La structure du cerveau,
avec à l’intérieur le système limbique
et tout autour le néocortex
Je me rappelle encore clairement du jardinier que mes parents avaient engagé lorsque j’étais enfant pour donner un coup de main afin de tondre la pelouse, tailler les buissons d’ornement et les arbres fruitiers et arracher les mauvaises herbes près des rosiers qui faisaient la fierté de ma mère. Nous habitions dans une maison qui avait été jadis une partie de la ferme de mes grands-parents. Elle était située au milieu des champs, en pleine nature, et notre jardin était tellement énorme qu’il était impossible pour mes parents de l’entretenir eux-mêmes.
Je devais avoir environ six ou sept ans lorsqu’il est arrivé pour la première fois : Bernard. Cigarette (ou ce qu’il en restait) au coin de la bouche, pantalon de travail d’un bleu terne, une casquette qui semblait avoir grandi en même temps que sa tête, des mains comme des battoirs. C’était un jardinier pensionné d’un grand hôpital bruxellois et il avait déjà un âge respectable au début de sa carrière chez nous. Comme on le disait parfois à cette époque, Bernard n’avait pas été en première ligne lorsque l’intelli- gence avait été distribuée. Il ne savait ni lire ni écrire, il avait un faible QI et ne s’était jamais marié. Il était simple d’esprit et ne parlait pas beaucoup. Mais c’était l’un des hommes les plus heureux que je connaissais. Il riait tout le temps et nous l’entendions toujours fredonner ou siffler pendant qu’il travaillait. Il ne laissait pas gâcher son humeur par des pensées sombres. La tracasserie n’était pas un mot faisant partie de son vocabulaire.
Il profitait pleinement de la vie. Il avait très bon appétit et, étant donné que c’était un « jeune homme » et qu’il ne savait pas cuisiner, il allait presque chaque jour à la friterie du village. Il préférait arroser ses repas gras de quelques bières et lorsqu’il travaillait dans notre jardin, on lui faisait le plus grand plaisir en lui apportant régulièrement une bière fraîche. La vie de Bernard était composée de nombreuses tartines et de frites, de bières et (d’après ce que nous supposions) de quelques visites aux femmes de joie. C’était un homme libre et il se sentait également comme cela : il ne devait rendre des comptes à personne, il se rendait où il voulait, il allait travailler lorsqu’il en avait envie et s’il n’en avait pas envie, mes parents trouvaient que ce n’était pas si grave. Étant donné qu’il était simple d’esprit et qu’il était toujours de bonne humeur, tout le monde le traitait cordialement. La seule chose à laquelle il aspirait, c’était d’avoir une conversation de temps en temps avec une personne du village. Il n’avait jamais possédé un franc, mais il ne recherchait pas non plus la richesse ou les possessions. Il ne se mettait jamais la pression. Le stress lui était inconnu.
Il est mort l’année dernière, à l’âge béni de quatre-vingt-trois ans. D’un cancer de l’estomac. Il n’a jamais été malade ou fatigué au cours de sa vie.
Pourquoi je vous raconte cette histoire simple ? Bernard était un homme heureux et en bonne santé. Malgré le fait qu’il s’adonnait tous les jours à l’alimentation la plus malsaine que l’on puisse imaginer, il était sain. Parce qu’il était en équilibre. Bien qu’il était « simple », il n’y avait aucun problème au niveau de son cerveau.
Lorsque nous parlons du cerveau, nous parlons de lui comme s’il s’agis- sait d’un grand tout. Nous partons du point de vue que « notre cerveau » est composé d’un ensemble homogène, dont les différentes parties co- opèrent conjointement et sont harmonieusement reliées les unes aux autres. En réalité, ce n’est pas du tout cela. Dans les faits, notre cerveau comprend deux grandes structures séparées, qui fonctionnent de manière autonome et indépendante l’une de l’autre et qui s’influencent l’une l’autre seulement dans une très petite mesure. Ces deux grandes structures sont le système limbique et le néocortex.
LE SYSTÈME LIMBIQUE : LE CERVEAU ÉMOTIONNEL
Le système limbique a fait son apparition très tôt dans l’évolution de toute la vie animale. Tous les mammifères et les animaux ont un sys- tème limbique. Les animaux qui, dans l’évolution, vivaient déjà avant les mammifères et les oiseaux (reptiles et poissons par exemple) n’ont pas de système limbique. Ce n’est donc pas un hasard et nous pouvons tout à fait l’expliquer.
Le système limbique a été remarqué pour la première fois dans l’évolution de la vie animale lors de l’apparition et du développement des animaux plus grands dont les jeunes ne sont pas autonomes : les jeunes poissons peuvent immédiatement se débrouiller dans l’eau. Les jeunes serpents et les jeunes lézards qui sortent de l’œuf peuvent également survivre en toute autonomie. Mais les oisillons sont totalement sans défense et doivent être nourris et soignés par leur mère et/ou leur père pendant les premières semaines qui suivent leur sortie de l’œuf avant de pouvoir mener une vie autonome. Il en va de même pour les mammifères, qui ont fait leur apparition en dernier lieu dans l’évolution : en fonc- tion de la race, cela prend des mois ou des années avant qu’ils ne soient autonomes. Un jeune chat doit rester auprès de sa mère entre six à huit semaines avant de pouvoir se débrouiller. Un poulain reste totalement dépendant de sa mère pendant cinq à six mois. Après quelques mois, un éléphanteau apprend à survivre en mangeant de l’herbe et il boit le lait maternel jusqu’à l’âge de cinq ou six ans. Un bébé humain a besoin de plusieurs années avant de pouvoir manger sans aide, de pouvoir mar- cher, de pouvoir se tenir chaud, de pouvoir se protéger, de pouvoir parler et ainsi de suite. De cette façon, la race humaine est celle parmi toutes les races animales dont les « jeunes » sont les plus inoffensifs pendant une plus longue période de temps et avec qui les parents doivent donc conserver un rapport émotionnel le plus long et le plus intense s’ils veulent que leurs enfants survivent.
C’est précisément parce que les petits des races animales supérieures ne peuvent pas s’en sortir dans la vie au cours des premières semaines, des premiers mois ou des premières années, qu’il y a le besoin d’un lien émotionnel entre la mère et l’enfant. C’est la raison pour laquelle il existe dans le système nerveux central une structure à laquelle les fonctions émotionnelles et affectives sont reliées. Cette structure est formée par le système limbique qui se trouve au centre du cerveau.
Darwin savait déjà qu’une telle chose existait en tant que « cerveau primitif », mais ce fut le neurologue français Paul Broca, qui a décrit pour la première fois ce cerveau originel au dix-neuvième siècle et lui a également donné un nom : le système limbique. Nous pouvons également l’appeler le « cerveau émotionnel » ou le « cerveau primitif ». Le cerveau émotionnel est indépendant de notre pensée et de notre langue. Il est inconscient. Son objectif est de nous permettre de survivre et il s’est développé afin de régler nos émotions et de faire en sorte que nous puissions établir un lien avec les autres. Le système limbique existe pour pouvoir envoyer et recevoir des messages affectifs. Un bébé humain doit pouvoir pleurer afin de demander à ses parents : « Est-ce que vous êtes près de moi ? Aidez-moi ! Consacrez-moi de l’attention ! Faites-moi des câlins ! ». Dans le cadre de la survie des races animales dont les jeunes ne sont pas autonomes, cette communication émotionnelle revêt une importance capitale. Le contexte émotionnel et l’amour sont un vérita- ble besoin biologique pour les mammifères, tout aussi important que l’oxygène, la nourriture et la chaleur.
Le système limbique explique immédiatement de quelle manière vous pouvez avoir un lien émotionnel avec votre chien ou votre chat, mais pas avec votre poisson ou votre serpent : les poissons et les reptiles n’ont pas de structure qui vous permette de communiquer à un niveau émotionnel.
LE NÉOCORTEX : LE CERVEAU INTELLECTUEL
Néocortex (un mot issu partiellement du grec [néo = nouveau] et par- tiellement du latin [cortex = écorce]) signifie « nouvelle enveloppe », « nouvelle écorce » ou « nouveau cerveau ». Le néocortex est la partie la plus récente du cerveau et elle s’est développée au cours de l’évolution, des millions d’années après le système limbique. Le néocortex fait office d’enveloppe autour du système limbique, et donne au cerveau son aspect ridé caractéristique. Tous les mammifères ont un néocortex, mais la principale différence entre l’homme et les autres races animales, c’est que notre néocortex est beaucoup plus développé. C’est principalement la partie du néocortex qui se trouve derrière notre front (au-dessus des yeux), ce que nous appelons « le lobe frontal » ou le cortex préfrontal, qui est très fortement développée chez l’homme. Le néocortex est la partie du cerveau garante de toutes les fonctions intellectuelles (la capacité à raisonner et à mémoriser, la capacité de concentration et d’attention, la capacité à apprendre des langues, etc.). Il se concentre sur le traitement le plus optimal possible de toutes les informations entrantes, même les informations stockées uniquement dans notre esprit et que nous ne pouvons pas voir, sentir ou toucher.
Le néocortex et le système limbique ont fait leur apparition à des moments tellement différents au cours de l’évolution qu’ils ont une action totalement différente. D’un point de vue anatomique, ils sont également fort différents l’un de l’autre. Le système limbique est beaucoup plus simplifié que le néocortex. Le système limbique n’est par exemple pas composé de couches régulières de neurones qui peuvent traiter des informations. Il dispose d’une structure qui est beaucoup plus rudimentaire, ce qui fait qu’il traite les informations à un niveau beaucoup plus primitif que le néocortex. Le traitement des informations dans le système limbique se concentre sur la survie et c’est la raison pour laquelle il est beaucoup plus direct et plus rapide. Le système « n’analyse » pas, mais il déclenche immédiatement des réactions de survie.
Un exemple typique que l’on donne le plus souvent pour expliquer la différence d’action entre le système limbique et le néocortex est celui du jogger qui court dans le bois au crépuscule. Pendant sa course, s’il se retrouve face à un bout de bois mort qui ressemble à un serpent, cela peut déclencher très rapidement une réaction de panique. Avant que d’autres parties du cerveau ne fassent une analyse sur la base de toutes les « entrées » possibles et soient arrivées à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’un serpent, mais d’un morceau de bois totalement inoffensif, le système limbique a déjà déclenché une réaction de survie appropriée sur la base d’informations très rapides, incomplètes et peut-être même erronées.
L’anatomie, les propriétés biochimiques, la composition et l’organisa- tion des cellules du cerveau émotionnel et du cerveau intellectuel sont tellement différentes qu’elles ne peuvent pas véritablement collaborer entre elles. Dans les faits, elles sont totalement indépendantes les unes des autres. C’est principalement le cerveau émotionnel qui travaille sou- vent indépendamment du néocortex.
La seule chose qu’ils sont capables de faire (dans le meilleur des cas), c’est de s’équilibrer l’un l’autre. Une personne est « en équilibre » lorsque les deux structures du cerveau s’équilibrent. En Orient, on déclare dans ce cas qu’une personne est « en harmonie avec elle-même ». Certaines personnes sont remplies d’émotions (elles sont impulsives, elles pleurent facilement, elles sont vite paniquées, elles ont des peurs irréelles, etc.) ; d’autres sont pleines de raison (elles raisonnent tout le temps et réfléchissent à tout, avec une absence totale de sentiments). Les deux situations sont malsaines : un contrôle exagéré des émotions engendre une insensibilité, mais également une incapacité à prendre des décisions, parce que vous n’avez plus aucune sensation de votre for intérieur et de vos préférences personnelles, de ce que votre cœur et vos tripes vous « racontent ». Les gens les plus heureux, les gens qui se sentent bien dans leur peau et qui se sentent bien dans leur vie sont des gens « équilibrés » : ils accordent de la valeur aux « petites choses de la vie » : un repas délicieux, une bonne nuit de sommeil, une promenade dans la nature, un magnifique coucher de soleil, la beauté d’une fleur qui s’ouvre. Les gens « en équilibre » connaissent également des moments difficiles ou des problèmes dans leur vie, mais il semble qu’ils les vivent mieux. Ils sont plus proches d’eux-mêmes et plus proches du monde.
À partir de la naissance jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans, notre sys- tème limbique et notre néocortex sont parfaitement en équilibre : un enfant est par nature joyeux, innocent, sans préjugés, curieux, lié à la nature. À partir de ce moment, il y a toutefois trois facteurs importants (parents, entourage et événements) qui vont déterminer de quelle manière cet équilibre parfait va continuer à évoluer. Des grands et petits traumatismes, le stress à l’école, la pression des parents, une éducation trop stricte, un perfectionnisme exagéré, un excès de stimuli externes et d’autres circonstances peuvent avoir comme conséquence qu’il devient trop difficile et trop douloureux de « ressentir ». Dans ces moments-là, une sorte de réflexe d’autoprotection ou de mécanisme de survie fait son apparition à hauteur du système limbique.
Certaines circonstances peuvent être tellement pénibles que le méca- nisme de survie fait soudainement son apparition, mais la pression peut aussi être accumulée pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’elle devienne trop importante. Lorsque la charge du cerveau émotionnel est trop grande, il peut se fermer, ce qui fait que tout le système nerveux central est dominé par le néocortex. Cela vous met dans un état où vous continuez à vivre « sur pilotage automatique », parce que vous le devez : vous devez faire votre travail, vous devez conduire les enfants chaque jour à l’école, vous devez rembourser votre maison, vous devez continuer à avoir une vie sociale normale. Lorsque le système limbique ne fonctionne plus correctement ou lorsqu’il est réprimé, vous vous retrouvez dans une impasse émotionnelle. Parfois, des expériences particulièrement doulou- reuses issues du passé sont tellement ancrées de manière indélébile dans le cerveau émotionnel qu’elles continuent à influencer votre vie senti- mentale et votre comportement des dizaines d’années plus tard.
Toutefois, la bonne nouvelle, c’est que le cerveau émotionnel, tout comme le reste du corps, dispose de mécanismes naturels qui lui permettent de se soigner : comme une blessure sur la peau peut se guérir ou comme votre système immunitaire peut lutter contre une infection, votre cerveau a également une capacité innée à rétablir l’équilibre. Dans certains cas, vous pouvez le réaliser vous-même, dans d’autres cas, un thérapeute peut « reprogrammer » le cerveau émotionnel et effacer les expériences douloureuses du passé.
Dr. Peter Aelbrecht
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