Le stoïcisme est-il toujours d'actualité ?

Le journal de l’un des plus grands empereurs romains, la correspondance de l’un des plus grands dramaturges et des plus sages conseillers, les entretiens d’un ancien esclave et exilé, devenu maître influent : deux millénaires plus tard, envers et contre tout, ces témoignages inestimables ont survécu.

Que nous apprennent-ils ? Se pourrait-il que ces obscurs feuillets recèlent des enseignements qui seraient encore valables dans le monde actuel ? Il semblerait que oui. Ils contiennent certaines des plus vénérables sagesses de l’histoire de l’humanité.

Ensemble, ces documents constituent les fondements de ce que l’on appelle le stoïcisme, philosophie antique qui fut l’une des disciplines morales les plus populaires en Occident, pratiquée aussi bien par les riches que par les pauvres, par les puissants que par leurs sujets, dans la quête d’une vie bonne. Pourtant, au fil des siècles, la connaissance de ce mode de pensée, autrefois essentielle pour tant de personnes, se dissipa peu à peu.

À l’exception des plus avides de sagesse, le stoïcisme est généralement méconnu ou incompris. Cela n’a rien d’étonnant puisqu’il serait difficile de trouver un adjectif qui aurait subi plus grande injustice dans la langue française que « stoïcien ». Pour l’individu moyen, ce mode de vie dynamique, tourné vers l’action et qui provoqua un changement de paradigme, est devenu synonyme d’« impassibilité ». Alors que la simple évocation de la philosophie a tendance à faire monter en nous un sentiment d’inquiétude ou d’ennui, le « stoïcisme » n’est pas de prime abord un sujet auquel on a envie de s’intéresser et il semble encore moins répondre à un besoin urgent dans notre vie quotidienne.

Quel triste sort pour une philosophie que même l’un de ses cri- tiques occasionnels, Arthur Schopenhauer, décrit comme « le plus haut point auquel l’homme puisse arriver par le simple emploi de sa raison ».
L’objectif de ce livre est de rendre au stoïcisme sa juste place en tant qu’outil dans la quête de la maîtrise de soi, de la persévérance et de la sagesse : un outil dont on se servirait pour avoir une vie bonne, et non un champ ésotérique d’études universitaires.

Pourtant, il est évident que non seulement les grands esprits de l’histoire de l’humanité comprenaient le stoïcisme pour ce qu’il était vraiment, mais qu’ils y avaient aussi recours : George Washington, Walt Whitman, Frédéric le Grand, Eugène Delacroix, Adam Smith, Emmanuel Kant, Thomas Jefferson, Matthew Arnold, Ambrose Bierce, Theodore Roosevelt, William Alexander Percy, Ralph Waldo Emerson. Chacun d’eux lisait, étudiait, citait ou admirait les stoïciens.

Les stoïciens de l’Antiquité n’étaient pas des fainéants. Les noms cités dans ce livre – Marc Aurèle, Épictète, Sénèque – désignaient, respectivement, un empereur romain, un ancien esclave qui triompha pour devenir un maître influent et un ami de l’empereur Hadrien, ainsi qu’un célèbre dramaturge et conseiller politique. Il y avait aussi Caton le Jeune, qui était un politicien admiré ; Zénon était un riche marchand (comme d’autres stoïciens) ; Cléanthe fut boxeur et travaillait comme porteur d’eau pour payer ses études ; Chrysippe, qui écrivit plus de sept cents livres, fut coureur de fond ; Posidonios fut ambassadeur ; Musonius Rufus fut enseignant ; et bien d’autres.
Aujourd’hui (surtout depuis la publication récente de L’Obstacle est le chemin), le stoïcisme a trouvé un nouveau public varié, allant de coaches d’équipes de football américain au rappeur LL Cool J, en passant par l’animatrice sportive Michele Tafoya, ainsi que de nombreux athlètes professionnels, des P.-D.G., des dirigeants de fonds d’investissement, des artistes, des cadres et des personnalités.

Qu’est-ce que tous ces grands hommes et ces grandes femmes ont trouvé dans le stoïcisme que les autres ont raté ?
Beaucoup de choses. Tandis que les intellectuels voyaient souvent le stoïcisme comme une méthodologie antique sans grand intérêt, des hommes et des femmes d’action découvrirent que cette philosophie leur donnait la force et l’énergie nécessaires pour surmonter les difficultés. Quand Ambrose Bierce, journaliste et vétéran de la guerre de Sécession, expliqua à un jeune écrivain que le stoïcisme lui apprendrait à « être un convive digne des dieux » ou quand le peintre Eugène Delacroix (célèbre pour sa Liberté guidant le peuple) déclara que ce courant philosophique était sa « religion de consolation », ils parlaient d’expérience. Tout comme Thomas Wentworth Higginson, courageux colonel abolitionniste qui mena le premier régiment com- posé d’Afro-Américains pendant la guerre de Sécession et qui produisit l’une des plus mémorables traductions d’Épictète.

William Alexander Percy, planteur et écrivain sudiste, qui mena les équipes de sauveteurs durant la crue du Mississippi de 1927, par- lait en connaissance de cause lorsqu’il disait du stoïcisme qu’« il tient bon même quand tout est perdu ». Comme pouvait aussi l’affirmer Tim Ferriss, écrivain et investisseur, lorsqu’il disait du stoïcisme que c’était le « système d’exploitation personnel » idéal (d’autres grands dirigeants comme Jonathan Newhouse, P.-D.G. de Condé Nast International, sont du même avis).

Cependant, c’est sur le champ de bataille que le stoïcisme fit plus particulièrement ses preuves. En 1965, quel nom était sur les lèvres du capitaine James Stockdale au moment où il ouvrit son parachute après s’être extrait de son avion abattu au Vietnam et avant de tom- ber entre les mains de l’ennemi qui lui fit subir une demi-décennie de tortures ? C’est celui d’Épictète. Comme Frédéric le Grand qui chevauchait sur le champ de bataille avec les œuvres des stoïciens dans ses sacoches, le général James « Mad Dog » Mattis, marine et commandant de l’OTAN, emporta les Pensées de Marc Aurèle dans le golfe Persique, en Afghanistan et en Irak. Ce n’étaient pas non plus des professeurs, mais des hommes de terrain qui avaient constaté que le stoïcisme, en tant que philosophie pratique, répondait parfaite- ment à leurs besoins.

De la Grèce à Rome jusqu’à aujourd’hui
Le stoïcisme est un courant philosophique fondé à Athènes par Zénon de Citium au début du iiie siècle avant J.-C. Son nom vient du grec stoa, qui signifie « portique », car c’est là que Zénon commença à enseigner à ses élèves. Cette philosophie affirme que le bonheur est la vertu (plus précisément, les quatre vertus cardinales que sont la maîtrise de soi, le courage, la justice et la sagesse) et que notre perception des choses – plutôt que les choses elles-mêmes – est à l’origine de la plupart de nos problèmes. Le stoïcisme nous enseigne que nous ne pouvons pas contrôler ou nous fier à quoi que ce soit, hormis à ce qu’Épictète appelle notre « personne morale » – notre capacité à utiliser notre raison pour choisir la façon dont nous réagissons et nous réorientons en fonction des événements extérieurs.

À ses débuts, le stoïcisme était beaucoup plus proche d’une philosophie globale, comme d’autres courants de l’Antiquité dont les noms vous paraîtront vaguement familiers : l’épicurisme, le cynisme, le platonisme, le scepticisme. Ses adeptes débattaient de sujets variés, comme la physique, la logique, la cosmologie et bien d’autres. L’une des analogies utilisées par les stoïciens pour décrire leur philosophie était celle d’un champ fertile. La logique était la barrière protectrice, la physique était le champ et la récolte produite par tout cela était l’éthique – les règles de vie.
Toutefois, en évoluant, le stoïcisme se concentra essentiellement sur deux de ces sujets : la logique et l’éthique. En passant de la Grèce à Rome, le stoïcisme devient beaucoup plus pratique pour s’adapter à la vie active et pragmatique des Romains travailleurs. Comme le remarquera Marc Aurèle : « Quand j’ai été séduit par la philosophie, je ne suis pas tombé dans les mains d’un sophiste, je ne me suis pas appesanti à déchiffrer les écrivains, à décomposer des syllogismes, à étudier les phénomènes célestes. »

Au contraire, Marc Aurèle (comme Épictète et Sénèque) se concentrait sur diverses questions qui n’étaient pas différentes de celles que nous continuons à nous poser aujourd’hui : « Quelle est la meilleure façon de vivre ? » « Que faire de ma colère ? » « Quelles sont mes obligations envers mes concitoyens ? » « J’ai peur de mourir ; pour- quoi ? » « Comme faire face aux situations difficiles auxquelles je suis confronté ? » « Comment gérer la réussite ou le pouvoir que je possède ? »

Ces questions n’étaient pas abstraites. Dans leurs écrits – souvent des lettres ou des journaux intimes – comme dans leurs conférences, les stoïciens s’efforçaient de trouver de vraies réponses concrètes. Ils finirent par travailler autour d’exercices portant sur trois disciplines essentielles :
• La discipline de la perception (comment nous nous voyons et comment nous percevons le monde qui nous entoure).
• La discipline de l’action (les décisions et actions que nous entreprenons – et leur finalité).
• La discipline de la volonté (comment nous gérons les choses que nous ne pouvons pas changer, comment nous parvenons à des jugements clairs et convaincants et comment nous en arrivons à comprendre notre place dans le monde).
En contrôlant nos perceptions, nous disent les stoïciens, nous trouverons la clarté d’esprit. En dirigeant correctement et justement nos actions, nous serons efficaces. En utilisant et en canalisant notre volonté, nous trouverons la sagesse et le recul nécessaires pour affronter tout ce que le monde nous offre. Ils pensaient qu’en maîtrisant ces disciplines, ils pourraient cultiver la résilience, trouver un sens à leur vie et même la joie.
Né dans les turbulences du monde antique, le stoïcisme s’intéressait à la nature imprévisible de la vie quotidienne et offrait un ensemble d’outils pratiques destinés à la vie quotidienne. Notre monde moderne peut paraître radicalement différent du portique peint (stoa poikilê) de l’agora athénienne ou du forum romain. Mais les stoïciens s’efforçaient de se rappeler (voir le 10 novembre, p. 352) que les situations auxquelles ils étaient confrontés n’étaient pas différentes de celles qu’avaient connues leurs ancêtres et que le futur ne changerait pas radicalement la nature et la finalité de l’existence humaine. Tous les jours se ressemblent, comme les stoïciens aimaient à le dire. Et c’est encore vrai de nos jours. Ce qui nous amène au point où nous en sommes aujourd’hui.

 Ryan Holiday / Stephen Hanselman



Si cet extrait vous a intéressé,

vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icône ci-dessous :

Couverture de livre