Tabac, alcool et cannabis chez les adolescents : la consommation varie fortement en fonction de la configuration familiale

La consommation et l'abus d’alcool, de tabac et de cannabis par les adolescents est un important problème de santé publique en France. Myriam Khlat, Océane Van Cleemput, Damien Bricard et Stéphane Legleye[1] ont analysé les disparités dans la consommation problématique de ces substances chez les adolescents, à partir des données de l'enquête ESCAPAD menée en 2017 par l’OFDT auprès de 40 000 jeunes de 17 ans. Les consommations des adolescents sont plus fortement liées à la configuration familiale qu’au milieu social. Les adolescents vivant dans des familles monoparentales ou recomposées sont plus fréquemment sujets à des consommations à risque que les autres. On ne peut cependant en conclure un rapport de causalité entre la rupture parentale et les consommations d’alcool et de drogues des adolescents.

 

 

Des niveaux élevés de consommation de tabac, alcool et cannabis

La France fait partie des pays européens les plus concernés par la consommation abusive d’alcool et de drogues parmi les adolescents (ww.espad.org). En 2017, 25% des jeunes de 17 ans déclarent fumer du tabac tous les jours, 16% avoir connu au moins 3 épisodes d’alcoolisation ponctuelle intensive (API : consommation d’au moins 5 verres en une occasion) au cours des 30 derniers jours, et 7% déclarent fumer régulièrement du cannabis (au moins 10 consommations au cours des 30 derniers jours).

 

Une forte association entre configurations familiales et consommation de ces substances

La transition de l’adolescence vers l’âge adulte est une étape importante dans la mise en place des comportements et modes de vie liés à la santé. Les résultats de cette étude montrent une forte association entre la consommation de ces substances à l’adolescence et la configuration familiale. Avoir vécu une reconfiguration familiale, ce qui est le cas des jeunes vivant en familles monoparentales ou en familles recomposées, est associé à une fréquence plus élevée des consommations de tabac, d'alcool et de cannabis. Cependant, cette corrélation ne signifie pas qu’il existe un rapport de causalité entre rupture parentale et consommation de ces substances. On peut en effet envisager que la consommation ait précédé le changement de configuration familiale, comme moyen pour l’adolescent de faire face aux conflits et au stress préalables, ou encore que dans la nouvelle configuration la surveillance parentale soit simplement moins étroite, favorisant les opportunités de consommer.

 

Des variations de consommation plus marquées pour le cannabis et le tabac que pour l’alcool

Dans l’ensemble, l’ampleur des variations des consommations en fonction de la configuration familiale est beaucoup plus marquée pour le cannabis et le tabac que pour l’alcool (Figure 1 ci-dessous). Si l’on prend comme référence les adolescents vivant avec leurs deux parents, ceux qui vivent dans d’autres configurations familiales déclarent plus souvent consommer régulièrement du cannabis. Au sein de ces dernières, les jeunes résidant en garde partagée apparaissent comme les moins concernés par la consommation de cette substance, alors que ceux résidant uniquement avec leur père ou dans des situations complexes apparaissent comme les plus concernés. Le tabagisme quotidien est plus répandu dans les configurations familiales différentes de la situation de référence, mais les écarts entre configurations sont plus réduits que pour la consommation régulière de cannabis. Dans ce cas, l’augmentation du risque de consommer pour les jeunes vivant en garde partagée ou uniquement avec leur mère est plus faible, et celui pour les jeunes vivant uniquement avec leur père, avec un beau-parent ou dans d’autres situations, un peu plus élevé. Enfin, pour ce qui est de la déclaration d’au moins 3 épisodes d’alcoolisation ponctuelle intensive (API), l’augmentation est plus faible et les écarts relativement aux situations de vie avec les deux parents sont encore plus réduits, en particulier pour les enfants résidant uniquement avec leur mère.

 

 

Figure 1. : Variation du risque de consommation chez les jeunes selon la configuration familiale

 

(Rapport ajusté des prévalences)

 

 

Un tabagisme plus répandu dans les milieux modestes, des abus d’alcool plus répandus dans les milieux aisés, mais un usage de cannabis indifférent au milieu social

Le milieu social est également associé à la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis chez les adolescents. Toutefois cette association est moins forte que celle observée avec la configuration familiale. De plus, l’association varie en fonction des substances. Quand le milieu social est moins favorisé, le tabagisme quotidien est plus fréquent, de façon comparable à ce qui est observé généralement chez les adultes. À l'inverse, l’alcoolisation ponctuelle intensive (API) est plus fréquente dans les familles aisées. En revanche, pour la consommation de cannabis, aucune différence notable en fonction du milieu social n'a été observée. Notons que la configuration familiale et le milieu social peuvent être interdépendants de plusieurs manières. Il y a en effet des différences dans le risque de divorce selon le milieu social, et une rupture familiale a des conséquences sur la situation économique du ménage. Les analyses de cette étude en tiennent compte.

 

 

Adapter les politiques de prévention en fonction des situations familiales

L'adolescence est une période de développement caractérisée par des comportements à risque accrus, et ces résultats mettent en lumière l’intérêt de mieux adapter les politiques publiques de prévention aux spécificités de cette tranche d’âge. Ces approches pourraient en particulier tirer bénéfice de la prise en compte du fonctionnement de la cellule familiale.

 

Données utilisées

Cette étude a utilisé les données de la dernière édition de l'Enquête transversale française sur la santé et l'usage de substances à l'occasion de la Journée de la défense nationale et de la citoyenneté (Enquête sur la santé et les consommateurs lors de l’Appel de Préparation à la Défense (ESCAPAD) mis en œuvre depuis 2000 par l'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) pour suivre la consommation de substances psychoactives des adolescents en France). Les résultats obtenus s’appuient sur l'enquête menée en 2017 en France métropolitaine à laquelle 39,115 jeunes de 17 ans ont répondu.

 

 


[1] Myriam Khlat, Institut national d'études Démographiques (Ined), Océane Van Cleemput, Centre de Recherche en Démographie (DEMO), Université Catholique de Louvain, Damien Bricard, Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé (IRDES) et Stéphane Legleye, INSERM, Santé Mentale en Santé Publique, Université Paris-Sud, Université Paris-Saclay

 


Pour en savoir plus :

Myriam Khlat, Océane Van Cleemput, Damien Bricard & Stéphane Legleye, 2020, "Use of tobacco, alcohol and cannabis in late adolescence: roles of family living arrangement and socioeconomic group", BMC Public Health 20: 1-9.

 

À propos de l’Ined :

L’Institut national d’études démographiques (Ined) est un organisme public de recherche spécialisé dans l’étude des populations, partenaire du monde universitaire et de la recherche aux niveaux national et international. L’institut a pour missions d’étudier les populations de la France et des pays étrangers, de diffuser largement les connaissances produites et d’apporter son concours à la formation à la recherche et par la recherche. Par une approche ouverte de la démographie, il mobilise un large éventail de disciplines comme l’économie, l’histoire, la géographie, la sociologie, l’anthropologie, la statistique, la biologie, l’épidémiologie. Fort de ses 10 unités de recherche et 2 unités mixtes de service, il encourage les échanges et conduit de nombreux projets de recherche européens ou internationaux.