Les enseignements du sommeil des marins pour les nuits de terriens


Dans moins de quelques jours, le navigateur Fabrice Amedeo prendra le départ de la Transat Jacques Vabre entre le Havre et la Martinique à bord de son voilier Nexans - Art et Fenêtres. Comme tous les ans, il s’est préparé à la gestion du sommeil en mer. Un sommeil en conditions hostiles, organisé selon des courtes siestes, qui est porteur de leçons pour les nuits à terre.

Les marins sont un peu des super dormeurs. Ils ne dorment pas d’une traite la nuit comme nous autres terriens mais en courtes siestes souvent interrompues par les manœuvres ou les oscillations du vent. « L’Homme est un des rares mammifères de la création à avoir un sommeil monophasique, c’est-à-dire à dormir d’une traite la nuit, explique Fabrice Amedeo. Tous les autres mammifères dorment de manière polyphasique, par courtes siestes, car ils ont des prédateurs ». En partant au large, le navigateur renoue finalement avec quelque chose d’assez naturel : il dort de manière polyphasique comme les autres mammifères ou comme l’Homme de Cro-Magnon avant lui. Pour lui, pas de prédateur mais des conditions hostiles qui le contraignent à veiller.

La nuit, le terrien dort par cycle de sommeil de 90 minutes qui le font passer à chaque fois par du sommeil léger, du sommeil lent profond (régénération physique) et du sommeil paradoxal (régénération cérébrale). Selon son profil de dormeur, il va enchainer plusieurs cycles durant la nuit : quatre s’il est un court dormeur (6 heures de sommeil par nuit), quatre ou cinq s’il est un moyen dormeur (7 ou 8 heures par nuit) ou davantage s’il est un gros dormeur (plus de 9 heures par nuit). Il peut aussi faire des cycles plus ou moins longs.

Le marin, au large, ne peut pas s’offrir ce luxe d’enchainer les cycles de sommeil et dort par courtes siestes. En fractionnant son sommeil et grâce à l’aide de la médecine, il va casser l’enchainement des cycles et essayer d’évacuer une partie du sommeil léger d’une nuit normale pour n’avoir que du sommeil lent profond et du sommeil paradoxal. « Un dormeur à terre a 55 à 60% de sommeil léger durant la nuit, donc 55 à 60% de sommeil non réparateur, explique le docteur de la Giclais, médecin du sommeil qui suit Fabrice depuis plus de 10 ans. La médecine du sommeil va permettre de déterminer les portes du sommeil du navigateur : ces moments où s’il va dormir, il va entrer plus vite dans du sommeil réparateur et diminuer le temps de sommeil léger y conduisant » … et se transformer en super dormeur en somme.
Fabrice part donc en mer avec un agenda lui indiquant ses portes du sommeil, ces moments où il devra aller dormir. Il embarque également une fiche de conseils pratiques pour mieux s’endormir.
 
Ce « super sommeil » n’est pas hors de portée des nuits à terre et 6 enseignements peuvent en être tirés pour nos nuits :

    Dormir dans ses clous

Pas évident de pousser les portes d’une clinique du sommeil pour réaliser une « exploration du sommeil » avec un médecin et repartir avec un agenda. En revanche, il est possible de trouver ses portes soi-même. Pour cela, suffit de s’écouter. Qui n’a jamais eu l’impression de s’endormir dans son assiette à 23h lors d’un diner et s’est retrouvé en pleine forme dans son lit au moment de se coucher à 1h du matin, pour ensuite passer une heure sur un livre ou devant un écran ? Voilà une première indication : nous avons une porte du sommeil à chaque début de cycle (22h30 et la porte suivante est à 2h du matin). Qui ne s’endort pas derrière son ordinateur en début d’après-midi après le déjeuner ? Cette porte du sommeil est assez universelle : il s’agit d’une diminution physiologique de la vigilance après le déjeuner. En écoutant ses besoins, ses coups de mou et ses moments de somnolence, il est facile de se faire un agenda du sommeil et savoir quand aller dormir pour aller chercher le super sommeil des navigateurs. Il sera compliqué de trouver toutes ses portes mais sans doute possible d’en trouver les principales pour mieux équilibrer ses journées et ses nuits.
 

    Attention à la douche chaude avant de rejoindre les bras de Morphée

Après une manœuvre et avant d’aller dormir, Fabrice ouvre souvent son ciré pour exposer son torse au vent frais et le rafraichir. C’est son médecin du sommeil qui le lui a conseillé car pour bien s’endormir, il faut faire baisser sa température corporelle. Du coup, contrairement à ce que l’on croit souvent, il est déconseillé de prendre une douche chaude le soir avant de s’endormir et une douche fraiche le matin pour se réveiller mais de plutôt faire le contraire : une douche fraiche le soir fera baisser la température corporelle et favorisera l’endormissement.
 

    Faire l'amour peut relaxer mais n'aidera pas à s'endormir

Comme la douche chaude, un rapport sexuel, aussi relaxant soit-il et producteur d’endorphines, fera monter la température corporelle et gênera l’endormissement. Ce peut être relaxant mais aussi très excitant et conduire là aussi à une difficulté d’endormissement. Du point de vue stricto sensu du sommeil, il est conseillé de réserver ses ébats au réveil.
 

    Manger sucrer peut favoriser l'endormissement

Quand il est en mer et doit veiller pendant de longues heures à la barre de son bateau, Fabrice s’est vu conseiller de favoriser les protéines lors de ses repas. A contrario, pour bien s’endormir le soir, il est recommandé d’éviter un diner trop protéiné et de se laisser aller à des plaisirs sucrés. Pas de sexe le soir mais du chocolat ou des sucreries oui !
 

    Éviter la lumière forte ou les écrans

En mer, Fabrice évite de porter ses lunettes de soleil quand il veut tenir éveillé pendant la journée. La lumière du soleil bloque en effet la production de mélatonine, l’hormone d’endormissement. Au contraire, quand il veut dormir, il va mettre ses lunettes un moment avant de regagner sa couchette pour lancer la production de mélatonine. Pour nous à terre donc : les lunettes de soleil seront indispensables lors d’un déjeuner au soleil si l’on ambitionne une sieste juste après. Il faut éviter également les lumières intenses dans sa chambre ou les écrans d’ordinateur ou de smartphone qui bloqueront tout autant la production d’endorphine et perturberont le début de nuit.
 

    Suivre un rituel du coucher comme le navigateur

Quand il est en mer et avant d’aller dormir, Fabrice enlève une couche de vêtement, boit un peu et sécurise son bateau. A terre, pour bien s’endormir le soir, il est recommandé de suivre un petit rituel (se mettre en tenue de nuit, se laver les dents et lire 10min dans son lit avant d’éteindre).