Le terme « anorexie » est une composition construite à partir du préfixe grec an signifiant « privation » ou « absence de », associé au suffixe orektos signifiant « appétit ». Il semble que la création de ce mot soit assez récente, probablement de la fin du xvie siècle, afin de désigner la perte d’appétit dans son sens le plus large possible, sans présumer de sa cause. Son utilisation médicale régulière dans cette vaste acception désigne, de ce fait, une large gamme de pathologies conduisant à de nécessaires précisions de langage lors de son emploi.
L’anorexie organique
L’anorexie sans autre qualificatif décrit simplement le constat de la perte d’appétit chez une personne. Elle peut donc être observée à l’occasion de diverses pathologies, ce qui nécessite, à chaque fois que ce diagnostic est évoqué, d’approfondir l’observation clinique pour déterminer si la causalité est organique ou psychologique.
De ce fait, différents diagnostics « différentiels » s’imposent aux cliniciens qui doivent envisager successivement les grandes étiologies organiques et psychologiques que suggère l’association d’une anorexie et d’un amaigrissement.
Doivent ainsi être évoquées aussi bien certaines maladies aiguës telles que la tuberculose, l’hyperthyroïdie, les ulcères de l’estomac... que des pathologies chroniques telles que l’insuffisance respiratoire, l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, la maladie de Crohn, les cancers...
Dans ces situations cliniques, le manque d’appétit provient de la maladie causale et, par conséquent, la dégradation physique est généralement antérieure à l’anorexie. Pour ces malades, l’envie de manger est très nettement altérée, les aliments sont souvent sans saveur et l’odeur des plats, parfois intolérable, provoque nausées ou dégoût.
L’anorexie mentale
Dans l’anorexie mentale, la dégradation physique est, à l’inverse, secondaire à l’anorexie. Il n’y pas de manque d’appétit ou de perturbation des sens. Les saveurs et les goûts sont préservés et, de ce fait, au début de la maladie, il persiste une réelle faim contre laquelle la personne cherche à lutter. Cette sensation va toutefois progressivement s’émousser en raison de la prolongation du comportement restrictif et de l’atrophie secondaire de l’estomac, dont la rétraction engendre une rapide sensation de réplétion lors de la prise alimentaire, bloquant toute nouvelle appétence et restreignant encore les futures prises alimentaires. Au final, comme le décrivait Lasègue1 en 1873, « ... l’appétit se perd en ne mangeant plus ».
Pour porter le diagnostic d’anorexie mentale, la communauté médicale internationale, après de complexes débats riches en propositions variées, s’est finalement accordée pour adopter la définition que l’Association américaine de psychiatrie avait fait paraître en 1994 dans son manuel diagnostique à éditions périodiques, encore appelé « DSM-IV » (pour Diagnostic and Statistical Manual – 4e révision).
Ces critères diagnostiques de l’anorexie mentale sont les suivants : - refus de maintenir un poids corporel au niveau ou au-dessus d’un poids minimum normal pour l’âge et pour la taille (l’indice de masse corporelle étant aujourd’hui le repère le plus sou- vent pris en compte) ;
- peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale ;
- altération de la perception du poids et/ou de la forme du corps, dont l’influence excessive perturbe le jugement objectif conduisant à un déni de la gravité de la maigreur ;
- chez les femmes pubères, apparition d’une aménorrhée (absence de règles durant au moins trois cycles consécutifs).
Les critères cliniques définissant la maigreur qui accompagne l’anorexie mentale reposent donc sur l’indice de masse corporelle. Cependant, il faut rappeler que les normes médicales sont définies de manière statistique pour s’appliquer à l’échelle des populations et qu’elles ne déterminent pas obligatoirement un risque à chaque niveau individuel. Si, pour une large population, un IMC supérieur à 25 kg/m2 expose statistiquement à un risque de maladie, rien ne permet d’affirmer qu’un individu en particulier, dont l’IMC serait à 27 kg/m2, rencontrera un problème de santé. Ce qui est vrai statistiquement pour une population ne l’est plus à l’échelle d’un individu. Ces chiffres calculés de l’indice de masse corporelle doivent donc être interprétés au cas par cas, selon des critères propres à chaque sujet. Ce qui est vrai pour l’obésité l’est aussi, bien sûr, pour la maigreur qui ne doit donc être analysée que globalement, tenant compte aussi bien d’éléments cliniques et biologiques que psychologiques et comportementaux.
Pour faciliter la prise en charge des jeunes femmes souffrant d’anorexie mentale, cinq stades de gravité dans la maigreur ont été distingués :
- grade 1 : de 18,5 à 17 kg/m2,
- grade 2 : de 16,9 à 16 kg/m2,
- grade 3 : de 15,9 à 13 kg/m2,
- grade 4 : de 12,9 à 10 kg/m2,
- grade 5 : inférieur à 10 kg/m2.
Les grades 4 et 5 sont considérés comme dangereux, engageant très souvent le pronostic vital de la patiente et conduisant le plus souvent à une hospitalisation rapide.
Si les critères diagnostiques de l’anorexie mentale mettent clairement en avant la problématique psychologique comme fondement au contrôle du poids et du corps, ils doivent être complétés, pour mieux appréhender la prise en charge ultérieure, par des informations quant aux moyens utilisés par la jeune femme. Pour simplifier cette approche, deux grandes attitudes ont été distinguées :
- l’anorexie avec crise de boulimie purgative
Dans cette forme, la personne souffre d’envies de manger incontrôlées (les crises compulsives alimentaires ont lieu au moins deux fois par semaine) qui la conduisent, après l’ingestion, à des comportements compensatoires pour prévenir une prise de poids. Ces derniers sont, la plupart du temps, soit des vomissements provoqués, soit des prises abusives de laxatifs ou de diurétiques. Le comportement boulimique est brutal, la nourriture étant consommée en grande quantité sur un temps très court. Parfois, les aliments sont choisis (chocolat, gâteaux, desserts sucrés...), parfois ils ne le sont pas et les premiers aliments trouvés sont alors consommés avidement quels que soit leur goût, ou indépendamment des habituelles préférences de la personne. Si cette crise débute et se finit brutalement, elle n’est pas pour autant un moment de plaisir. Certes, dans les premières secondes s’installe parfois une impression de soulagement, mais surviennent très vite, par la suite, des sensations pénibles de mal-être et d’anxiété pendant la crise, suivies après celle-ci d’une grande culpabilité quant à cette perte de contrôle, associée à un sentiment de détresse et de honte d’avoir cédé à la pulsion. La crise s’arrête faute de nourriture ou faute de place physique dans l’estomac, les douleurs abdominales, un malaise ou des nausées soulignant le trop-plein gastrique. Des vomissements provoqués en terminent généralement le cycle.
- l’anorexie restrictive
Il s’agit d’une forme isolément restrictive, la personne ne présentant ni épisodes d’hyperphagies incontrôlées, ni comportements compensatoires pour prévenir la prise de poids. Cette anorexie « pure » est caractérisée par un contrôle absolu de la prise alimentaire, reposant le plus souvent sur une analyse très fine et souvent pertinente biologiquement de la quantité de calories réellement ingérées. Cette forme est moins fréquente que la précédente.
Dans les deux cas, le comportement alimentaire de la jeune femme est soutenu par une activité physique intense dans un objectif de perte ou de contrôle pondéral supplémentaire. Il ne s’agit pas de la recherche d’une quelconque performance sportive ou de l’obtention d’un résultat compétitif, mais, plus prosaïquement, de la volonté de brûler toutes les calories qui ont été prises pendant le ou les repas précédents.
L’anorexie mentale touche généralement les jeunes filles de 15 à 20 ans mais elle peut s’installer un peu plus tôt dans une période prépubertaire ou un peu plus tard chez la femme jeune :
- l’anorexie prépubertaire
Durant la période prépubertaire et pubertaire, les critères diagnostiques du DSM-IV sont plus difficiles à appliquer en raison de la variabilité des modifications corporelles survenant d’une jeune fille à l’autre. De ce fait, le concept de surveillance de la prise de poids et de la croissance en taille est moins aisé, ce d’autant que par ailleurs, les menstruations sont parfois irrégulières durant cette période. Dans ces conditions, le diagnostic reposera moins sur des critères cliniques que sur des comportements, notamment s’agissant des commentaires que la jeune fille peut tenir sur son corps, sur la puberté naissante ou sur la teneur de ses repas...
- la forme tardive après 25 ans
S’il n’est pas rare de faire le diagnostic d’anorexie mentale après l’âge de 25 ou 30 ans, il est parfois plus difficile de savoir quand a réellement commencé la maladie. Le plus souvent, il s’agit d’une attitude réactionnelle à un événement récemment survenu et vécu comme traumatisant. Parfois, l’anorexie signe plutôt la résurgence d’un épisode de l’adolescence passé inaperçu et qui se décompense brutalement à l’occasion d’un événement particulier.
Habituellement classée dans le grand cadre nosologique des troubles du comportement alimentaire, l’anorexie mentale est en fait une altération de la personnalité et de l’image du corps, la perturbation du comportement alimentaire objectivé n’étant qu’un moyen d’expression.
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