Dans tous les pays développés on a progressivement reconnu, depuis une quinzaine d’années, la place centrale et l’action essentielle de la famille – et plus particulièrement de l’un de ses membres – dans l’accompagnement et les soins aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. Les différentes études réalisées montrent que, dans l’ensemble des pays étudiés, les aidants familiaux assurent entre 70 % et 85 % du soutien comprenant l’aide et les soins à la personne. La moitié des aidants sont les conjoints et un quart sont les enfants. Les personnes « aidantes » le sont très régulièrement puisqu’elles sont largement majoritaires à s’occuper d’une personne au moins une fois par semaine, dont plus de la moitié le font quotidiennement.
En France, en 2006, à l’occasion de la Conférence sur la famille, il a été évoqué le rôle pivot de l’aidant familial mais aussi la nécessité de lui apporter le soutien nécessaire pour qu’il puisse mener ses missions à bien sur plusieurs années. En effet selon les données de l’étude PAQUID, le domicile est le lieu de vie dominant des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, jusqu’au stade modérément sévère de la maladie.
Il est toutefois intéressant de constater, en France, l’absence de consensus sur la dénomination de cet aidant non professionnel. Aidant familial ou aidant naturel, aidant informel ou aidant principal : les qualificatifs sont nombreux pour désigner celui, et surtout celle, qui, au quotidien et sur une période dépassant les douze mois d’une année, va répondre aux besoins grandissants de la personne malade qu’il accompagne.
Mais cet aidant a-t-il le choix du rôle qu’il est amené à occuper ? Ne se retrouve-t-il pas malgré lui à une place qui n’a d’ailleurs rien de naturelle et dans laquelle il peut se sentir pris sans possibilité de retour ?
C’est la raison pour laquelle la possibilité du maintien à domicile doit être réévaluée, tout au cours de la maladie et ne doit pas apparaître comme l’unique solution, la seule envisageable et acceptable. À défaut, le coût humain risque d’en être extrêmement élevé. Il convient donc de faire attention aux discours qui prônent le maintien à domicile comme seul choix et qui, parfois, immobilisent les familles dans un sentiment de culpabilité et d’impuissance, au demeurant déjà très présent.
Et puis quelles que soient les motivations du proche à occuper ce rôle d’aidant, il n’en reste pas moins qu’il est exposé à une situation d’épuisement physique et psychique, à terme préjudiciable pour sa propre santé. Un état d’épuisement qui est lié à la durée de l’investissement sur près de dix ans, à l’impossibilité d’espérer une possible guérison, à l’isolement dans lequel progressivement le couple aidant- aidé se retrouve, à la réticence fréquente de l’aidant à faire appel à l’intervention des profes- sionnels, au peu d’adhésion de la personne malade face aux aides qui lui sont fournies et à la charge émotionnelle à laquelle l’aidant familial est soumis.
En effet, la maladie d’Alzheimer touche les capacités de la personne malade à communiquer et à continuer d’entretenir une relation avec son entourage. La famille en son entier va en être affectée et va vivre plus ou moins difficilement cette altération, diminution et nécessaire transformation du lien. Très souvent la maladie d’Alzheimer déstabilise tout autant la personne atteinte que les membres de sa famille qui doivent se réorganiser et retrouver un équilibre nouveau.
Les interventions de soutien à l’aidant fami- lial sont donc indispensables mais doivent être réfléchies pour répondre au réel besoin de chaque situation en tenant compte de l’histoire particulière de chaque famille. En effet, les situations sont très différentes les unes des autres et la qualité de la relation qui préexistait à l’apparition de la maladie et donc de la dépendance est très importante pour comprendre le niveau d’implication et le niveau de satisfaction ou de non satisfaction de l’aidant à procurer de l’aide.
Ces interventions doivent pouvoir prévenir les situations d’épuisement, permettre à l’aidant familial de poser des limites à son investissement sans se sentir faillir, ni trahir son proche dépendant. Mais elles doivent également lui permettre de devenir plus compétent, de trouver des réponses aux problèmes qu’il rencontre, d’adapter ses stratégies et de donner du sens à son engagement en construisant une relation de complémentarité avec les aidants professionnels.
La reconnaissance du rôle joué par l’aidant familial est essentielle. Il ne doit pas seulement être reconnu en tant que victime cachée de la maladie mais comme ayant développé une expertise propre qui, contrairement à celle des professionnels, reflète une vue unique d’un cas particulier s’inscrivant dans une histoire relationnelle qui n’a pas commencé avec le début de la maladie.
Judith Mollard, psychologue
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