Les critères diagnostiques du DSM-IV sont des repères médicaux destinés à faciliter l’approche clinique et nosologique des professionnels de santé. Pour les rendre plus accessibles et plus explicites pour un large public, quelques précisions cliniques complémentaires traduiront mieux ce qui est observé en pratique. Afin de soutenir cette approche simplifiée, six grands axes comportementaux seront distingués dans les attitudes généralement adoptées par ces jeunes filles. Bien que systématiquement retrouvés dans leurs conduites, l’importance respective de chacun de ces axes diffère selon les parcours de vie. Seront ainsi distingués les principaux repères cliniques suivants :
- des préoccupations alimentaires constantes,
- un amaigrissement progressif,
- un désarroi quant à la génitalité et la féminité,
- une activité physique imposée,
- un isolement progressif,
- une distorsion psychologique.
Des préoccupations alimentaires constantes
L’anorexie mentale se manifeste par une constante préoccupation alimentaire, et ce, même en dehors de son corollaire conscient qui est d’éviter une prise de poids. Ces jeunes filles en viennent donc à développer une peur phobique de l’aliment en perdant de vue son potentiel effet sur le corps. L’aliment devient en soi un danger, dissocié de son réel pouvoir calorique et, dans l’objectif de s’en protéger, toute la construction réactionnelle initialement consciente de la jeune fille finit par s’autonomiser dans un rituel immuable quelles que soient la qualité et la quantité du nutriment. Avec le temps, la restriction alimentaire se fait d’ailleurs de plus en plus drastique et le contrôle des apports de plus en plus sévère.
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Jalila, 17 ans (IMC minimal : 14,0), fait chaque jour la cuisine pour toute la fratrie au retour du lycée. Elle est pour son père « l’indispensable fée du logis ». Elle mange très peu à table, occupée à servir et à se lever pour vaquer dans la cuisine. Elle vomit en fin de repas le peu qu’elle a pris.
Leïla, 28 ans (IMC minimal : 13,2), a ritualisé ses repas quotidiens : elle prépare avec attention une salade composée, la consomme puis va la vomir, s’attelle à un second plat, le vomit à nouveau et tente parfois un dessert qu’elle ne garde pas plus.
Dominique, 23 ans (IMC minimal : 13,8), consomme tout son repas, mais chaque bouchée est mastiquée longuement, réduite en petites boulettes qu’elle glisse ensuite discrètement dans son sac pour les jeter plus tard.
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Dans cet esprit de vérification et de filtration des ingesta, ces jeunes filles deviennent souvent de bonnes cuisinières pour pouvoir s’investir dans les préparations culinaires familiales, aux fins de s’assurer un meilleur contrôle des repas servis.
Leur comportement à table est cependant variable selon leur profil clinique. Certaines d’entre elles (anorexie restrictive) ne goûtent aux plats que du bout des lèvres, « picorant » de très faibles quantités et ne se focalisant, le plus souvent, que sur des aliments non caloriques (salade, légumes). D’autres, plus nombreuses (anorexie purgative), mangent comme les autres convives à table (parfois même plus, conduites par leur faim et leurs envies), mais doivent très vite s’absenter après le repas, pour provoquer des vomissements libérateurs de l’angoisse et de la culpabilisation nées pendant le repas.
La faim ne disparaît pas tout de suite et, au début de la maladie, les jeunes filles ont encore une envie de manger qui les tenaille et les pousse à des comportements variés destinés à tenter d’en contrôler les effets. C’est à ce stade que les pulsions boulimiques
sont les plus fortes, mais aussi que les troubles de l’humeur, la culpabilisation et les anxiétés sont les plus intenses.
S’installent alors insidieusement des émotions ambivalentes, oscillant entre faim tenace et peur des vomissements douloureux, entre désir et culpabilisation, dont les alternances déstabilisent progressivement la jeune fille qui glisse vers un état d’épuisement physique et psychologique qu’elle ne peut plus endiguer. Cette soif de tout dominer et de tout contrôler se traduit par l’installation de rituels rigides qui, avec le temps, deviennent de plus en plus auto- nomes et exigeants, conduisant la jeune fille à un comportement qui lui échappe totalement. Le désarroi puis la détresse qui en découlent fixent les privations forcées de la jeune fille à un niveau de quasi- suppression de l’apport nutritionnel.
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Jalila doit lutter tous les jours contre ses envies intenses de manger. Pour couper ce besoin, elle consomme entre 130 et 150 chewing-gums par jour. Ces mastications l’apaisent au plan psychologique et diminuent nettement ses pulsions alimentaires quotidiennes. Lorsqu’elle oublie un de ses paquets de chewing-gums, elle présente brutalement tous les signes d’un état de manque toxicomaniaque.
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