La Génese taoiste

« L’univers des terres du haut se trouve à l’est et au nord, à l’est et à l’ouest. Ces terres du haut resplendissent de lumière, les êtres vivent en paix sans être affectés par les maladies et les émotions conflictuelles. Leur empereur est le Soleil en personne, qui infuse par ses rayons joie et sagesse. Son assistante est dame la Lune qui l’aide de son intuition sans limites. La prospérité est le fruit de cette harmonie.


« Tout près de notre monde, existe un autre univers, caché aux yeux des êtres ordinaires. Ce monde est à la fois proche et lointain, on y accède par l’introspection, la contemplation, puis par l’ouverture de soi. Seuls les maîtres antiques pouvaient voguer sans encombre dans cet espace originel du Yin et du Yang. Bien que les deux univers se côtoient, cette cohabitation est loin d’être pacifique.

« L’univers des terres du haut se trouve à l’est et au nord, à l’est et à l’ouest. Ces terres du haut resplendissent de lumière, les êtres vivent en paix sans être affectés par les maladies et les émotions conflictuelles. Leur empereur est le Soleil en personne, qui infuse par ses rayons joie et sagesse. Son assistante est dame la Lune qui l’aide de son intuition sans limites. La prospérité est le fruit de cette harmonie.

« L’univers des terres d’en bas, au sud, est plus tourmenté. Il abrite des êtres extrémistes vivant dans l’ignorance et la saleté. Ses lois sont cruelles et injustes, et ses habitants se querellent sans cesse. Cet empire est gouverné par l’impératrice des Ténèbres, qui se soucie uniquement de sa propre personne. Son conseiller est un homme impétueux et agressif.

« À la frontière entre les deux empires, mais du côté de l’em- pire de lumière, pousse l’arbre merveilleux de la lune. Sur ses branches croissent de magnifiques fruits blancs, chargés de vitalité. Cependant, plusieurs branches de cet arbre passent au-dessus de la frontière et le peuple de l’empire se gave de fruits, ignorant qu’une cueillette trop intense peut tuer l’arbre en l’asséchant.
« Il existe aussi un arbre de ce type dans l’empire des ténèbres, et ses branches proposent aussi au peuple de la lumière des fruits à goûter. Ce qu’ils font sans se limiter, épuisant ainsi l’arbre.
« Si l’harmonie existe des deux côtés et si chaque empire applique la modération et limite sa consommation, un nouvel arbre poussera entre les deux empires : l’arbre de la vie illimitée. Malheureusement, l’avidité des uns et des autres va provoquer la guerre entre les deux empires. Les deux arbres représentent ainsi notre attachement égoïste aux choses. Cet attachement est la racine de la perte de l’énergie. Bien sûr, le royaume des ténèbres attaquera toujours le premier, mais l’origine du problème est double.

« La paix ne régnera enfin que lorsque les deux terres effectue- ront le mariage mystique du Yin et du Yang. Lorsque l’anxiété et l’agressivité du royaume des ténèbres se marieront avec l’optimisme et la liberté des terres de la lumière. La frustration individuelle est ainsi désignée comme la source de tous les maux. »

Cette ancienne genèse taoïste se transmet encore de bouche à oreille. Elle est souvent prétexte à incarner l’ésotérisme et la symbolique taoïste et se présente sous de nombreuses versions. Elle montre les origines antiques et chamaniques du taoïsme, qui, comme toute spiritualité au monde, puise sa source dans une sagesse mystérieuse et universelle.

Nous utiliserons donc ici le mot chamanisme pour désigner des pratiques ou exercices qui nous permettent de nous mettre en harmonie avec notre environnement au sens large. On peut dire, d’une certaine manière, que cha- que pratique des exercices énergétiques chinois (Qigong) contient des éléments chamaniques. Mais cette remarque pourrait tout aussi bien s’appliquer à toutes les psychothérapies modernes qui utilisent l’hypnose, le rêve éveillé, l’observation du comportement et l’interprétation des signes, la transe, la musicothérapie, la symbolique du langage ou l’art-thérapie.

Citons de nouveau Eliade : « Le chamanisme est un phénomène originaire, nous voulons dire qui appartient à l’homme en tant que tel, dans son intégrité, et non en tant qu’être historique, témoins les rêves d’ascension, les hallucinations, les images ascensionnelles qui se rencontrent partout dans le monde en dehors de tout conditionnement historique ou autre. »

On ne peut qu’être étonné d’observer la façon dont les modernes ont pillé l’héritage des anciens en se l’appro- priant sans citer leurs sources.

En général, le chamanisme s’intéresse aux énergies im- matérielles sacrées sous-jacentes à la nature. Si les universitaires s’accordent à penser que le chef-d’œuvre à l’origine du taoïsme, le Dao De Jing, est peut-être une compilation décrite de plusieurs sages, les taoïstes eux-mêmes nous proposent une version plus légendaire :
À l’époque de Confucius, un bibliothécaire zélé et éclairé, submergé de dégoût envers les usages de la cour, décida de s’exiler et de quitter la Chine. À la frontière ouest de la Chine, au sommet d’un col, un autodidacte scrutait chaque soir le ciel et ses constellations d’étoiles. Un soir, il vit une sorte de traînée pourpre s’avançant vers l’ouest. Il prédit alors la venue d’un grand et immortel sage taoïste. Dès le lendemain, apparut le sage Lao Zi qui s’apprêtait à quitter définitivement l’empire du Milieu. L’autodidacte l’accueillit et lui demanda de ne pas quitter le pays sans laisser une trace de son savoir immense. Lao Zi acquiesça et composa les cinq mille caractères de ce qui deviendra le plus grand classique de l’Extrême-Orient : le Dao De Jing.

Pour les taoïstes, Lao Zi, figure majeure du taoïsme, n’en est pas le fondateur. Le taoïsme prend ses racines dans la nuit des temps, peut-être 5 000 ans avant J.-C., au cœur des tribus installées sur les berges du fleuve Jaune ou peut- être plus à l’ouest dans le territoire des chamans « Wu ». Les légendes anciennes confirment cette hypothèse : à une époque antique de la Chine, l’Empereur Jaune (Shi Huangdi) eut besoin de conseils pour établir son empire de paix au sein des contrées barbares de l’Asie. Il rencontra alors la « femme mystique » à la tête humaine et au corps d’oiseau, qui le guida.

L’ancien caractère chinois , « wu », signifie chaman, ter- me provenant du toungouze ou du mandjou. Les pratiques des Wu sont axées autour du Shen Ming, c’est-à-dire la clarté de l’esprit et des perceptions. La plupart des chercheurs chinois actuels reconnaissent que ce travail énergétique des Wu est très certainement à l’origine des notions d’énergie vitale (Qi) et de travail sur cette énergie (Qigong).

Des personnages légendaires parsèment son histoire secrète : l’Empereur Jaune, l’Empereur Herboriste, le géant des origines Pangu, Fu Xi le visionnaire des trigrammes du Yijing.

Avant la synthèse philosophique de Lao Zi, la voie spirituelle du Tao était déjà parcourue par les pratiquants du Dao Lu, l’ancienne voie spirituelle des chamans de Chine ancienne. Il existait à cette époque une perception très fine des énergies subtiles du corps et de l’esprit. En fait, ce que l’on nomme « religion taoïste » est souvent éloigné de la philosophie de la voie naturelle taoïste et plonge aussi ses racines dans le chamanisme ancien sans en partager l’animisme.

Notre propre définition occidentale du mot « religion » est particulièrement ancrée dans les traditions monothéistes. La conception chinoise de ce terme n’a pas du tout les mêmes implications dans la pensée taoïste. Le mot utilisé en chinois pour désigner la religion est Daojiao, ce qui signifie « enseignements ancestraux ». On peut justement considérer que le taoïsme correspond à ces enseignements des anciens sages. La définition même du mot Tao (Dao dans la transcription pinyin) suggère l’idée d’un chemin naturel parcouru par des êtres en harmonie.

L’approche du taoïsme décrite est celle des philosophes spiritualistes et non celle de la religion populaire. Cette dernière a subi lors de son histoire diverses influences. L’une d’entre elles est « la voie des voyageurs », sorte de chamans itinérants vivant en contact étroit avec la nature. Il reste quelques poèmes de ces anciens guéris- seurs. Le terme de taoïsme (Daojia) s’est appliqué d’abord aux écrits de certains mystiques de la Chine antique.

Le chamanisme du Tao consiste à nous faire retrouver notre énergie originelle, notre tonnerre personnel, en accordant notre propre instrument, nos propres énergies, avec les énergies universelles sans a priori religieux ou psychologique. C’est pourquoi ce type de chamanisme peut être qualifié de recherche spirituelle et de démarche philosophique au sens ancien du terme.

À l’époque où la notion de taoïsme se forme, au début de l’ère impériale (lle siècle avant J.-C.), la confrontation entre le naturel et l’héritage ordonné (le confucianisme), entre le dragon libertaire et le tigre communautariste, montre à quel point les taoïstes désapprouvent l’évolution sociale ordonnée et se tournent vers les expressions naturelles et mystiques de l’être.

« Le son du gong de pierre remplit l’espace de l’aube et résonne parmi les pins de la forêt. Le temple s’éveille tandis que les volutes d’encens se mêlent aux senteurs des conifères. »

La voie du Tao s’enchevêtre au chaos apparent de la na- ture. Lao Zi énonçait que cette voie spirituelle ne pouvait être décrite par les mots ou les concepts, c’est pourquoi les contes et légendes taoïstes permettent de goûter simplement à la saveur du Tao sauvage.

Ces récits mythiques nous plongent aux antipodes de la pensée rationaliste étriquée de l’Hexagone et de la dialectique marxiste de la Chine de Mao. On y côtoie des magiciens hauts en couleur, des immortels diaphanes et tangibles, des âmes errantes désincarnées, des vierges éternelles... On y découvre aussi des principes spirituels : l’irréalité du monde apparent, la trame cachée des choses, le mystère dissimulé derrière un autre mystère, la luminosité et la bonté naturelle de la conscience...

Certes, on retrouve ces idées maîtresses dans la philosophie occidentale, mais ici, il s’agit de vécu, d’expériences, de pratiques concrètes. Nombre de taoïstes perdirent d’ailleurs leur santé en essayant de confectionner des sortilèges et élixirs de longue vie. On trouvera aussi des comportements récurrents aux philosophes taoïstes : créativité, libre-pensée authentique, méfiance absolue du pouvoir politique, arrogance et dédain des conventions...


 

  Gérard Edde                        
                                                                              

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 Le Chaman taoïste