La douleur, cette inconnue

 Puisque nous allons parler de la douleur tout au long de cet ouvrage, essayons tout d’abord de la définir. La douleur est la manifestation d’un déséquilibre dans notre corps, ressenti de façon désagréable, un peu comme une cloche qui émettrait un son strident face à un danger mena- çant le corps physique ou le « corps émotionnel », c’est-à-dire nos pensées, puisque la douleur peut aussi être de nature psychologique. Cet irritant non souhaité altère notre qualité de vie. Il crée un malaise, un inconfort. Le plus dérangeant, c’est que nous ne pouvons voir la douleur, la démontrer ou la cerner sur une radiographie ou dans une prise de sang. Nous sommes seuls à la vivre, à en faire l’expérience. Voilà un défi lorsqu’il s’agit de l’expliquer à quelqu’un.

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Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.
                                     Alfred de Musset


Puisque nous allons parler de la douleur tout au long de cet article, essayons tout d’abord de la définir. La douleur est la manifestation d’un déséquilibre dans notre corps, ressenti de façon désagréable, un peu comme une cloche qui émettrait un son strident face à un danger menaçant le corps physique ou le « corps émotionnel », c’est-à-dire nos pensées, puisque la douleur peut aussi être de nature psychologique. Cet irritant non souhaité altère notre qualité de vie. Il crée un malaise, un inconfort. Le plus dérangeant, c’est que nous ne pouvons voir la douleur, la démontrer ou la cerner sur une radiographie ou dans une prise de sang. Nous sommes seuls à la vivre, à en faire l’expérience. Voilà un défi lorsqu’il s’agit de l’expliquer à quelqu’un.

Le dictionnaire Larousse propose cette définition de la douleur : « Sensation pénible, désagréable, ressentie dans une partie du corps.» Il donne pour exemple: « La vive douleur causée par une brûlure. » Le Larousse prend également en compte la douleur d’origine psychologique: « Sentiment pénible, affliction, souffrance morale; chagrin, peine: Raviver une douleur ancienne.»

Selon l’Association internationale pour l’étude de la douleur (International Association for the Study of Pain), la douleur est «une sensation et une expérience émotionnelle désagréables en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle1 ». Nous voyons par cette définition que la douleur n’est jamais uniquement physique, mais que le volet émotionnel est toujours bien présent. La douleur est donc subjective et ressentie de façon plus ou moins intense selon les individus et leur sensibilité.

La douleur est qualifiée d’aiguë si elle est brève, bien qu’elle puisse être très intense, et elle est chronique si elle persiste plus de trois à six mois (selon les auteurs) ou si elle devient récurrente. Comme nous l’avons vu, elle a aussi son utilité, puisqu’elle peut servir de signal d’alarme et éviter ainsi que le corps se détériore.

Nous allons découvrir au fil de ces pages que la douleur a une cause, une source et même un sens !

LA DOULEUR, UN MAL NÉCESSAIRE
La douleur résulte d’un tissu altéré. Le cerveau est à l’affût, par le biais du système nerveux, de toute altération que peut subir l’organisme, et la notion de douleur est le mécanisme par lequel le corps nous signale quelque chose d’anormal ou d’inhabituel. Sans ce mécanisme criard, nous ne pourrions savoir ce qui se passe ni ce qui pourrait mettre en péril un organe ou l’organisme tout entier. Un exemple bien simple est celui de la brûlure: si vous mettez votre main sur une poêle très chaude, votre cerveau vous signifiera rapidement, par l’entremise d’une douleur aiguë, un danger de détérioration de la main. La main ne ressent pas la douleur, mais des récepteurs sensitifs situés à son niveau envoient des signaux au cerveau, qui décode cette sensation sous forme de douleur. Avant même que nous n’ayons pris conscience que la poêle est brûlante, la main s’est retirée en un éclair, par une contraction subite du biceps sous la commande du système nerveux. Les capteurs de sensations au niveau de la main envoient un signal au cerveau, qui à son tour retourne le signal de retirer la main.

La douleur est indispensable pour nous prévenir d’un danger. Certains patients diabétiques chroniques présentent une anesthésie – ou insensibilité – des pieds, due à la destruction des fibres nerveuses sensitives. Ces personnes pourront donc marcher sur un tison ardent ou sur un clou sans se rendre compte du dommage causé au pied. Elles devront par conséquent redoubler d’attention pour éviter de se blesser. En somme, la douleur est un mécanisme de protection et de survie assuré par le système nerveux.

LA SENSATION DOULOUREUSE EST PERSONNELLE
Tout le monde aurait sans doute la réaction de retirer la main d’une poêle brûlante. Pourtant, il existe des circonstances où le seuil de tolérance à la douleur peut varier considérablement d’un individu à l’autre. Prenons un exemple familier: une consultation chez le dentiste, où l’on observe les deux extrêmes. Certaines personnes peuvent se faire réparer une dent sans analgésique, tandis que d’autres nécessitent une médication pour la même intervention, ou peuvent même perdre conscience tellement, la peur aidant, la douleur leur est insupportable. D’autres personnes encore, avec l’aide de l’hypnose seulement ou de l’acupuncture, peuvent subir un traitement qui aurait pu autrement nécessiter un analgésique. La douleur est très variable selon les individus, leur âge, leur degré d’accoutumance, leur état de fatigue, leur état émotif ou autre... La douleur est donc personnelle et, dans le temps, elle pourra être d’intensité variable.

Les accouchements offrent un autre exemple intéressant. D’une personne à l’autre, la douleur pourra être radicalement différente. Certaines femmes trouvent la douleur insupportable, alors que d’autres accouchent promptement et quasiment sans douleur.

Il semble y avoir aussi une dimension culturelle dans la perception de la douleur. Je me souviens d’un épisode alors que j’étais allé travailler dans le Nord avec les Innus, plus précisément à Schefferville. J’ai été surpris de constater à quel point certains autochtones étaient résistants à la douleur. Il m’est arrivé d’intervenir avec des techniques chirurgicales sous anesthésie locale minime, et tout se passait très bien, autant chez les enfants que chez les adultes. J’ai dû traiter des enfants atteints d’otite avec perforation du tympan sans qu’ils aient mal, ou si peu.

Voilà que l’heure du départ pour mon retour à Montréal est proche, après un séjour de quelques semaines dans le Grand Nord comme médecin remplaçant. L’avion qui relie Schefferville à Montréal doit arriver au cours de la prochaine heure. Je fais une dernière tournée: tous les patients hospitalisés reçoivent des soins adéquats et la salle d’urgence est vide. Tout est calme et je m’apprête à saluer les infirmières qui ont fait un si bon travail. Compte tenu du fait qu’il n’y a qu’un seul médecin pour une population de près de 4 000 habitants, ces infirmières sont d’une efficacité et d’un savoir-faire remarquables. Elles peuvent poser un diagnostic et souvent amorcer des traitements en pleine nuit, m’évitant ainsi d’être réveillé à tout moment. Cette petite localité n’est desservie que par avion, une fois par semaine et parfois seulement toutes les deux semaines.

Je dois donc partir dans l’heure qui suit, et un confrère doit venir prendre la relève. Je pars avec quelque regret, car le travail à cet endroit est des plus agréables, le personnel, enthousiaste, et la population, tellement accueillante. Mais une visiteuse arrive. Jade Shu Lee se présente à la clinique externe de l’hôpital de Schefferville pour des contractions utérines. Elle est enceinte d’un premier bébé, et cette jeune femme d’origine asiatique me dit, très calmement, que ses contractions sont rapprochées et qu’elle va accoucher probablement très prochainement. Je fais l’examen gynécologique pour réaliser à ma grande surprise que son col utérin est déjà grand ouvert. Elle pourra sûrement accoucher dans les heures qui viennent, et les infirmières ainsi que mon collègue médecin pourront faire le suivi.

Je refais l’examen et je constate que le col est désormais complètement ouvert et que les contractions utérines sont très efficaces. Pourtant, le visage de la patiente est serein, pour ne pas dire flegmatique. Aucune manifestation de souffrance ou d’inquiétude, même s’il s’agit de son premier enfant. Elle est seule, personne ne l’accompagne. Je lui demande si tout va bien, si les douleurs ne sont pas trop fortes. Elle me fait signe que non, que tout va bien. Le bébé semble assez gros pour un si petit corps de maman. Je pratique une infiltration pour anesthésier le périnée et une épisiotomie (petite incision d’ouverture du périnée) pour faciliter l’expulsion du bébé et éviter toute mauvaise déchirure. La maman est toujours très calme et, à aucun moment, elle ne laisse entrevoir quelque malaise.

Puis tout se passe encore plus vite que prévu, les contractions sont très efficaces et une petite tête commence à pointer. Pendant tout ce temps, je parle avec Jade, qui ne laisse pas paraître le moindre signe de souffrance. Je suis ahuri d’une telle retenue face à la douleur, à moins que ses neurones cérébraux ne soient différents des nôtres? Bientôt, un beau petit garçon plein de vie va rejoindre les bras de sa mère.

Puis une infirmière accourt et m’annonce que je dois partir immédiatement, car l’avion ne peut plus attendre. Je n’ai pas terminé les points de suture pour réparer l’épisiotomie. Je ne puis tout de même pas laisser ma patiente avec cette déchirure ! Mais l’infirmière se fait plus insistante : si je rate cet avion, le prochain départ n’aura lieu que dans une ou deux semaines. Je sais que mon confrère doit arriver à l’hôpital dans moins de dix minutes, puisqu’il était lui-même à bord de cet avion.

Résigné à partir, j’explique à Jade que je dois la quitter, si elle me le permet, pour prendre l’avion, et qu’un confrère médecin va venir terminer les points de suture dans quelques minutes. Avec le sourire, elle me dit que je peux partir et, en plaisantant, mentionne que, de toute façon, les infirmières sont excellentes... À ma grande surprise, il n’y a pas de taxi à la porte de l’hôpital, mais une voiture de patrouille qui m’attend. Nous fonçons à toute vitesse vers l’aéroport, gyrophare allumé et sirène hurlante. C’est une situation bien étrange pour moi qui suis plutôt habitué à voir arriver ce type de véhicule aux urgences. Je monte dans l’avion, juste à temps, empli du souvenir de ces gens accueillants que j’ai pu aider.

Les différences dans la tolérance à la douleur sont difficiles à expliquer. Se pourrait-il que la perception de la douleur, qui n’est pas seulement physiologique, relève aussi de notre état d’esprit ?

APPREND-ON À RESSENTIR LA DOULEUR ?
De nombreux chercheurs se sont penchés sur la question de la perception de la douleur, parmi lesquels le Dr Ronald Melzack2. Ce dernier a notamment mené une étude sur des chiots élevés dans un environnement où ces jeunes animaux n’avaient jamais connu la douleur. Plus tard, lorsqu’on leur faisait une piqûre, ils réagissaient différemment des autres animaux, comme s’ils ne reconnaissaient pas la sensation de la douleur parce qu’ils ne l’avaient pas apprise. Selon le Dr Melzack, la douleur relève donc autant de l’acquis que de l’inné. Cela suppose alors que nous pouvons désapprendre à ressentir la douleur. L’hypnose nous démontre que nous pouvons manipuler la sensation douloureuse avec une programmation différente de celle que nous connaissons. Nous verrons plus en détail quels sont les bienfaits de l’hypnose au chapitre 5, qui porte sur les traitements de la douleur.

Plus de peur que de mal ?
Cela met en lumière un élément important: l’appréhension d’une douleur connue augmente la sensation de douleur, et la rend deux fois plus intense. L’inverse est aussi vrai. Un de mes patients tombait dans les pommes au moment de l’infiltration (injection de produits traitants). Je lui ai donc administré un médicament pour empêcher sa pression de chuter et pour qu’il puisse affronter cette douleur. Après deux injections, il s’est rendu compte qu’elles ne faisaient pas mal. La «douleur d’aiguille» a disparu lors des injections suivantes.

Le ressenti de la douleur (ou l’appréhension de cette douleur) n’est pas proportionnel à la taille de l’individu.

Un de mes patients, policier, me demande un jour de le voir entre deux rendez-vous, étant donné qu’il est en service. Il me demande une infiltration pour une épaule très douloureuse. Il mesure 1,90 m, pèse près de 90 kg et me presse de le soulager rapidement. Prenant mon temps pour lui administrer l’infiltration, je vois ce colosse pâlir et aussitôt perdre conscience. Lui qui était si pressé est resté plus de quarante minutes dans mon bureau, le temps de reprendre ses esprits.

J’ai souvent dû user de précaution avec les gens accompagnant un ami qui devait recevoir une infiltration. Il n’était pas rare que la personne doive sortir, tellement elle se sentait étourdie en voyant son compagnon ou sa compagne recevoir une infiltration, pourtant sans douleur et parfois même reçue avec le sourire!

Nous « oublions » parfois d’avoir mal !
Lors d’un accident de la route, il arrive souvent qu’un parent ayant subi des fractures puisse continuer à bouger et à marcher pour aider son enfant à sortir de la voiture, presque insensible à la douleur tellement son attention est centrée sur l’aide à apporter à son enfant blessé. Il en va de même lors d’un attentat, où des gens blessés par une bombe aident les autres à se relever. Une fois l’urgence passée, ils ont la stupeur de ne pas avoir ressenti la douleur d’un membre brisé ou d’une lacération profonde. Il est surprenant de réaliser à quel point notre psychisme nous joue des tours quant à la notion de la douleur. Autant nous pouvons souffrir dans son anticipation, autant elle semble apprivoisée lorsque l’attention est mise ailleurs.


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La douleur ou l’euphorie du sportif
Le sportif qui prend part à une compétition ne réagit pas beaucoup à la douleur. Il poursuit sa course même si son pied lui fait mal, même s’il ressent une pression thoracique causée par l’effort intense qui le met à bout de souffle. Et s’il lui arrive de se blesser à la cheville au dernier tour alors qu’il est en avance, il poursuit la course qui fera de lui un champion et ne s’effondrera de douleur qu’à la ligne d’arrivée. Et même là, il se relève avec le sourire, car il a gagné ! Et au médecin qui s’avance, il dira : « Je ressens beaucoup moins la douleur, parce que j’ai gagné.» S’il avait perdu, il se serait probablement écroulé avant la fin, terrassé par la souffrance. Le contexte, favorable ou défavorable, influence beaucoup notre perception de l’intensité de la douleur: sous l’effet d’une forte dose d’adrénaline, elle est moins ressentie; de plus, la nature nous a pourvus d’endorphines (morphines endogènes) qui viennent neutraliser les effets douloureux d’une blessure3. Ce sont des neurotransmetteurs, c’est-à-dire des protéines sécrétées par notre hypophyse et notre hypothalamus lors d’une activité physique intense (par exemple une course prolongée), une douleur, une excitation ou même un orgasme. En plus des effets analgésiques, il arrive souvent que les endorphines apportent un sentiment de joie et de bien-être chez des sportifs lors d’une activité intense et prolongée. Mais attention à ces sports extrêmes euphorisants, qui risquent un jour de vous contraindre à l’inactivité physique à la suite de blessures répétées. La modération a bien meilleur goût.
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LES CONSÉQUENCES FINANCIÈRES DE LA DOULEUR
Au-delà des désagréments qu’elle cause chez les individus, la douleur génère des coûts exorbitants pour la société. Selon plusieurs études par- rainées par la Société canadienne de la douleur, 15 à 29% des Canadiens souffrent de douleur chronique, et la prévalence augmente avec l’âge4. Au Canada, on estime les coûts des soins de santé liés à la douleur chronique à environ 6 milliards de dollars par an, et les pertes de productivité à 37 milliards de dollars par an5.

L’Association québécoise de la douleur chronique cite des chiffres éloquents. Ainsi, une étude réalisée par Statistique Canada en 1996 montrait qu’au Québec, la douleur chronique touchait 20% des hommes et 24% des femmes6. Si on transpose ces proportions aux données démographiques d’aujourd’hui, cela signifie que plus d’un million et demi de personnes souffrent de douleur chronique au Québec. De plus, on prévoit une augmentation de 70% de l’incidence de douleurs ou de malaises chroniques au cours des vingt-cinq prochaines années à cause du vieillissement de la population7.
D’après l’Enquête nationale sur la santé de la population canadienne de Statistique Canada pour 1994-1995, les personnes atteintes de douleur chronique grave avaient consulté un médecin plus souvent (moyenne: 12,9 contre 3,8 consultations) et avaient été hospitalisées plus longtemps (durée moyenne du séjour: 3,9 jours contre 0,7 jour) que celles qui n’en souffraient pas8.

Des économistes spécialisés dans le domaine de la santé à l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis, rapportaient en 2012 dans The Journal of Pain que le coût annuel de la douleur chronique atteignait aux États-Unis les 635 milliards de dollars par an – soit plus que les coûts générés annuellement par le cancer (243 milliards de dollars), les maladies cardiaques (309 milliards) et le diabète (188 milliards)9. Ce chiffre incluait les soins de santé aussi bien que la baisse de productivité attribuable à la douleur chronique.
En France, une étude datant de 2013, parue dans Douleurs: évaluation-diagnostic-traitement, établissait à 1 milliard d’euros par an le coût associé à la douleur10.
Le problème, on le voit, engloutit des sommes d’argent faramineuses. La facture des traitements, jumelée à celle de l’invalidité qu’elle engendre, est très élevée pour la collectivité, et des mesures doivent être mises en avant, non seulement pour en diminuer les coûts, mais surtout pour redonner aux personnes affectées une bonne qualité de vie.


LES CONSÉQUENCES DE LA DOULEUR SUR LA QUALITÉ DE VIE
Pour les personnes affligées par une douleur chronique, le coût est considérable, à tous égards. La douleur chronique constitue un lourd fardeau, non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour leur entourage. Les individus en proie à la douleur voient leur qualité de vie diminuée et leur créativité brimée. La douleur physique augmente la mortalité et l’incidence des maladies de façon générale, en particulier chez les personnes âgées. Le système nerveux sympathique, responsable notamment du rythme cardiaque et d’une foule d’autres fonctions, est activé constamment, et le stress qui s’ensuit entraîne un déséquilibre hormonal considérable. La douleur est donc bel et bien un déclencheur de maladies multiples, complexes et chroniques qui viendront s’ajouter à toute condition préalable.

 

 

Dr Gaetan Brouillard

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