Prélèvements d'échantillons d'eau et de larves de moustiques en milieu urbain
par la chercheuse Laura Dickson, en mission sur le terrain au Gabon.
© Institut Pasteur.
Des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec des équipes de l’IRD, de l’Université Claude Bernard Lyon 1* et du CIRMF au Gabon, viennent de démontrer que l’exposition à différentes bactéries au cours du développement des larves de moustiques (Aedes aegypti) se répercute sur leur aptitude à devenir vecteurs d’arbovirus au stade adulte. Ces résultats apportent la première preuve empirique que le microbiote larvaire peut influencer l’aptitude d’un moustique adulte à transmettre des pathogènes humains. Cette étude, publiée dans le journal scientifique Science Advances le 16 août 2017, représente une étape importante vers une meilleure connaissance du rôle joué par l’environnement dans le risque de maladies à transmission vectorielle.
Les moustiques sont des insectes holométaboles, c’est-à-dire des organismes chez qui le passage du stade larvaire au stade adulte se fait au cours d’une métamorphose. Les larves de moustiques et les adultes occupent deux habitats distincts au cours de leur cycle de vie. A l’état de larve, les moustiques se développent dans l’eau, alors qu’adultes, ils évoluent en milieu terrestre. Les caractéristiques biologiques des moustiques adultes (comme leur taille, leur durée de vie et leur sensibilité aux pathogènes humains) dépendent des conditions environnementales auxquelles ils sont exposés au stade larvaire et au stade adulte.
Depuis quelques années, la communauté scientifique a constaté que le microbiote intestinal du moustique (c’est à dire l'ensemble des micro-organismes vivant dans l’intestin de cet insecte) contribue à moduler la transmission de pathogènes. Cependant, le rôle joué par le microbiote des larves de moustiques dans leur capacité vectorielle au stade adulte était sous-exploré.
Cette question est particulièrement importante dans le cas du moustique Aedes aegypti, qui est un vecteur majeur d’arbovirus comme ceux de la dengue, de la fièvre jaune, du Zika et du chikungunya. En Afrique sub-saharienne, le moustique A. aegypti existe à la fois sous une forme urbaine et une forme forestière. Les sites où leurs larves se développent varient de manière significative : alors que le moustique « urbain » grandit dans l’eau stagnante de récipients artificiels (par exemple, des pneus usés ou bien des bidons laissés à l’abandon), le moustique « forestier » se développe dans l’eau de gîtes naturels (par exemple, dans des creux de rochers ou des trous d’arbres).
Les chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec des équipes scientifiques de l’IRD, de l’Université Claude Bernard Lyon 1* et du CIRMF au Gabon, ont observé des différences de microbiote intestinal entre les larves d’A. aegypti qui se développent dans les eaux stagnantes des villes et dans celles des forêts. En laboratoire, les chercheurs ont ensuite démontré que l’exposition aux micro-organismes présents dans un gîte larvaire, lors du développement des larves, se répercute sur les caractéristiques morphologiques et physiologiques des moustiques adultes, et notamment sur leur capacité vectorielle. En effet, l’exposition à différentes bactéries entraîne des variations dans la vitesse de développement des larves, la taille des adultes, leur système immunitaire, et leur sensibilité au virus de la dengue.
Comme l’explique Laura Dickson, premier auteur de l’étude et chercheuse à l’Institut Pasteur, « cette découverte est importante car elle apporte la première preuve empirique que les bactéries présentes dans l’environnement aquatique influencent et régulent la capacité des moustiques adultes à transmettre des pathogènes aux hommes ». Selon Louis Lambrechts, chercheur du CNRS, responsable du groupe Interactions virus-insectes à l’Institut Pasteur et coordinateur de l’étude, « notre découverte devrait inciter la communauté scientifique à s’intéresser d’avantage au rôle de l’écologie des larves d’insectes dans la propagation de pathogènes à transmission vectorielle ».
Ces résultats représentent une première étape vers une meilleure compréhension du rôle joué par les écosystèmes dans la propagation des maladies à transmission vectorielle. Les connaissances accrues sur le type de bactéries présentes dans les milieux aquatiques où se développent les larves de moustiques, pourraient permettre, dans le futur, d’élaborer de nouvelles stratégies de contrôle. Par exemple, les gîtes larvaires où prolifèrent les moustiques les plus susceptibles de devenir des vecteurs d’arbovirus pourraient être ciblés en priorité. Une autre stratégie consisterait à contrôler le type de bactéries présentes dans les gîtes larvaires afin de réduire le risque que ces moustiques deviennent un jour vecteurs de pathogènes.
* Les laboratoires français impliqués sont : le laboratoire « Hôtes, vecteurs et agents infectieux : biologie et dynamique » (CNRS/Institut Pasteur), le laboratoire « Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle » (CNRS/IRD/Université de Montpellier) et le laboratoire « Ecologie microbienne » (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Inra/Vetagro Sup).
Cette étude a été financée par le programme « Investissement d’avenir » du gouvernement français, le LabEx IBEID, l’Agence nationale de la recherche, le programme Emergence(s) de la ville de Paris, et le Centre national de la recherche scientifique.
Carryover effects of larval exposure to different environmental bacteria drive adult trait variation in a mosquito vector, Science Advances, 16 août 2017
Laura B. Dickson(1), Davy Jiolle (1,2,3), Guillaume Minard (4,5,6), Isabelle Moltini-Conclois (1), Stevenn Volant (7), Amine Ghozlane (7,8), Christiane Bouchier (8), Diego Ayala (2,3), Christophe Paupy (2,3), Claire Valiente Moro (4,5) and Louis Lambrechts (1)
(1) Insect-Virus Interactions Group, Department of Genomes and Genetics, Institut Pasteur, CNRS URA 3012, Paris, France.
(2) MIVEGEC, UMR IRD 224-CNRS 5290-UM, Montpellier, France.
(3) Centre International de Recherches Médicales de Franceville, Franceville, Gabon.
(4) Université de Lyon, Lyon, France.
(5) Université Lyon 1, CNRS UMR 5557 Ecologie Microbienne, INRA UMR 1418, Villeurbanne, France.
(6) Metapopulation Research Center, Department of Biosciences, University of Helsinki, Helsinki, Finland.
(7) Bioinformatics and Biostatistics Hub, C3BI, Institut Pasteur, USR 3756 IP CNRS, Paris, France.
(8) Genomics Facility, Biomics Pole, CITECH, Institut Pasteur, Paris, France.
DOI: 10.1126/sciadv.1700585