Et si l’on posait un regard optimiste pour dire que la peur est une vraie vitamine qui incite à évoluer, à se transformer, à se libérer, à grandir ? Montaigne disait d’elle que « tantôt elle nous donne des ailes [...], tantôt elle nous cloue aux pieds »... Il faudrait donc accepter de prendre rendez-vous avec elle, d’en faire une vraie alliée pour transformer sa vie en dialoguant avec elle... Ce même regard bienveillant invite à penser que craindre l’inconnu doit être un moteur puissant qui nous propulse vers de nouveaux chemins à explorer. Nietzsche disait dans Le Gai savoir : « Ne serait-ce pas l’instinct de la crainte qui nous pousse à connaître ? » De cette peur non maladive à la phobie, il y a toutefois un monde, un gouffre, comme nous le verrons. Il faudra comprendre qu’une crainte excessive peut être le masque d’un autre problème enfoui, d’une émotion que nous n’avons pas su accueillir, et qu’elle pointe avec entêtement.
Quelle personne pourrait dire en toute honnêteté qu’elle n’a jamais éprouvé la peur ? Certes, celles qui l’affirment ont trouvé un moyen d’éviter de s’y confronter en la niant... En fait, chacun la connaît, et c’est rassurant de le savoir. Les contes de fées, du Petit Chaperon rouge à La Belle et la Bête, en sont truffés, eux qui offrent aux petits (et parfois aux grands) un miroir clair pour regarder leurs peurs en face, et les transformer... De même, les animaux fabuleux de la mythologie grecque ou médiévale matérialisent ces bonnes grosses peurs que nous avons à travailler. Vivre, ce serait apprendre à accueillir ces vilaines bêtes monstrueuses, à vivre avec elles, à pétrir cette glaise pour évoluer intérieurement, aller un peu plus loin. Composer avec elles, donc. Aborder ce sentiment « humain, trop humain » revient à faire tomber les masques pour aller voir ce qui se cache derrière les apparences que l’être s’emploie à soigner pour donner, avec plus ou moins de succès, le change... Imaginons donc l’humain dans sa nudité brute, livré à ce que le fait même de vivre engendre, et qui s’appelle une peur fondamentale. Il suffit d’ouvrir le dictionnaire : le Petit Larousse nous offre une définition possible, mais qui n’est pas la seule. Il rappelle qu’il s’agit du « sentiment de forte inquiétude, d’alarme, en présence ou à la pensée d’un danger, d’une menace ». Autrement dit, la crainte serait parfois un appel, un signal fort qui vient à la rescousse en bonne mère, nous invite à nous protéger, en réagissant en amont. Ce serait donc un mal nécessaire, en quelque sorte, lorsqu’il s’agit de prévenir une agression, un danger qui viendrait menacer notre vie, notre corps, ou encore notre équilibre ; stimulante, motrice, elle inciterait aussi à agir sur nos vies mal ficelées, qu’il faudrait « remettre en chantier ». Ces peurs fondamentales existent depuis les débuts de l’humanité, pourrait- on dire, et n’ont pas d’âge, ou sont vieilles comme le monde... Elles traversent les siècles, sont telles de noirs edelweiss, immortelles. Nous avons à les domestiquer, à les apprivoiser, diraient les auteurs stoïciens et les humanistes. La crainte de la mort, de la maladie qui en est parfois le masque, serait une peur originelle : sur ce terreau poussent les autres, engendrées parfois par « ce qui ne dépend pas de soi » – par exemple, la perte d’un emploi vient faire caisse de résonance avec la peur pour la survie et donc, en arrière-plan, avec le spectre de la mort. La crainte des catastrophes naturelles, de cette dame Nature qui reprend ses droits malgré les petits « bonshommes noirs » pétris de certitude, disait Sartre, est toujours d’actualité, même si les grottes préhistoriques ne sont plus des lieux de vie. Avançons donc que la peur ne fait que prendre des visages autres : elle change, en quelque sorte, de look. Pourtant, de la peur fondamentale, liée à notre condition d’humain mortel, à ses visages pathologiques, il y a un gouffre, on l’a dit. Nous apprendrons à distinguer, dans cet ouvrage, ce qui relève d’une crainte non pathologique et ce qui relève de la phobie, véritable poison pour la vie quotidienne et qui oblige à vivre comme Prométhée enchaîné à son rocher : tant d’êtres voient leur vie rétrécie, obligés qu’ils sont, pour éviter des accès de panique, de ne pas se confronter aux situations ou objets qui les déclenchent. Soulignons qu’il ne s’agit pas là d’angoisse, laquelle est une inquiétude sans objet. Réaction disproportionnée, démesurée, écart entre la réalité de l’événement et ce qu’il engendre : la phobie, cet ouragan, est une crainte exagérée, d’une redoutable intensité. Elle est toujours prête à resurgir, à envahir. Ce serait comme une peur bleue, une frayeur immense qui provoque à l’intérieur de soi une levée de boucliers. Elle est souvent le symptôme d’autre chose, d’un problème enfoui, à la source duquel il faudra remonter. Nous verrons que ces phobies prennent mille et un visages. Cet ouvrage classé par thèmes en abordera quelques-unes qui empoisonnent la scène de la vie intime et affective, le travail, la vie ordinaire, ou la relation aux autres, quand « l’enfer, c’est les autres ». Remonter aux sources, en enquêteur, de ce qui peut les expliquer sera une aide précieuse : symptôme de non-séparation, événement traumatique ancien à débusquer et qui fait caisse de résonance, phobies en héritage par courroie de transmission, négligence éducative, ou a contrario, surprotection, poids des discours ambiants anxiogènes faisant de la peur, et de la phobie, un outil de manipulation politique...
Il importe aussi d’évoquer comment les dissoudre. Terrasser les phobies, mode d’emploi : penser la vie, soi, les autres autrement pour tenter de s’en libérer.
Travailler sur ce que les peurs ont à nous souffler à l’oreille, agir à partir du corps et des manifestations physiques pour entendre ce qu’il faut comprendre. Apprendre aussi à penser autrement, à casser les pensées automatiques catastrophistes, en abandonnant comme une guenille le langage pessimiste : il existe des techniques simples pour y parvenir. S’immerger dans le présent, en comprenant que la peur est une stratégie de défense qui pousse à anticiper et parfois à céder toujours à un scénario en forme d’« apocalypse now »... Enfin, considérer que peur et phobie peuvent être une chance qui engage à se mettre en mouvement : il faut les regarder comme des personnes bienveillantes qui aideraient à se transformer profondément, par étapes. Non, la peur ne ressemble pas à la Méduse de l’Antiquité qui pétrifiait de son seul regard. On peut faire de cette supposée « ennemie intime » une amie, en agissant pour remettre la chimère à sa place, et la transformer en force d’action, en carburant énergétique solaire qui stimule. Non, nous n’aurons plus peur... d’avoir peur, auraient pu dire les sages de l’Antiquité.
Yvonne Poncet-Bonissol
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