Communiqué de presse, vendredi 23 octobre 2020
Après quatre jours de vote au pas de charge marqués par un processus questionnable, les député·e·s du Parlement européen ont approuvé cet après-midi leur version des trois textes pour la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC). Si les organisations de la plateforme Pour une autre PAC se réjouissent de l’amélioration notable du règlement sur l’Organisation Commune des Marchés, elles déplorent que le Parlement n’ait pas fait le choix d’une remise en cause de la logique de la PAC pour repenser le système agricole et alimentaire européen. Les améliorations à la marge du projet de règlement sur les plans stratégiques adoptées par les eurodéputé·e·s entrent presque toutes en contradiction avec d’autres dispositions, faisant du texte un fourre-tout absurde inapte à orienter les paysan·ne·s européen·ne·s.
Un vote de la PAC marqué par le passage en force d’un compromis au rabais
Le vote en plénière de cette réforme de la PAC aura été pour le moins chaotique. Après l’avancement soudain des dates de vote de l’amendement de rejet et du gros compromis entre les trois principaux groupes politiques du Parlement, la réception tardive des listes de votes et les erreurs ou absences de traduction de certains amendements ont fini de créer la confusion. Mardi soir, après avoir retoqué un amendement qui visait le rejet de la proposition législative de la Commission européenne sur les plans stratégiques, le Parlement a adopté tous les amendements de compromis issus des négociations entre le PPE, Renew et S&D. Ce compromis, dont beaucoup d’élu·e·s vantent l’ambition environnementale, fermait de facto la porte à des amendements plus progressistes portant sur les mêmes dispositions et condamnait dès lors la réforme de la PAC à une prolongation du système actuel, sans volonté de donner un nouveau cap à l’agriculture européenne.
Les eurodéputés se sont ensuite prononcés sur le règlement dit horizontal (financement et gestion du suivi de la PAC), l’Organisation Commune des Marchés et le reste des amendements du règlement sur les plans stratégiques (hors compromis), pour terminer par le vote final des trois textes vendredi matin.
Des améliorations à la marge de la PAC mais contradictoires
Les eurodéputé·e·s ont voté en faveur de quelques améliorations du texte. Cependant, un nombre beaucoup plus important de dispositions positives ont, d’une part, été rejetées (comme par exemple le plafonnement des aides à 60 000€). D’autre part, celles-ci entrent en contradiction directe avec d’autres éléments du même texte ! Voici une liste non exhaustive des paradoxes de la position du Parlement sur la future PAC.
· Adopté, le respect du Droit à l’alimentation et du Droit au développement, mais rejetée l’atteinte des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies ;
· Adoptée, la fixation de 30% du budget du 1er pilier pour l’ecoscheme, mais rejetée l’obligation de financer l’AB dedans ;
· Adoptée, une obligation pour la Commission européenne d’empêcher qu’une même personne puisse toucher plus de 500 000 € du 1er pilier ou 1 million d’aides à l’investissement – soit non pas dans un esprit de redistribution des aides mais de barrage aux oligarques de pays de l’Est, mais rejetée l’interdiction de toucher des aides PAC pour les dirigeants des pays membres ou leur famille ;
· Adoptée, la conformité de la PAC avec l’accord de Paris, mais rejetée l’obligation de baisse de 30% des gaz à effet de serre d’origine agricole ;
· Adoptée, l’obligation de respecter les directives européennes en matière sociale (c’est-à-dire création d’une conditionnalité sociale), mais rejetée celle de respecter toutes les directives en matière de protection minimale des animaux (pour la conditionnalité de bien-être animal) ;
· Adoptée l’approbation des plans stratégiques nationaux des États membres par la Commission européenne au regard du Pacte vert, mais rejetée l’intégration des objectifs de ce dernier dans le règlement ;
· Adoptée le doublement du budget à consacrer au renouvellement générationnel (4% au lieu de 2), mais rejetées les diverses initiatives pour se détourner progressivement des aides à la surface qui encouragent l’agrandissement au détriment des nouvelles installations de paysan·ne·s.
Si les eurodéputé·e·s Renaissance semblent particulièrement fier·e·s d’avoir pu s’accorder sur quelques évolutions positives de la PAC, aucune d’entre elles, même combinées, n’est en mesure de faire évoluer globalement notre système agricole. Pour une autre PAC estime donc que le texte du Parlement européen ne correspond pas à la réforme en profondeur de la PAC réclamée haut et fort par les citoyen·ne·s européen·ne·s.
Un pas dans la bonne direction du côté de l’Organisation Commune des Marchés
Tout de même, un des trois textes aura réussi à porter une vision claire : celle de la nécessaire régulation des marchés agricoles, préalable indispensable pour redonner aux paysan·ne·s du revenu et du pouvoir dans la chaîne de valeur. Pour une autre PAC regrette cependant le rejet à quelques voix près d’un amendement qui visait à rendre obligatoire la réduction des volumes de production en cas de crise. Cette obligation aurait pourtant permis d’éviter l’effondrement des prix payés aux agriculteur·rice·s lors de périodes de surproduction, ainsi que l’export à très bas coût de nos surplus dans les pays du Sud, où ils déstabilisent complètement les marchés alimentaires locaux.
Suite du processus de négociation de la réforme : la bataille s’annonce encore longue
Le Parlement, le Conseil et la Commission européenne doivent maintenant se lancer dans l’ultime étape des négociations au niveau européen, les trilogues. Ce n’est qu’à l’issue de ceux-ci, probablement entre mars et juin 2021, que la version finale des règlements européens encadrant la réforme de la PAC sera connue. Les trilogues s’annoncent des plus complexes entre une Commission qui cherche à faire valoir son Pacte vert, un Conseil à rebours des enjeux de la décennie et un Parlement au mandat de négociations tortueux.
En parallèle, les États membres entrent dans une phase d’au moins six mois d’intense préparation de leurs plans stratégiques nationaux. En France, le vote de la PAC au niveau européen a suscité une grande mobilisation citoyenne et a permis de faire la lumière sur la responsabilité de la PAC dans les dysfonctionnements de notre système agricole et alimentaire. Le gouvernement français doit entendre les voix qui se sont exprimées et s’engager à mettre son plan stratégique national au service de la transition agroécologique, à l’instar de ce que demande la Convention Citoyenne pour le Climat. La vigie et la mobilisation citoyennes ne seront que plus importantes lorsque le débat portera sur la déclinaison française de la réforme : Pour une autre PAC entend s’investir pleinement dans cette phase cruciale.