À l’avenir, il sera intéressant que les résultats en ostéopathie soient regardés à l’aide des technologies innovantes, comme l’endoscopie Full High Definition. Que l’on soit chirurgien ou ostéopathe, l’organisation du tissu conjonctif montre que les améliorations, à la suite d’un acte chirurgical ou ostéopathique, sont des réaménagements de cette trame riche en transformations au cours de l’évolution. L’efficacité ostéopathique se mesurera demain à l’aune d’observations scientifiques, avec des appareils comme l’endoscope.
Mosaïque sans ordre, le tissu conjonctif s’organise de façon aléatoire avec pour conséquence un ensemble de solutions en attente. En paléontologie, les réalisations de l’évolution n’at- tendent qu’un échange avec l’environnement pour émerger et se stabiliser. En ostéopathie, les réaménagements après un geste ostéopathique sont des adaptations du corps, témoignant d’une dynamique du tissu conjonctif : autonome et automatique.
Ce qu’un chirurgien voit sous la peau, c’est une forêt vierge de branchages en train de se modifier. Les microfibrilles du tissu conjonctif ne sont pas régulières. Aucune ne se ressemble. La variété est prédominante. C’est une marque de fabrique de l’évolution. Le maintien d’une forme est déterminé pour une espèce, pour un individu. Pour ce faire, l’ensemble de microfibrilles de collagène réalise des points stables qui donnent une forme corporelle. Les lignes de force entre les muscles et la peau témoignent de cette continuité. Le collagène du tissu conjonctif est un des principaux constituants de la gélatine. Avez-vous cuisiné de la gélatine ? Quand elle se casse, cela fait des blocs. Les entorses, luxations, déchirures musculaires, lésions de cartilage sont des « fractures de gélatine ». Cette métaphore culinaire évoque quelque chose qui se densifie sous l’action d’un choc, comme de l’amidon qui se durcit.
Lors de fractures de tissu conjonctif, des blocs de gélatine se constituent, entravant la forme fluide. Des ruptures de continuité pour les chirurgiens. Dans un soin, le travail manuel de l’ostéopathe enlève les blocs de gélatine générés par un accident. Pour l’ostéopathe, il s’agit de reconstituer la continuité de la gélatine en utilisant les ingrédients d’origine. C’est tout l’intérêt de connaître les modalités de construction dont nous parlent les paléontologues.
L’endoscope dévoile une trame de fibres et de vacuoles qui se remplissent et se vident. Ces dernières bougent, communiquent, changent de forme et de pression. Ce mouvement liquidien est compatible avec celui perçu par l’ostéopathe. Le docteur Jean- Claude Guimberteau ne fait pas référence à des notions ostéopathiques et ne valide à aucun moment l’ostéopathie. Ses découvertes sont des connaissances fondamentales. À mon sens, c’est un matériau de choix pour l’ostéopathie. La trame conjonctive, observée et filmée en chirurgie reconstructrice, montre une continuité. L’ostéopathe, en ayant accès à cette continuité dans son toucher, perçoit aussi une globalité du corps. Ainsi, je perçois des blocs de gélatine, brisures dues à des traumatismes, à des infections ou à des toxicités. Elles forment des densités à même la peau, entraves à la mobilité de cette trame conjonc- tive. Du fait de l’ubiquité et de la continuité du tissu conjonctif, les blocs de gélatine engendrent des tensions perceptibles à distance de l’entorse, de la fracture, de la luxation. Voir au bout des doigts une globalité du corps n’est plus un concept mais une réalité chirurgicale, une perception ostéopathique.
Comment le tissu conjonctif est-il une globalité ? La globalité d’un costume corporel est une réalité palpable grâce à la fluidité du tissu conjonctif. On verra plus loin cette notion de viscosité d’un corps pour des naturalistes comme D’Arcy Wentworth Thompson, pour des biophysiciens comme Vincent Fleury, pour le professeur Yves Bouligand. C’est un enchevêtrement d’une multitude de microfibrilles qui, en se croisant, réalisent des poches éphémères ou microvacuoles. Ces dernières se remplissent et se vident. On peut le voir avec l’endoscope du docteur Jean-Claude Guimberteau.
Les ostéopathes ont souvent évoqué cette notion de remplissage et de vidange. Ce qui fait dire aux ostéopathes qu’ils « sentent les os du crâne bouger ». Jusqu’à aujourd’hui, aucun instrument scientifique n’a pu montrer cette réalité perçue par les ostéopathes. L’organisation du tissu conjonctif semble correspondre aux perceptions du bout des doigts des ostéopathes. Le toucher ostéopathique, toucher tactile très superficiel, décèle des axes de mobilité. Les mouvements de remplissage et de vidange des poches du tissu conjonctif témoignent de son activité permanente. Ces axes donnent des indications sur la présence de blocs de gélatine, évoqués plus haut. Les informations ostéopathiques sont extraites de zones corporelles stratégiques, des fragments de corps dont nous parle l’anatomie comparée des paléontologues. Les zones stratégiques d’Alain sont son épaule, son omoplate, son sacrum. La désorganisa- tion est perceptible au niveau d’axes modifiés, d’alternances de remplissages modifiés, voire arrêtés. Le geste ostéopathique entre en relation avec une structure globalisante. C’est un bal incessant où des microfibrilles et microvacuoles du tissu conjonctif se construisent et se déconstruisent. C’est l’activité permanente traduisant la vie en général, que l’on ne retrouve pas sur des cadavres, que l’on ne retrouve pas sur des blocs de gélatine, zones denses sous la main de l’ostéopathe. La perte de l’alternance remplissage/vidange traduit des contraintes traumatiques, infectieuses, toxiques. Confronté à cette modification du tissu conjonctif, l’ostéopathe perçoit une densité dans ses mains. Des sensations de points fixes peuvent être perçues en indiquant une densité à distance de la position des mains, présence d’un bloc de gélatine. L’ostéopathe peut percevoir une sensation de point fixe sur un abdomen, sur une cuisse alors qu’il pose ses mains sur un dos. Par son action, l’ostéopathe intervient manuellement sur la mobilité des tissus, favorisant les échanges de nourriture du tissu conjonctif. Il s’agit de métabolites présents dans les microvacuoles. Ce sont les glyco-amino-glycanes.
L’intérêt des recherches du docteur Jean-Claude Guimberteau est de nous faire découvrir la continuité du vivant. En tant qu’ostéopathe et ancien enseignant d’anatomie, ses images me parlent de ce que je perçois. Avec l’endoscope ou avec des mains d’ostéopathe, la globalité du corps montre une viscosité. Cette malléabilité du corps rejoint les idées d’un scientifique écossais, naturaliste visionnaire et mathématicien du début du xxe siècle, D’Arcy Wentworth Thompson. « Les contours de nos corps ne sont pas ceux de corps solides mais ceux de membranes élastiques ou de films fluides. » Ce naturaliste écossais s’intéresse aux transformations géomé- triques des formes végétales ou animales. Les recherches récentes en biophysique montrent que le corps présente une certaine viscosité. Une pâte à modeler. Le vivant est une structure déformable, comme l’avait perçu D’Arcy Wentworth Thompson il y a plus d’un siècle. Forme et croissance (On Growth and Form), ouvrage de 1917, est toujours d’actualité.
Philippe Petit
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