Certains partenaires, certaines histoires sont à fuir. On le sent dès le début : cette relation sera compliquée, invivable, destructrice. À moins qu’elle ne soit à durée déterminée : homme marié, femme amoureuse (encore et pour toujours ?) de son ex-grand amour, problème de longueur d’ondes – l’un veut des bébés, l’autre pas. Ils cherchent l’aventure, nous la sécurité. Lui, c’est pour le sexe et elle pour l’amour... Malgré tous ces signes de mauvais augure, on s’accroche en pensant que l’amour peut tout, qu’il ou elle finira par changer et par nous aimer comme nous voulons être aimé. Attention, blessure d’enfance à l’horizon. Parfois nous rejouons dans nos amours présentes des paris bien anciens. Ces amours finissent mal, en général. Quelle souffrance dans la rupture mais quelle souffrance avant aussi.
Reconnaissons que parfois tout a mal commencé. Dès le début, nous avons su que cette relation serait compliquée, difficile, passionnelle... ou encore qu’il n’y aurait pas d’amour vraiment réciproque. Paméla se souvient : « Je sentais une réticence. J’avais très envie de partager un quotidien harmonieux, de vivre avec un homme qui m’accueille. Or, il avait un appartement très zen dans lequel je sentais bien qu’il n’y avait pas de place pour moi. Moi, je venais du Midi. J’avais un besoin de verdure, la nostalgie d’une maison ouverte dans laquelle des amis passent à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Il m’a semblé qu’il n’était attaché à rien, alors que je suis casanière, aimant mes objets, mon environnement... J’ai senti que cet homme ne voudrait jamais vivre avec moi mais notre amour naissant était si fort ; je pensais qu’il changerait. Après tout, il avait bien vécu avec une femme une quinzaine d’années... ».
On réussira à les faire changer...
Le croire est notre pire erreur. On ne change jamais personne. À notre décharge, certains pensent sincèrement qu’ils pourront vivre à notre diapason mais l’expérience prouve que les réticences du début demeurent à la fin et sont souvent la cause de la rupture. Notamment dans ces histoires où les modes de vie, les désirs sont incompatibles. Mais nous ne voulons pas nous attarder à ce « détail ». Nous oublions ce qui nous a mis la puce à l’oreille. On refuse de s’arrêter à l’anecdotique pour se concentrer sur l’essentiel : le partage, le désir, les moments merveilleux... avons-nous tort, vraiment ?
Est-ce que ce bonheur suprême ne valait pas le prix que nous l’avons payé ? Alicia-Shéhérazade a toujours su que cette histoire ne pourrait pas durer. Son jeune amoureux ne lui a pas caché son désir d’avoir une famille, des enfants. Ses filles à elle, ne pouvaient lui suffire. Elles avaient déjà un père. Il les avait connues adolescentes. Il voulait devenir papa, voir sa femme s’arrondir, participer à la naissance de son propre bébé, avoir la joie de donner un biberon, de découvrir les premières dents...
La rupture a été brutale et le mensonge d’une double vie secrète vécu comme une trahison mais au fond, la surprise n’a pas été totale même s’ils avaient parlé d’adopter. Peut-être faut-il s’attacher à ce qui est dit dans les premiers temps et ne jamais l’oublier pour ne pas tomber de trop haut ? Savoir profiter des années bénies sans se faire trop d’illusions sur un avenir.
Lou a eu la sagesse de mettre un terme à une magnifique relation avant d’en arriver à se haïr, à salir la relation pour parvenir à se quitter. Elle savait que son amant avait une petite fille et que sa femme attendait un bébé. Elle ne se sentait pas la force de lui faire renoncer aux siens. D’ailleurs, était-elle capable de lui offrir le même bonheur ? Elle, si indépendante. Elle, ayant « besoin d’air ». Elle a rompu. Elle aurait aimé qu’il lui demande de ses nouvelles mais « demander des nouvelles » est une manière de renouer. Alors, elle est allée regarder sur le site « Copains d’avant » où elle l’a vu en photo avec sa femme, sa fille et... le petit garçon blond aux yeux bleus qu’elle aurait aimé lui donner. Elle a pleuré bien sûr mais en étant fière de le voir si beau, si souriant avec son fils dans les bras.
Et si certaines histoires n’étaient pas faites pour durer ?
Parfois, il y a beaucoup d’amour mais les choix de vie sont incompatibles. L’un veut suivre son chemin, ne pas démolir ce qu’il a déjà construit... C’est son droit le plus légitime même si ça nous fait mal. Sommes-nous coupables d’avoir mis un pied dans cette relation sans avenir ? Bien sûr que non ! La vie offre-t-elle tant d’occasions de proximité avec un être si cher ? On a le droit de son côté de vouloir goûter au moins une fois à ce qui fait le sel de la vie, à savoir la vraie rencontre homme- femme. Même si nous savons, au fond de nous-mêmes, que sa durée de vie est limitée. Peut-être vaut-elle d’en payer ce prix-là ? Certes la fin sera douloureuse mais on pourra se réjouir d’avoir au moins une fois dans sa vie « connu ça ».
D’autres fois, nous sommes venus nous jeter dans la gueule du loup. Un loup qui ne pouvait pas nous convenir mais qui nous attirait irrésistiblement. Les exemples sont innombrables et responsables de la plupart de « ces histoires d’amour qui finissent mal en général » selon les Rita Mitsouko. Lou a eu une enfance éprouvante. Sa mère ne l’a ni désirée ni aimée. Elle avait le tort de ne pas être un garçon, de ne pas être assez blonde, de ne pas avoir les yeux assez bleus. Comme si l’amour maternel était sous conditions, des conditions que sa petite fille ne remplirait jamais. À cause de cet « accident » que fut sa naissance, la maman a dû épouser l’homme alcoolique et violent qui l’avait engrossée : un routier, ce qui permettait à l’ambiance pesante de cette famille de connaître quelques moments d’accalmie.
Lou a rencontré très jeune un garçon qui tomba très amoureux de cette jeune fille menue à la force de caractère peu commune. Mais il faut croire que le passé nous rattrape. Ce bonheur était trop beau pour elle. Pour un flirt avec une autre, elle l’a boudé. Il l’a suppliée mais par orgueil, elle l’a repoussé. « Une idiotie » dit-elle aujourd’hui. Peu sûre de pouvoir être aimée (il faut dire que son histoire ne la prédisposait pas à se croire aimable), elle rencontre alors le père de ses enfants. Un homme perdu, mélancolique qu’elle s’efforce de soutenir et d’aider. N’est-ce pas ça l’amour : jouer les infirmières ? En tout cas, c’est la forme de relation affective dont elle avait la plus grande expérience. Elle, dans le rôle de celle qui console sa mère déçue, relève son père pris de boisson... Elle ne voit pas tout de suite la corrélation entre son enfance et son présent amoureux.
Jusqu’au jour où elle découvre que son mari boit trop, lui aussi, que sa famille est dépressive (au point que son frère se suicide douze jours avant le mariage). Elle pensera à le quitter plus tard mais elle attend un second bébé. Elle craint le qu’en-dira-t-on dont sa mère a tant souffert : et si on venait à penser qu’elle attendait l’enfant d’un autre ?
Il arrive souvent que l’on retourne dans son couple au mode relationnel le plus marquant de son enfance. C’est ainsi que des femmes peuvent constater au bout de quelques années : « J’ai épousé ma mère. » Parfois cela donne de belles histoires. On rencontre un homme « froid » comme son père. Une femme aussi dépressive que l’était sa mère... En espérant gagner cette fois le pari impossible de son enfance : tirer de l’amour d’un cœur de pierre, faire renoncer un malade de l’alcool à son antidépresseur privilégié. Quelle réussite ! Quelle fierté ! Avoir changé quelqu’un par amour. Hélas, c’est une loterie à laquelle on perd plus qu’on ne gagne et que d’énergie dépensée !
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POURQUOI FAIT-ON DE MAUVAIS CHOIX AMOUREUX ?
• Pour soigner une blessure d’enfance, rejouer au présent une relation subie autrefois : indifférence, déprime, violence, humiliation... mais dans l’espoir cette fois de gagner la partie en rendant amoureux celui qui ne sait pas aimer, la gaieté au déprimé, la sobriété à l’alcoolique, le respect et la douceur au violent... Pari dangereux et presque toujours perdu : on ne change personne ! À moins qu’il ne le veuille.
• Pour soigner une blessure d’amour. On a eu tant de peine que ce soit fini que l’on se précipite sur le premier (ou la première) qui semble nous choisir. Pour oublier. Mais cette histoire sera-t-elle suffisamment forte pour remplir sa mission ? C’est possible mais risqué.
• Pour soigner une blessure narcissique. On se trouve moche, bête, sans intérêt, etc. Et voilà qu’on nous dit les mots qu’il faut. On nous remplit de compliments, on dope cette confiance en nous si déficiente. Et puis d’avoir été « élu » ne prouve-t-il pas notre valeur ? Dépendance et sérieuse déprime en vue si on vous lâche. Alors, vous serez « moins que rien ».
• Par peur de la solitude et... de l’image. On se précipite sur l’homme qui paraît providentiel parce que l’horloge biologique tourne, parce qu’on a l’impression qu’une vie célibataire sera honteuse ou insupportable...Trop de précipitation nous entraîne dans de nombreuses histoires délétères ou d’un ennui si profond !------------------------
Il n’y a pas de fautifs dans ces relations décevantes mais seulement des blessures anciennes à regarder en face et à soigner, souvent avec l’aide d’un thérapeute car nous arrivons rarement tout seuls à savoir quels schémas nous rejouons.
La peur d’être seuls
Autre grande responsable des ruptures : la précipitation. Cette fois, c’est la solitude qui nous effraie, le vide, le futur, la perspective de rester seuls toute notre vie, de ne jamais avoir d’enfant, une compagne ou un compagnon pour partager la journée, les vacances, les joies, les peines... C’est après une perte amoureuse que nous sommes les plus vulnérables à ces amours précipitées. Pour fuir un chagrin d’amour, on veut à tout prix croire que cette histoire est la bonne. On s’applique à ne retenir que les éléments positifs, la beauté physique de la personne rencontrée, la passion sexuelle... en fermant les yeux sur les points dérangeants.
Parfois, c’est aussi pour fuir une autre difficulté, celle d’un deuil, par exemple. Sylvie raconte : « J’ai rencontré un homme quelques mois après le décès de ma mère. J’avais 27 ans. La rencontre de mon futur mari m’a offert une chance unique de noyer mon chagrin dans la passion pour... quelqu’un d’arrogant et d’exigeant. J’ai donc plongé tête baissée dans cette relation qui fut difficile dès le début. J’ai accepté notamment d’être humiliée par des réflexions désobligeantes devant mes amis, de ne jamais poser de questions sur son emploi du temps, toutes choses qui auraient été inconcevables avant de le rencontrer. Et dans mon cas l’opportunité de me « glisser » aussi dans une nouvelle personnalité en devenant « la femme de... », la « belle-mère de... » son petit garçon. J’ai eu un jour la tentation de jeter mon sac à main par la fenêtre de la voiture pour en finir symboliquement avec mon ancienne personnalité. Tout cela étant renforcé par le fait que j’avais perdu mon père à 11 ans et que cet homme plus âgé et autoritaire comblait ce manque à sa façon.
J’ai souffert en plus d’être trompée plusieurs fois. Alors, j’ai compris que je m’étais fourvoyée mais nous avions une petite fille ; il était trop tard... J’étais dans une impasse. Je n’avais plus la force de partir, d’élever un enfant seule. Ne me restait que celle de contourner cette souffrance et de rester en tentant d’aimer encore cet homme... Nous avons essayé de “reconstruire” puis mon mari a rencontré une autre femme et m’a quittée ». Mais... Sylvie s’est à nouveau jetée « tête baissée » dans une nouvelle relation. « Il était plus jeune que moi cette fois et j’ai été séduite par sa gentillesse, dont j’avais fait un critère essentiel depuis ma rupture. Malheureusement, en me fixant sur ce seul critère, je n’ai pas vu le reste. Lui aussi aimait les femmes... »
LA RELATION PARAVENT
Il arrive que l’on choisisse son partenaire en réaction à une difficulté que l’on porte en soi. Et si l’on épousait, par exemple, un déprimé pour masquer sa propre tendance aux idées noires ? Tant que nous soutenons l’autre, nous ne voyons pas que nous souffrons du même mal que lui. Le tristounet, le rabat-joie, le dépressif chronique ce n’est pas nous mais l’autre. Le fait de soutenir sa « moitié » (qui pour une fois porte bien son nom puisque nous sommes les deux parties d’un même symptôme) aide à supporter son propre mal. Un mal qu’on ignore ; ce problème étant imputé à l’autre. Ainsi, nous nous sentons forts. En tout cas bien plus forts que notre conjoint... Sans le savoir, nous le maintenons dans la déprime en le privant des ressources qu’en lui-même il pourrait trouver. Mais un jour, lui aussi peut se rebeller et nous laisser face à nous-mêmes. À moins qu’allant bien mieux nous nous lassions de soutenir quelqu’un qui, lui aussi, nous ramène à la tristesse de vivre. Dans ces jeux à deux, personne n’est fautif mais tout le monde est malheureux, en y trouvant son compte.
Et puis il y a tous ces amoureux toxiques qui nous font un mal de chien. Il faut beaucoup de temps pour comprendre que leur logique n’est pas la nôtre. Avec naïveté, nous pensons parfois que tout le monde a besoin d’être aimé – et aimé comme nous aimons l’être, par exemple avec tendresse, dans une relation d’intimité, en étant proches presque fusionnels... Et que pour eux comme pour nous, c’est toujours le moment d’aimer et d’être aimé... L’idée est charmante mais elle est fausse.
Dans la catégorie des amoureux à fuir, on trouve des claustrophobes de l’amour qui aiment... de loin. Dès qu’on veut donner à la relation amoureuse ce qui en fait la richesse, la saveur, le caractère unique à savoir l’intimité, les échanges d’expériences de vie... ils étouffent, se murent, parlent de la pluie et du beau temps, de la peinture du plafond... Quand on connaît les délices du partage, on se met en colère : « Si c’est pour avoir avec toi les conversations que j’ai avec le boucher ou le plombier, quel intérêt ? » Au lit, c’est souvent la même chose. Après quinze ans d’ébats rares, silencieux, dans le noir, dans la position du missionnaire, Anna ne savait toujours pas si son mari aimait ses seins, sa peau, son odeur, quelles images, quels mots, quelles caresses éveillaient son désir... « Comme aurait dit Cyrano, c’est un peu court jeune homme » ironise la quasi virginale épouse qui a joui pour la première fois dans les bras de son premier véritable amant : « Alors seulement, j’ai connu un homme et pu entrevoir ce qu’était une relation charnelle hors des bras d’un curé. »
Les violents en tous genres...
Et puis il y a les violents en tous genres : les pervers, les manipulateurs, les dominateurs qui abusent de leur « proie » sans aucun sens de l’équité, ni même de la personne « aimée ». Ils ont de l’amour – si on peut l’appeler ainsi – une vision utilitaire. Les manipulateurs veulent que la relation leur servent à obtenir ce qu’ils veulent : de l’argent, des services, un statut social... Les dominateurs veulent en tirer le sentiment d’être puissants, bien au-dessus de la mêlée et de leur partenaire écrasé à leurs pieds. Les pervers, eux, se sentent en pleine forme quand ils nous trouvent décontenancés par leurs missiles imprévisibles, quand ils nous rendent aussi sinistres qu’eux, privés de la joie de vivre qu’ils aiment à nous voler...
De tous ces incapables de l’amour, pensons bon débarras ! L’intérêt est que nous aurons appris à les reconnaître, à les voir arriver à mille lieues. Plus jamais ils ne nous prendront dans leurs filets. De même pour les violents physiques qui ne donnent la première gifle que bien après le début de la relation quand des enfants sont déjà nés. Pas toujours facile de partir surtout quand ils jurent que plus jamais ils ne recommenceront. Et ne disons pas que les femmes « aiment ça ! » ou qu’elles l’ont « bien cherché ». Quand elles arrivent enfin à trouver la force de fuir sans mourir de peur qu’ils ne les retrouvent pour leur faire pire encore... et qu’elles rencontrent enfin un homme sachant les aimer sans les battre, soyons sûrs qu’elles savent apprécier les joies d’un bonheur non violent.
Patricia Delahaie
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