De manière plus académique, le Qi Gong8 est la traduction forcément réductrice de deux idéogrammes polysémiques chinois.
Qi
Le caractère « Qi » est le plus souvent traduit par « énergie » ou par « souffle » ou bien encore par « respiration ». Il s’agit ici de l’énergie présente en toute chose, le souffle qui anime la matière. Il sous-tend l’existence du plus petit brin d’herbe
comme du plus grand des êtres vivants. Il habite l’ensemble des variétés et espèces du monde minéral, végétal et animal, dont l’homme fait partie.
L’analyse de l’idéogramme « Qi » est édifiante : la partie supérieure représente les vapeurs qui s’exhalent de la terre pour former les nuages. La partie inférieure représente une botte de riz. L’idéogramme « Qi » met ainsi en relief la notion de vapeur qui s’élève des grains de riz et de l’eau lors de la cuisson. Symboliquement, le caractère induit ce qui suit : le travail de l’énergie nous emmène de la contrainte de la matérialité (les intempéries, les maladies peuvent gêner la croissance du riz) à l’équilibre, au calme et à la sérénité de la vapeur et des nuages. Le Qi suit un mouvement dynamique ascendant de sublimation qui part de la terre et de sa matérialité (le riz) pour s’élever progressivement vers l’immatériel, le ciel, l’éther, le subtil, le non manifesté, le noumène (la vapeur).
Pour aller plus loin, la tradition taoïste nous dit que le Qi est à l’origine du monde. En particulier, « tout être et toute chose résulte du Qi du Ciel et de la Terre ». Sans doute, le concept de Qi est un peu difficile à appréhender pour les Occidentaux habitués à la finitude rassurante des définitions. On y reviendra plus en détail dans la rubrique consacrée aux grands concepts de la culture chinoise mais à ce stade retenons que le Qi est également l’énergie ou la force qui emplit l’Univers en provenance du Ciel (tianqi), de la Terre ou de l’homme lui-même. Le Qi de l’homme est pour sa part influencé par le Qi du Ciel (rayons du Soleil ou de la Lune, mouvement des astres), par le Qi de la Terre (saisons, température, aléas climatiques, etc.), d’où l’intérêt pour l’homme d’en prendre conscience et de suivre les lois de la Nature et de sa nature.
Ainsi, si le Qi peut prendre selon la croyance taoïste la signification de « souffle cosmique », on s’intéressera dans le présent ouvrage davantage à sa définition en tant qu’« énergie vitale » de l’individu, une forme de vibration subtile en provenance directe de la racine de la vie que les Chinois appellent le Tao. Cette « énergie vitale » de l’individu est une combinaison de ce qui est reçu du ciel et de ses ancêtres, mais plus important ici, elle dépend également de la qualité de l’air et de la façon dont on respire, des aliments et des boissons que l’on ingère, du magnétisme ambiant (écrans d’ordinateur, téléphones portables et cartes 3G, antennes relais, rasoirs électriques, etc.), de nos émotions, de la qualité de notre environnement (calme, parfums, paysages, etc.), de notre vie culturelle et spirituelle, de notre activité physique ou de notre médication. Selon les taoïstes, pour une large part à l’origine du Qi Gong, le bon Qi est la résultante d’un art de vivre combinant la qualité de l’air et de notre respiration, des aliments matériels ou immatériels que l’on ingère, de la gestion de nos émotions et si possible d’une vie liée à nos aspirations fondamentales.
Gong
Mélange de l’habileté de l’artisan et de la force, le caractère « gong » signifie le « travail », l’application soutenue et persévérante pour une activité mais également l’œuvre achevée, l’aboutissement du travail, l’atteinte du but poursuivi.
C’est le travail répétitif de l’artisan ou de l’artiste qui prend du temps (le polissage du galet) et qui débouche sur la maîtrise, le « gongfu » permettant la réalisation d’une œuvre. Cet entraînement permet l’intériorisation d’une pratique quelle qu’elle soit : la poterie, les arts martiaux ou énergétiques, pratique devenant alors partie intégrante de soi-même. À l’image de la conduite automobile, on maîtrise l’art de conduire lorsqu’on ne pense plus aux actions qui nous permettent de manœuvrer notre véhicule. N’y pensant plus en roulant et fonctionnant par une somme d’actes réflexes et internalisés, nous avons inconsciemment atteint le « gongfu » de la conduite par notre pratique assidue. Dans le même ordre d’idée, la plupart d’entre nous avons également atteint le gongfu de l’utilisation de la souris et du clavier d’ordinateur qui sont devenus partie prenante de nous-mêmes à l’image de la peau qui nous enveloppe.
Qi Gong
Ainsi, le Qi Gong, par simplicité et simple apposition de caractères, se traduit le plus souvent par « travail de l’énergie »9. Traduire étant trahir, on perçoit bien que cette appellation est nécessairement réductrice.
Une gymnastique thérapeutique
Au-delà de cet exercice sémantique, le Qi Gong est surtout l’une des cinq branches de la médecine traditionnelle chinoise (MTC).
Outre le 1) Qi Gong, la MTC comprend 2) la pharmacopée (soigner par les plantes, les minéraux, les champignons, etc.), 3) la diététique et l’alimentation10, 4) les massages et 5) l’acupuncture – couplée le plus souvent avec la digipuncture (pression des doigts) et la moxibustion (chauffer les points d’énergie). Même si la médecine traditionnelle chinoise a une vocation essentiellement préventive11, elle sait également devenir curative lorsque la situation l’exige notamment en combinant plusieurs voies thérapeutiques (acupuncture + Qi Gong + plantes par exemple). Chacune de ces cinq branches cherche à préserver la santé en assurant l’équilibre Yin/Yang des Organes et en permettant la meilleure circulation du Qi (énergie vitale) possible à l’intérieur du corps. Parce que le travail énergétique se passe à l’intérieur du corps sans intervention externe, le Qi Gong est parfois appelé « acupuncture interne » ou « auto- acupuncture ». Comparativement aux quatre autres branches de santé cependant, le Qi Gong ne nécessite aucun accessoire pour travailler. « L’homme naît complet » pour se soigner.
Combinaison de gestuelle, de respiration et d’intention mentale, le Qi Gong n’est pas spectaculaire pour celui qui regarde le pratiquer puisque le spectacle est à l’intérieur. L’observateur voit se succéder des postures statiques (zhanzhuang) ou dynamiques mais pratiquées lentement, des postures verticales, assises sur une chaise ou sur un coussin de méditation (zafu) ou bien encore couchées, des exercices privilégiant le corps et l’externe (waigong) ou au contraire le mental et l’interne (neigong), des exercices d’automassages (anmo) à travailler seul ou à plusieurs, des exercices respiratoires ou des sons, avec des accessoires ou le plus souvent à mains nues... bref une diversité qui fait la richesse de la discipline et qui s’explique par les apports successifs des lettrés, des médecins, des militaires, des confucianistes et des religieux taoïstes et bouddhistes chinois depuis près de 5 000 ans.
Concernant les formes les plus visibles et dynamiques (waigong), le mouvement cherche à combiner dans une fluidité naturelle les mouvements du corps, de la respiration et du mental. De la même manière que vous ne pensez pas à passer vos vitesses ou à respirer lorsque vous conduisez, la maîtrise du Qi Gong emmène le pratiquant dans une zone où il n’a plus conscience de pratiquer, où seule l’énergie semble se mouvoir. Il est difficile alors de savoir si c’est le corps qui meut la forme ou le contraire. On dit alors que la forme vous dirige autant que vous dirigez la forme. À ce stade, elle devient une forme sans forme inspirée par le seul mouvement de l’énergie. Vu de l’extérieur, le mouvement est assuré sans être rigide, équilibré et ancré sur les appuis, centré et aligné, fluide et coordonné dans les gestes, harmonieux et esthétique, relâché et détendu. On sent le pratiquant présent dans l’ici et le maintenant avec une forme de détachement naturel et heureux qui donne à l’ensemble une radiance de paix. Pareillement au monde de la peinture, le pratiquant chevronné devient un « artiste énergétique », la forme, la présence et le mouvement du corps ayant remplacé la toile.
Dans l’évidence et la simplicité de sa gestuelle, le Qi Gong ne recherche pas la performance d’un chronomètre ou le dépassement de ses limites par l’effort et la contrainte. On ne transpire pas abondamment, on arrête un mouvement dès que la douleur contrarie le travail énergétique ou l’intention de ce que l’on souhaite travailler. À ce titre, on entend parfois humoristiquement qualifier le Qi Gong d’« anti-sport ».
Laurent Chateau
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