CE DIEU QUE NIETZSCHE ENTERRE...

 


Dieu est mort ! De qui Nietzsche parle-t-il ? Quel Dieu est mort ?

Pour Nietzsche, sans aucun doute possible, ce Dieu qui est mort est le Dieu-le-Père chrétien, vaguement issu de la figure juive de YHWH, le législateur de l’Alliance. Nietzsche – qui, à la fin de sa vie, signait certaines de ses lettres du significatif sobriquet de « l’Antéchrist » – incarne, en tout, l’antichristianisme radical. Dieu-le-Père en fait les frais.

Mais quittons un peu Nietzsche et interrogeons ce Dieu- le-Père chrétien qui serait mort. Quelles sont ses caractéris- tiques ? Quel est ce Dieu-là ?

Ce Dieu du christianisme est celui des théistes. Il est un Dieu personnel, unique quoique trine, « créateur du Ciel et de la Terre », mais étranger à cette Terre et à ce Ciel qu’il crée hors de lui, loin de lui. Ce Dieu est celui de l’idéalisme platonicien et de la théologie dualiste...

En fait, le christianisme est né de la rencontre de trois courants : un vague fond juif mal compris par des convertis païens, une très forte inspiration platonicienne et un relent de morale stoïcienne faisandée (au premier et second siècle le magnifique stoïcisme grec de Leucippe s’est romanisé et a dégénéré en morale gâteuse et molle que le christianisme, alors naissant, reprendra).

Ainsi, le Dieu-le-Père chrétien remet-il ces trois sources à sa sauce, sauce qui sera parachevée sous la dictée de l’empereur non chrétien Constantin au concile de Nicée en 325, où il imposera son « symbole », qui est toujours le fond du Credo chrétien, toutes confessions confondues, à quelques détails près.
Ce texte est essentiel. Le voici, dans sa version catholique :
« Credo : symbole de Nicée
« Je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible, Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles :
Il est Dieu, né de Dieu, lumière, né de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu
Engendré non pas créé, de même nature que le Père ; et par lui tout a été fait.
Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel;
Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme.
Crucifié pour nous sous Ponce Pilate, Il souffrit sa passion et fut mis au tombeau.
Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Écritures, et il monta au ciel ; il est assis à la droite du Père.
Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts et son règne n’aura pas de fin.
Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie ; il procède du Père et du Fils.
Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ; il a parlé par les prophètes.
Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés. J’attends la résurrection des morts, et la vie du monde à venir.
Amen. »

Le problème, ici, n’est pas le débat séculaire sur la Trinité et les difficultés inhérentes à l’impossible conciliation entre un monothéisme strict (comme celui de l’islam qui, toujours, a traité le christianisme en polythéisme) et les trois « personnes » divines qui ne sont pas que de simples modes de manifesta- tion de la divinité (des hypostases), mais des divinités à part entière.

Que dit le Credo du Dieu ? Qu’il est « Père tout-puissant » et qu’il est « créateur du Ciel et de la Terre, de l’uni- vers visible et invisible ». Tout le reste du Credo s’intéresse au Fils – en somme, le Père n’existe que par le Fils. Il n’est que le prétexte de son Fils que les chrétiens, dans leur grande majorité, considèrent comme Dieu, leur Dieu. Dieu-le-Père, en christianisme, n’est qu’un arrière-fond, vaguement inspiré du YHWH hébreu.

Le héros du christianisme, n’est pas Dieu, mais Jésus, que l’on dira Christ, c’est-à-dire, en grec, « oint d’huile » (traduction de l’hébreu messia’h [« messie »] qui a la même signification).

Quand Nietzsche dit que Dieu est mort, parle-t-il de Dieu- le-Père ou de Jésus-Christ ?
Mais revenons à ce Dieu-le-Père. Il est « Père tout-puis- sant », donc il est le géniteur absolu et il « peut tout », il est omnipotent. Il peut tout engendrer comme cela lui chante, et il ne s’en prive pas puisqu’il crée le Ciel et la Terre, l’univers visible et invisible. Ainsi, ce Dieu-le-Père engendre le monde ex nihilo et disparaît de la scène. Ce que la tradition chrétienne a mal retenu des textes juifs écrit dans cet hébreu si mal maî- trisé par ses propres penseurs, c’est que ce monde créé ex nihilo par le Père a mal tourné, qu’il s’est enlisé dans le péché et qu’il fallait le sauver. Ce sera la mission du Fils aidé de l’Esprit.
     

Marc Halévy             
                                                                              

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