L’Anses a reçu un signalement d’hépatite aiguë sévère susceptible d’être liée à la consommation du complément alimentaire SriSri Kanchanara® revendiqué par son metteur en marché comme relevant de la pratique ayurvédique1. Ce cas a été jugé d’imputabilité très vraisemblable. Étant don- né la sévérité de l’effet indésirable rapporté, l’Anses porte ce cas à la connaissance du grand public et des profession- nels de santé [1]. Elle recommande qu’une attention parti- culière soit portée aux effets indésirables susceptibles de survenir suite à la consommation de tous produits contenant de l’écorce de kanchanara et invite à les déclarer au dispositif national de nutrivigilance.
Dans le cadre de son dispositif de nutrivigilance créé en 2009, l’Anses a reçu un signalement d’hépatite aiguë sévère susceptible d’être liée à la consommation du complément alimentaire SriSri Kanchanara® commercialisé par la société Shankara France. Ce produit est composé exclusivement d’écorce de kanchanara dont le nom scientifique est Bauhinia variegata. Cette plante est utilisée traditionnellement en médecine ayurvédique comme antidiabétique, antibactérien, antifongique, antitumoral, etc.
Le signalement concerne une femme de 59 ans, sans antécédent médicaux et qui ne prend aucun traitement médicamenteux. Elle a une consommation d’alcool modérée et occasionnelle. Fin mai 2019, elle débute la consommation des compléments alimentaires SriSri Kanchanara® et SriSri Amruth®. Le produit SriSri Amruth® est arrêté fin août 2019, soit après trois mois de consommation.
À partir de mi-octobre, soit après 4 mois et demi de consommation du complément alimentaire SriSri Kanchanara®, elle se plaint de fatigue. Fin octobre, la patiente constate un ictère conjonctival2. Elle arrête de consommer le complément alimentaire. Quatre jours plus tard, elle est hospitalisée en hépatologie. L'examen clinique ne révèle aucune anomalie, hormis l’ictère conjonctival. Les examens biologiques mettent en évidence une hépatite aiguë cytolytique avec une insuffisance hépatocellulaire3. Une enquête étiologique complète est menée afin d’identifier la cause de cette hépatite aiguë sévère. Elle permet d’éliminer les principales maladies infectieuses, une maladie du foie d'origine alcoolique, une maladie vasculaire ou biliaire, une maladie de Wilson4, une maladie auto-immune ainsi qu’une cause médicamenteuse. Les résultats de la biopsie hépatique sont en faveur d’une pathologie toxique, sans toutefois éliminer formellement une pathologie infectieuse.
Par la suite, l’évolution clinique et biologique est lente mais favorable. La patiente rentre à son domicile fin novembre 2019, son bilan hépatique restera perturbé jusqu’en février 2020.
Liens avec la prise de compléments alimentaires
L’imputabilité des compléments alimentaires dans la survenue de l’hépatite aiguë sévère a été évaluée en appliquant la méthode développée pour le dispositif de nutrivigilance (Anses 2019)[2]. L’imputabilité prend en compte trois composantes : le délai d’apparition, l’évolution après l’arrêt du produit en cause et ,le cas échéant, sa réintroduction, et les autres étiologies éventuellement écartées.
Pour le complément alimentaire SriSri Kanchanara®, le délai d’apparition de l’effet a été jugé « compatible ». Les effets indésirables ont régressé alors que le produit SriSri Kanchanara® n’était plus consommé et la cinétique de régression lente s’explique par la sévérité des troubles hépatiques. L’évolution a donc été qualifiée de « suggestive ». L’enquête étiologique a permis d’écarter les causes les plus fréquentes d’hépatite aiguë. La responsabilité du produit SriSri Kanchanara® dans la survenue de cette hépatite aiguë sévère a donc été jugée comme très vraisemblable, notée à I4, sur une échelle allant de I0 = exclu à I4 = très vraisemblable.
Cette même expertise a été menée pour le complément alimentaire SriSri Amruth®. Le délai d’apparition de l’effet a été jugé « incompatible », le produit ayant été arrêté environ deux mois avant l’apparition des premiers signes cli- niques. La responsabilité du produit SriSri Amruth® dans la survenue de cette hépatite aiguë sévère a donc été jugée comme exclue (soit =I0).
Des cas identiques ont-ils été décrits dans la littérature scientifique ?
La recherche bibliographique a porté sur le potentiel caractère hépatotoxique chez l’Homme de l’ingrédient du complément alimentaire SriSri Kanchanara®, à savoir l’écorce de kanchanara (Bauhinia variegata). Un seul cas clinique d’atteinte hépatique impliquant la consommation de kan- chanara a été publié. Il relate le cas d’une femme de 44 ans, qui a présenté un ictère, des selles décolorées et des urines foncées, après 6 mois de consommation de trois produits à base de plantes ou médicaments homéopathiques (Kanchnar guggulu, Punarnava Mandur et un troisième non identifié). Après enquête étiologique, le diagnostic d’hépatite d’origine toxique a été retenu. L’évolution a été favorable à l’arrêt de ces trois produits. Plusieurs produits multi- ingrédients ayant été consommés et l’un d’eux n’ayant pas pu être identifié, il n’est pas possible d’imputer exclusivement au kanchanara la survenue de cette hépatite rapportée dans la littérature. Il n’y a pas d’autre cas publié, et en particulier aucun cas ayant pour seule plante en cause le kanchanara.
Des cas identiques ont-ils été déclarés au dispositif de nutrivigilance ?
Un autre cas d’atteinte hépatite impliquant un produit dé- nommé « Kanchanara » a été déclaré au dispositif de nutrivigilance. Dans ce cas, deux autres compléments alimentaires étaient consommés simultanément (Curcuma longa et Bringaraj). La composition de ces trois produits n’ayant pu être identifiée précisément, ce cas n’a pas pu faire l’objet d’une analyse d’imputabilité.
Conclusion et recommandations
Pour le cas rapporté ici, l’imputabilité du complément alimentaire SriSri Kanchanara® dans la survenue de l’hépatite aiguë sévère est jugée très vraisemblable. Les données actuelles sont insuffisantes pour conclure formellement sur le caractère hépatotoxique de la plante kanchanara, utilisée traditionnellement en médecine ayurvédique. Cependant, au regard des différents signaux identifiés et de l’attrait croissant de la population pour ces produits, une attention particulière doit être portée aux effets indésirables susceptibles de survenir à la suite de la consommation de cette plante.
L’Anses rappelle ses préconisations habituelles relatives aux compléments alimentaires. Elle recommande :
Aux consommateurs,
> de signaler à un professionnel de santé tout effet indésirable survenant suite à la consommation d’un complément alimentaire ;
> de respecter les conditions d’emploi fixées par le fabricant ;
> d’éviter des prises multiples, prolongées ou répétées au cours de l’année de compléments alimentaires sans avoir pris conseil auprès d’un professionnel de santé (médecin, pharmacien...) ;
> de se méfier des vertus thérapeutiques prêtées aux compléments alimentaires ;
> d’être très prudent quant à l’achat de produits dans des circuits non traditionnels (internet, salles de sport...) et sans conseil individualisé d’un professionnel de santé..
Aux professionnels de santé, de transmettre les cas d’effets indésirables qu’ils suspecteraient d’être liés à la consommation de compléments alimentaires et de les déclarer au dispositif de nutrivigilance.
Fanny Huret (Anses) et Gwenn Vo Van Regnault (Anses)