Le monothéisme est une croyance religieuse fondée sur l’existence d’un dieu unique. Les écrits bibliques font naître le culte du dieu d’Abraham environ 2 000 ans avant notre ère. Bien qu’il n’existe aucune preuve archéologique pour confirmer cette datation issue de la Bible, on considère toutefois que le judaïsme est la plus ancienne tradition religieuse monothéiste. Il ne fait aucun doute que cette religion est la mère spirituelle des autres religions monothéistes abrahamiques : le christianisme et l’islam.
En Égypte, durant le Nouvel Empire, Amenhotep IV fut le dixième pharaon de la XVIIIe dynastie. Connu aussi sous le nom d’Akhénaton, il fut l’époux de la splendide Néfertiti et le père de Toutânkhamon. Il a minutieusement élaboré le premier projet d’une religion monothéiste, le culte du globe solaire rayonnant Aton, le souverain de l’horizon dans lequel Rê se révèle. Rejetant le panthéon polythéiste traditionnel, Akhénaton se considérait comme le premier et l’unique prophète de dieu. Pour lui, politique et religion étaient indissociables et rattachées exclusivement à la fonction de pharaon.
Il fit construire à mi-chemin entre Memphis et Thèbes, sur un site désertique, pur de toutes références passées, sa nouvelle capitale à la gloire d’Aton, l’actuelle ville de Tell El-Amarna enclavée dans un cirque rocheux et ouverte sur la rive orientale du Nil. Comme cela avait été le cas pour Osiris au cours du Moyen Empire, le nom d’Aton fut inscrit dans un cartouche exclusivement réservé aux rois. Le dieu Aton, maître des cieux, dirige l’univers comme pharaon maître des Deux Terres dirige l’Égypte : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. Dieu est roi, le roi est dieu. » La divinité est représentée par un globe solaire dont les rayons se terminent par des mains qui descendent sur Terre pour donner le souffle de la vie par l’intermédiaire du couple royal.
Akhénaton hérétique rationaliste ou tout simplement traditionnaliste ? Certaines similitudes avec les coutumes de l’Ancien Empire (IIIe dynastie sous le règne du roi Djoser, les temples solaires de la Ve dynastie) laissent entrevoir la possibilité d’un retour aux traditions anciennes. Les hymnes d’Akhénaton sont semblables, quasiment mot pour mot, aux textes antérieurs et le disque solaire Aton était déjà vénéré par Amenhotep III, son père. Comme dans la tradition antérieure, le dieu d’Akhénaton est révélé par le disque solaire mais reste invisible, caché dans les contrées célestes de l’au-delà. La courte durée de cette réforme religieuse ne laisse aucun doute sur son rejet et permet que l’on s’interroge sur son contenu spirituel, intellectuel, et surtout sur la façon radicale avec laquelle elle a été imposée.
Beaucoup d’auteurs se sont engouffrés dans la brèche ouverte par le manque de preuves archéologiques et surtout par les incohérences chronologiques des écrits bibliques. L’idée que le monothéisme hébraïque s’inspirait du culte d’Aton a été largement exploitée, jusqu’à confondre Moïse avec Akhénaton alors qu’au moins un siècle les sépare. L’existence de textes égyptiens contenant des formules telles que « Ô forme unique, [...] dieu unique sans égal, [...] » est incontestable. Mais est-ce suffisant pour affirmer que l’on est en présence d’un culte monothéiste ? En considérant que tous les êtres, vivants ou non, possèdent un caractère unique, de telles invocations pourraient très bien être adressées à chacun d’eux. Avec très peu de textes sur l’histoire de l’Égypte antique, que savons-nous réellement des croyances et des pratiques religieuses des anciens Égyptiens ? Avons-nous bien interprété leur symbolisme, leur philosophie, leur ésotérisme et peut-on les rapprocher du monothéisme biblique ?
L’arrivée du culte d’Aton a eu lieu au cours de la XVIIIe dynastie, période où l’Égypte connut son explosion culturelle à l’instar de l’Europe durant la Renaissance italienne. En 1348av.J.-C, Amenhotep IV accède au trône sous le nom d’Akhénaton, « celui qui est utile à Aton », et fait construire sa nouvelle capitale Akhétaton, « la contrée de lumière d’Aton ». La racine Akhet représente le point où l’on voit se lever le Soleil, le passage de l’invisible au visible. La racine Iten signifie « globe, sphère » et se trouve très souvent traduite par « disque ». Le culte d’Aton, dieu unique sans égal, a supplanté celui d’Amon le dieu caché, et a été à l’origine de grands bouleversements.
Tout d’abord dans le domaine artistique où l’on voit apparaître une nouvelle iconographie et des statues androgynes aux formes caricaturales. Cet art nouveau que nous pouvons admirer au travers des célèbres colosses d’Akhénaton, nous a longtemps fait penser que le monarque était atteint d’une maladie génétique. Il s’agit en fait d’une innovation, comme c’était dans les usages, permettant d’immortaliser la personne du roi et d’annoncer la rupture qui allait marquer son règne.
Ensuite, dans le domaine politico-religieux, ce fut un véritable raz-de-marée. Les temples à la gloire d’Aton ont perdu leur caractère ésotérique pour être à ciel ouvert, exposés directement à la lumière du Soleil. Les anciennes autorités religieuses ont été évincées, laissant au roi le monopole des pouvoirs politique et religieux lui permettant d’être l’unique lien de communication avec dieu. Le dieu Amon fut banni, son nom fut retiré du nom de naissance du roi (Amenhotep devint Akhénaton) et effacé de tous les monuments d’Égypte. Le point culminant de cette nouvelle religion est le statut réduit de la déesse Maât lors de la cérémonie d’offrande du nom au dieu Aton. Le roi, orné de plumes, se substitue à la déesse Maât comme pour laisser l’exclusivité divine à son dieu. N’étant plus évoquée, l’existence des autres divinités se voit rejetée, le multiple polyvalent est remplacé par le tout unique.
Sur le plan philosophique, Akhénaton a tenté d’effectuer une transformation fondamentale de la pensée égyptienne en rejetant cette forme de multiplicité complémentaire qui la caractérise. On est bien en présence d’un monothéisme dogmatique où la nature d’Aton, dieu sans égal, n’est révélée qu’au monarque, son unique prophète. Voici ce que l’on peut lire dans l’hymne au disque solaire : « [...]. Quand tu reposes à l’Occident, sous l’horizon, la Terre est dans une ombre, semblable à celle de la mort. À l’aube, tu resplendis dans l’horizon, tu illumines, toi le Soleil [...] ». Certains auteurs considèrent qu’Akhénaton est le premier existentialiste connu, car pour lui n’existe que ce qui est visible. Pour d’autres, sa doctrine se distingue par la non-présence du divin durant les heures de la nuit qui représentent la mort. Mais là encore, a-t-on bien interprété la philosophie d’Akhénaton ? La nuit n’est-elle pas la contrepartie complémentaire du jour, comme la mort est celle de la vie, comme Seth est celle d’Osiris et le désert celle du Nil ? Au vu de l’importance que les Égyptiens accordaient aux rites consacrés aux défunts et l’attachement d’Akhénaton pour certaines coutumes antérieures, on pourrait bien envisager d’autres hypothèses.
Chercher à rapprocher le monothéisme biblique d’un culte religieux égyptien devient dès lors une tâche très périlleuse. Rechercher ce rapprochement au travers des textes, alors que notre conception du divin n’a rien de commun avec celle des anciens Égyptiens qui échappe à notre logique occidentale, est une tentative directement vouée à l’échec. Pour exemple, les termes nétjer et djet sont respectivement traduits, par commodité, « dieu » et « éternité » mais leur véritable sens reste difficilement accessible. En revanche, il est permis de penser que la réforme philosophique d’Akhénaton constitue les prémices de la pensée occidentale, et que les religions monothéistes abrahamiques ont probablement été influencées par la philosophie et les rites de l’antique Égypte.
Le roman initiatique L’âne d’or ou les métamorphoses, écrit au IIe siècle ap. J.-C. par Apulée, nous révèle l’existence, en Grèce, de pratiques rituelles consacrées à Isis et Osiris, ainsi que des croyances relatives aux divinités égyptiennes comme Seth et Anubis. Au chapitre IX, on peut lire que « Le Soleil s’était plongé dans l’Océan et éclairait maintenant les régions souterraines de l’univers.» Le traducteur, Pierre Grimal, précise dans ses notes que le Soleil, parvenu dans l’Océan, revient vers l’est en faisant le tour de la Terre mais que cette phrase n’implique pas la croyance en la rotondité de notre planète ; cependant elle rappelle étrangement la course nocturne du Soleil dans la Douat, le monde souterrain où règne le dieu des défunts, Osiris. Chez les chrétiens, les coutumes médiévales utilisèrent l’expression latine Sol invictus qui signifie « le Soleil invincible » et nous rappelle le combat perpétuel du dieu solaire égyptien. Depuis les origines de la chrétienté et jusqu’au XVIe siècle, les édifices religieux furent orientés d’est en ouest afin d’accueillir par l’entrée principale le Soleil naissant qui représentait le Christ ressuscité. D’ailleurs, le coq symbole de la vigilance et du Soleil levant, se trouve encore sur beaucoup de clochers chrétiens. Pour affirmer une totale adhésion à la foi et pour conclure une prière, les traditions chrétienne et islamique utilisent la formule amen issue de la Bible hébraïque et qui évoque la notion de vérité, de fidélité, de solidité. En égyptien, la racine men signifie « être ferme, solide, établi, fiable, durable » et l’expression « im men... » est un impératif qui signifie « Fais que soit établi, durable... ».
Nicolas Orneto
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