La véritable « saga » du chlorure de magnésium

La véritable « saga » du chlorure de magnésium

IL Y A 100 ANS...
La véritable « saga » du chlorure de magnésium dure depuis 100 ans et elle doit tout à un homme : Pierre Delbet.

Né le 15 novembre 1861 à La Ferté-Gaucher, en Seine-et-Marne, il entreprend des études de médecine jalonnées par sa nomination à l’internat en 1884, la réussite à l’agrégation de la faculté de médecine de Paris en 1892, devenant chirurgien en 1893, puis chef de service à l’hôpital Laennec  en 1905, et enfin professeur de clinique chirurgicale à l’hôpital Necker en 1908.

Dès le début de son activité de chirurgien, il est préoccupé par un phénomène qui l’interpelle et qu’il décrit ainsi : « Les antiseptiques utilisés à l’hôpital pour nettoyer les plaies, au lieu de combattre l’infection, l’aggravent. »

Cette observation semble paradoxale mais ne l’est pas en vérité. En effet, les produits antiseptiques, actifs contre l’infection microbienne, s’attaquent malheureusement aussi aux tissus sains dont ils diminuent la capacité de résistance, favorisant la prolifération bactérienne dans un second temps.

À propos de ce paradoxe sur la nocivité des traitements, Pierre Delbet ajoute : « L’antisepsie vise les microbes mais tue également les cellules saines. Je rêve d’accroître la résistance des cellules afin de triompher des microbes. »

C’est alors que survient la Première Guerre mondiale et qu’il est mobilisé dès le début, en 1914, en sa qualité de chirurgien, rejoignant le front des combats. Les soldats blessés affluent à son hôpital de campagne, et il est impuissant, bien souvent, à combattre les proliférations bactériennes se développant à partir des blessures que les antiseptiques sont incapables de guérir.

C’est alors qu’il a une intuition géniale : ayant eu connaissance d’une thèse de médecine sur le chlorure de magnésium 1, il expérimente le lavage des plaies avec une solution de chlorure de magnésium dont il imprègne ensuite les pansements appliqués sur ces blessures... qui guérissent !

S’interrogeant sur les raisons de cette efficacité antibactérienne du chlorure de magnésium, il fait le lien avec la phagocytose qui caractérise l’activité immunostimulante des globules blancs (nous l’évoquons dans le chapitre sur l’immunité) qu’il qualifie de « cytophylaxie », faisant le 6 septembre 1915 une communication à l’Académie des sciences sur « L’action cytophylactique du chlorure de magnésium en solution à raison de 12 ‰ ».

Il présentera trois ans plus tard devant l’Académie de médecine une seconde communication intitulée : « Biologie des plaies de guerre ».

Encouragé par le succès de l’application externe de cette solution à 12 pour mille de chlorure de magnésium, il procède à des injections de cette solution pour combattre les infections internes, avec un succès retentissant, ce qui le conduira par la suite à formuler des comprimés à prendre par voie orale, dont le préfixe du nom évoque leur inventeur : « Delbiase ».

Ces comprimés seront dès lors systématiquement prescrits, en cas d’infection, aux malades soignés par le professeur Delbet dans son service à l’hôpital Necker, et à ce sujet une anecdote amusante mais significative est décrite dans son ouvrage de référence 2 :
« Pendant cette période, le chlorure de magnésium s’administrait uniquement par voie intraveineuse. Or j’avais dans mon service à l’hôpital un blessé dont l’état était grave et qui refusait les injections.
Un matin je dis : “Essayons de lui donner la solution par voie buccale.”

À ce mot, la surveillante, Madame Boivin, et deux infirmières, eurent un sourire.
- Pourquoi riez-vous ?
- Nous en prenons toutes, répondit Madame Boivin.
- Et pourquoi ?
- Cela nous donne du cœur à l’ouvrage !
- Mais qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’en prendre ?
- Nous avons remarqué que les malades à qui l’on injectait la solution de chlorure de magnésium éprouvaient du bien-être. Alors nous avons essayé d’en prendre et ça nous a produit le même effet.
Dès lors j’en administrai à tous les malades de mon service, j’en pris moi-même, au point que je l’appelai “ma drogue”, et j’en fis prendre à tous ceux qui m’étaient chers.

Les surveillantes de l’hôpital et les infirmières, enchantées par la sensation d’euphorie, d’énergie et de résistance à la fatigue qu’elles éprouvaient, firent de la propagande pour le chlorure de magnésium.

Bien vite un grand nombre de personnes prirent régulièrement “ma drogue” et je récoltai une ample moisson de faits à quoi je ne m’attendais guère, qui m’ont inspiré de nouvelles recherches.

Ma méthode a pour but d’exalter la vitalité des cellules, raison pour laquelle je l’ai appelée cytophylactique, mot signifiant protection des cellules. »

Voilà donc quels furent il y a pratiquement 100 ans les prémices du succès du chlorure de magnésium et son initiateur éclairé eut bien vite des disciples.

D’autres médecins, à leur tour, expérimentèrent avec succès les propriétés cytophylactiques du chlorure de magnésium 3. Mais le principal disciple de Pierre Delbet, au xxe siècle, fut le docteur Neveu.
Auguste Neveu est né dans l’île d’Oléron en 1885. Il fait ses études à la faculté de médecine de Bordeaux dont il sort major de sa promotion. Après avoir servi dans la marine comme médecin commandant, ce qui lui valut d’être décoré de la Légion d’honneur, il ouvre un cabinet dans son département natif de Charente-Maritime, à Rochefort.

Marié ensuite à une habitante du village proche de Breuil-Magné, il s’y installe, et comme bien souvent, à cette époque, les médecins de campagne sont également sollicités par leurs patients pour soigner les animaux.

Le docteur Neveu, ayant eu connaissance des publications du professeur Delbet à l’Académie de médecine, expérimente en 1932 l’emploi du chlorure de magnésium pour soigner un veau atteint de fièvre aphteuse et un chien ayant la maladie de Carré, parfois appelée « poliomyélite du chien ».
Le veau et le chien étant guéris, le docteur Neveu se mit alors à soigner les maladies infectieuses de ses patients avec le chlorure de magnésium, guérissant bronchites, pleurésies, angines et maladies infantiles.

C’est alors que survint la terrible épidémie de grippe de l’hiver 1935, connue pour ses graves complications broncho-pneumoniques. Les patients du docteur Neveu furent guéris grâce au chlorure de magnésium, inversement aux malades grippés de ses confrères soignés de façon classique, et sa réputation se répandit dans toute la région.

Encouragé par ses résultats, il étendit avec succès la prescription de chlorure de magnésium à d’autres maladies, en particulier la diphtérie et la poliomyélite faisant des ravages à cette époque. Et on qualifia de « guérisons miraculeuses » les résultats fabuleux obtenus par lui en cas de poliomyélite.

Voulant faire profiter le plus grand nombre de ses connaissances, il publie en 1936 aux jeunes Éditions Dangles (fondées en 1926) un ouvrage qui fera date 4.

Ce livre n’évoque pas seulement la poliomyélite, mais aussi la diphtérie qui était autrefois bien souvent mortelle à cause des complications cardiaques (myocardites) et pulmonaires (insuffisance respiratoire aiguë).
À ce propos, voici quelques lignes éloquentes du docteur Neveu sur sa toute première guérison qualifiée de « miraculeuse » :
« Il m’advint d’apporter une importante contribution à la méthode cytophylactique du professeur Delbet quand en 1932 je fis prendre du chlorure de magnésium à une petite malade prénommée Ghislaine.
Atteinte d’une angine suspecte d’être une diphtérie, en attendant l’analyse du prélèvement amygdalien je fus surpris, dès le lendemain matin de l’administration de chlorure de magnésium, de constater sa guérison totale.

Quand le laboratoire me donna l’analyse positive au bacille diphtérique, ce fut le point de départ de mes recherches sur le traitement cytophylactique des maladies infectieuses par le chlorure de magnésium. »

Le docteur Neveu fit ultérieurement deux communications majeures 5.
Ses multiples efforts pour essayer de populariser les traitements à base de chlorure de magnésium, toute sa vie durant, jusqu’à sa mort en 1960, furent vains. Surnommé « le docteur miracle », ses travaux ne furent pourtant jamais reconnus par l’Académie de médecine.

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1 Maurice Chibret, De l’emploi thérapeutique du chlorure de magnésium. Thèse pour le doctorat de médecine, 1910.
2 Pierre Delbet, Politique préventive du cancer, Éditions Denoël, 1943.
3 Lucien Cornil, Henri Vignes, « Médication cytophylactique au magnésium de Delbet », Revue de pathologie comparée, 1916.
4 Docteur Auguste Neveu, Comment prévenir et guérir la poliomyélite, traitement cytophylactique des maladies infectieuses par le chlorure de magnésium, Éditions Dangles, 1936.
5 Docteur Auguste Neveu, Traitement cytophylactique de quelques maladies infectieuses de l’homme et du bétail par le chlorure de magnésium, Journées thérapeutiques de Paris, 1946.
– Auguste Neveu, Les propriétés pharmacodynamiques et thérapeutiques du magnésium, Journées thérapeutiques de Paris, 1947.

Jean-Luc Darrigol     
                                                                              

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