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Tu Youyou est médecin. À 84 ans, elle explore encore les arcanes de l’art de guérir dans son pays : la Chine. Tu Youyou n’est pas une simple thérapeute qui soulage les maux de ses contemporains. C’est une chercheuse. Et c’est à ce titre qu’elle a reçu, en 2015, le célébrissime prix Nobel de médecine.
C’est la première fois que ce prix prestigieux est attribué à un Chinois, qui plus est une femme. Mais ce n’est pas le plus étonnant. La vraie surprise réside dans la nature des travaux de Tu Youyou. En quête d’un traitement efficace contre le paludisme, elle a étudié, comparé, analysé pendant plusieurs décennies plus de 2 000 recettes traditionnelles utilisées pour lutter contre les symptômes de cette maladie, notamment la fièvre. Elle a répertorié 380 produits courants qu’elle a entrepris de tester sur des souris afin d’isoler les plus actifs. Des méthodes on ne peut plus modernes pour juger de la validité de remèdes puisés dans l’une des traditions médicales les plus anciennes du monde.
DE LA TRADITION VERS LA MODERNITÉ
Cette chercheuse hors du commun (elle fut officiellement chargée d’une étude sur le paludisme par Mao-Tse-Tong dans les années 1960, alors que la Chine était coupée du reste du monde) a fini par identifier une plante efficace contre le paludisme : une variété d’armoise très utilisée en médecine chinoise traditionnelle, notamment pour faire baisser la fièvre. Tu Youyou était déjà, à l’époque, membre de l’Académie de médecine traditionnelle chinoise. Elle n’a donc pas tracé son chemin de la médecine occidentale vers la médecine chinoise, mais bel et bien de la médecine traditionnelle vers la science moderne, sans jamais renier ses racines, jusqu’à être totalement acceptée dans ce sérail très fermé et même récompensée au plus haut niveau.
Dans un premier temps, des traitements à base d’armoise (Artemisia annua) ont été mis au point et expérimentés sur l’homme. Les effets bénéfiques se sont révélés impor- tants, mais hélas peu durables. Ils s’émoussaient rapidement. Tu Youyou a continué à chercher jusqu’à isoler le principe actif responsable de cet effet thérapeutique : l’artémisinine. De nouveaux traitements furent ainsi produits et expérimentés. En une trentaine d’heures à peine, ils faisaient baisser non seulement la fièvre (très élevée dans les atteintes paludéennes) mais aussi le nombre de parasites dans le sang. Et tout cela, de manière plus durable.
Aujourd’hui, d’autres dérivés d’armoise (notamment l’artésunate) sont utilisés dans les pays où le paludisme est pandémique*, avec des résultats probants. On parle d’une réduction de mortalité de 39 % chez les adultes et 24 % chez les enfants**. À une nuance près : les parasites semblent aujourd’hui commencer à s’habituer à ces extraits d’armoise et à développer une résistance. De nouveaux travaux sont donc en cours. Il n’en demeure pas moins que c’est la médecine traditionnelle chinoise, représentée par Tu Youyou, qui est à l’origine de cette nouvelle famille de traitements contre une maladie qui fait des ravages dans le monde entier.
DES BIENFAITS AUJOURD’HUI RECONNUS
Pour la première fois, le jury éminemment sérieux du prix Nobel de médecine récompense ainsi des travaux liés à une médecine traditionnelle. Il s’en défend pourtant, précisant que « ce prix n’est pas attribué à la médecine traditionnelle chinoise, mais à la découverte d’une chercheuse qui s’en est seulement inspirée ». Certes. Mais un pas est fait. Et quel pas ! Ce à quoi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ajoute : « L’artémisinine est l’une des rares substances dérivée de médicaments traditionnels à sortir des textes anciens pour être utilisée par la médecine contemporaine basée sur la science. »
Pourtant, la médecine chinoise est loin d’être réduite au rang de thérapeutique du passé. Toujours selon l’OMS, 80 % des habitants de l’Asie ont recours à cette médecine, avant tout parce qu’elle est efficace dans de nombreux domaines de la vie quotidienne. Mais, ajoute cette organisation reconnue, « elle manque d’études scientifiques prouvant es mérites ». Cette remarque est vraie dans le domaine des plantes médicinales traditionnelles. Non seulement elles sont difficiles à trouver en Occident, mais celles qui arrivent sur le marché européen (le plus fréquemment via Internet) ne subissent aucun contrôle et sont d’une qualité souvent médiocre, voire pire. Cependant, d’autres secteurs thérapeutiques appartenant à la médecine traditionnelle chinoise font l’objet de recherches plus régulières donnant des résultats encourageants.
C’est le cas notamment de l’acupuncture. Un exemple : une étude menée par les chercheurs de l’Université de Nuremberg, en Allemagne, sur des patients atteints de la maladie de Crohn, une pathologie inflammatoire chronique de l’intestin dont les symptômes peuvent être très invalidants. Deux groupes de patients ont été observés pendant un mois. Dans le premier, les patients subissaient des séances régulières d’acupuncture (dix en tout). Dans le second, ils n’avaient droit qu’à des piqûres super- ficielles, pratiquées n’importe où. Résultat : les malades du premier groupe ont vu leurs symptômes refluer de manière significative, alors que cela ne fut pas le cas pour les patients du second. Mieux : cette amélioration durait toujours six mois plus tard. D’autres études ont porté sur les nausées de la grossesse ou l’amélioration de la microcirculation sanguine dans l’œil. Quelques troubles parmi d’autres, très divers, et pour lesquels l’acupuncture s’est révélée efficace selon les critères d’évaluation de la science occidentale moderne.
Le Qi gong, une pratique physique à visée énergétique, a également donné lieu à des évaluations. En 2007, 12 essais cliniques portant sur plus de 1 000 personnes ont révélé des effets bénéfiques significatifs dans des domaines aussi divers que la stimulation du système immunitaire, la réduction de l’hypertension artérielle, la réduction du stress, l’amélioration du fonctionnement cardiaque, la prévention du vieillissement tissulaire...
D’autres outils courants de la médecine traditionnelle chinoise ont également mon- tré leur efficacité, même si celle-ci n’a pas été entérinée par des études cliniques à la mode occidentale. La diététique, par exemple. Dans les pays occidentaux, l’intérêt de la communauté médicale pour la manière dont nous nous alimentons est récent. Quelques décennies tout au plus. La médecine chinoise, elle, creuse ce sillon depuis 3 000 ans, dans une approche globale très différente de notre vision occidentale, mais qui a largement fait ses preuves.
Mais qui est-elle, cette médecine à la fois si ancienne, si efficace et si différente ? Pour répondre à cette question, il faut avant tout aller faire un petit tour dans l’Empire du milieu.
Dr Philippe Maslo / Marie Borrel
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