à une pensé autonome et indépendante, non-soumise, voire en rébellion contre l’existant et contre l’autorité, l’adolescent est un adulte en construction dont le mode d’expression est la contestation. Ainsi s’opposer à ce qui est établi, être contre tout et chercher d’autres voies d’expression sont des attitudes propres à cette période. Ce sont des manières de se sentir exister et une fois de plus de contraindre l’autre à quitter l’indifférence pour la reconnaissance. S’opposer, provoquer, c’est contraindre l’autre à répondre, c’est se confronter à une force pour mesurer la sienne. S’opposer, c’est une façon de trouver son émancipation, alors que la peur taraude. « Même pas cap’ » se conjugue avec « Même pas peur ». La situation reste cependant paradoxale. Elle conjugue besoin de liberté et dépendance. Ces comportements de provocation et d’opposition n’ont qu’un seul but: être reconnu à sa juste valeur et par là même exister. Cependant pour se sentir exister, il est aussi nécessaire d’avoir la présence d’un cadre. Un cadre, ce sont des limites auxquelles on se heurte mais aussi des points de repère sécurisants pour savoir « jusqu’où ne pas aller trop loin ». Tester et se confronter au cadre, c’est aussi faciliter la construction de sa propre démarche d’adulte. C’est également l’époque de tous les possibles où les idéaux, les rêves et les utopies peuvent s’exprimer. On fera la part des choses progressivement et on donnera place aux valeurs personnelles. Point de passage, évolution, sentiment mitigé de force et de faiblesse, c’est ce que devrait représenter pour la plupart d’entre nous cette période de la vie. Mais après tout, la question se pose de savoir si ce sentiment d’existence né de l’opposition, cette force de résistance, « d’être contre », ne renforcent pas en nous cette nécessité de se considérer, envers et contre tout, « chêne »...

 


Corinne Van Loey

 

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