04 juin _ 28 août 2016
Le musée s’exporte : Besançon à Rennes,
Dole et Clermont-Ferrand
Francisco de Goya y Lucientes (Fuendetodos, 1746 – Bordeaux, 1828),
Les Cannibales, vers 1800, huile sur bois, © Besançon, MBAA / C. Choffet
De la période riche et troublée qui s’étend de la Révolution française (1789) à la Seconde République (1848- 1852), le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon conserve un fonds de peintures et de dessins parmi les plus riches des collections publiques françaises. Cet ensemble comprend des œuvres importantes d’artistes de premier plan avec des chefs-d’œuvre de David, Gros, Gérard, Delacroix, Ingres, Goya, Géricault et Courbet. De ce dernier, le musée possède même la quatrième collection la plus riche après celles du musée d’Orsay, du Petit Palais et du musée Fabre à Montpellier. Cet ensemble remarquable en qualité et en quantité demeure néanmoins mal connu et mal identifié si on le compare à ceux, célèbres, de la Renaissance et du XVIIIe siècle. La fermeture pour rénovation du musée et le projet d’exposition proposé par le musée des Beaux-Arts de Rennes en partenariat avec ceux de Dole et de Clermont-Ferrand ont fourni une excellente occasion à l’étude, la restauration et la présentation hors-les-murs d’une sélection de près de soixante peintures et trente dessins, exposition dont la première étape à Rennes démarre le 4 juin.
Le parcours de cette manifestation propose une lecture double de la collection. Il permet d’une part de saisir toute la diversité de la création picturale à une époque où se réforment les institutions et la hiérarchie des genres. Dans le même temps, la variété des peintures et des dessins participe à faire comprendre la mise en place des courants néoclassique et romantique dont les représentants forment le cœur et la trame de l’exposition.
Goya et la tradition goyesque
La section introductive est consacrée à l’inclassable Goya et ses cannibales, vision de la sauvagerie des hommes dans un monde de troubles et de guerres. Du maître espagnol, c’est la veine noire, violente, étrange, le « cauchemar plein de choses inconnues » de Baudelaire qui plut au peintre-collectionneur Jean Gigoux, qui possédait six peintures attribuées à Goya. Les deux Scènes de cannibalisme, célèbres par leur exécution virtuose et leur sujet, dont l’horreur macabre et la violence provoquent tout autant répulsion que fascination, incarnent parfaitement le génie libre et préromantique de Goya. Les quatre autres peintures léguées par Gigoux, elles aussi fort violentes, et qu’il faut désormais attribuer prudemment à un « suiveur » de l’artiste, illustrent les problèmes d’attribution et de datation que posent les pastiches qui furent dispersés peu de temps après la mort de Goya.
Jacques Louis David (Paris, 1748 – Bruxelles, 1825),
Portrait de Pierre Louis Prieur, de la Marne - (1756-1827) - 1791-1792,
huile sur toile, © Besançon, MBAA / C. Choffet.
David et les mutations de la peinture d’histoire, 1790-1810
Les années 1790-1810 sont en France un temps de profonde mutation politique et artistique. Alors que le règne de Louis XVI arrive à son terme et que gronde la Révolution, les arts prennent une nouvelle fois le chemin des modèles de l’Antiquité. L’épuration des formes, la domination de la ligne, la noblesse des sujets choisis et leur contenu moralisant servent un nouvel esprit patriotique que la Révolution puis le Premier Empire vont exploiter dans leurs images de propagande.
Grâce à la générosité de l’architecte Pierre-Adrien Pâris et de Jean Gigoux, le musée de Besançon conserve un ensemble remarquablement varié et complet de la production de cette période. La sévère Cornélie mère des Gracques de Suvée qui inaugure cette section est très significative des recherches plastiques les plus puristes menées autour de 1790 alors que la Baigneuse de Gros en montre une vision plus vivante et naturaliste. C’est David qui donnera son expression la plus aboutie à ce nouvel esprit classique. Entouré de nombreux élèves tels que Gros ou Gérard, David construit un style à la fois sobre et monumental qui donnera naissance à quelques- unes des images les plus puissantes de ces années troublées. Il rénove la peinture d’histoire moderne avec des tableaux tels que Le Serment du Jeu de Paume ou Le Sacre, pour lesquels le musée de Besançon conserve de précieuses études dont une sélection est présentée. Quant au Déluge de Duvivier, au même titre que le Timoléon de Gros, il relève le paradoxe d’un temps de noblesse classique parfois teinté d’emportement et de lyrisme annonçant déjà l’esprit romantique.
Théodore Géricault (Rouen, 1791 – Paris, 1824),
Portrait d’homme en oriental, dit portrait de Mustapha, vers 1817-1819,
huile sur toile, - © Besançon, MBAA / C. Choffet.
Théodore Géricault
Le troisième ensemble regroupe quatre peintures et treize dessins de Théodore Géricault, qui proviennent tous (sauf un) de la collection de Jean Gigoux, formé dans sa jeunesse par le peintre Francis Conscience, un grand admirateur de Géricault. Ce fonds remarquable permet tout autant d’illustrer la grande passion de Géricault, les chevaux, que d’entrer dans l’atelier de l’artiste préparant Le Radeau de la Méduse. Plus rares, un portrait de fantaisie, longtemps considéré comme celui de Mustapha, et surtout une étonnante nature morte accompagnée de deux paysages permettent de montrer des pans moins connus de l’œuvre du maître.
Jean Auguste Dominique Ingres (Montauban, 1780 – Paris, 1867),
Portrait de l’architecte Jean- Baptiste Desdéban (1781-1833),
vers 1810, huile sur toile, © Besançon, MBAA / C. Choffet.
Delacroix, Chassériau, Gigoux
La sensibilité de Jean Gigoux, à qui le musée de Besançon doit l’essentiel de ses chefs-d’œuvre de la première moitié du XIXe siècle, le portait naturellement vers des œuvres d’esprit romantique. Amateur inconditionnel de Géricault et de Delacroix, le peintre a réuni pour ces artistes de beaux ensembles de dessins et quelques peintures. Soulignons que du second, Gigoux ne possédait curieusement aucun tableau mais seulement de belles études dessinés. L’esprit de Delacroix se rencontre toutefois dans la poignante étude de Chassériau dont la liberté d’exécution, la fougue et l’expressionnisme sont des échos directs de l’auteur du Sardanapale et de La Liberté guidant le peuple. En tant qu’artiste Gigoux était attiré par des œuvres à l’exécution rapide et visible, emportées et picturales. Qu’il s’agisse de David ou d’Ingres, de Delacroix ou de Géricault et même de Goya, le collectionneur semble rechercher par les témoignages qu’il collecte un dialogue intime avec ceux dont il admirait le métier et l’esprit. De Gigoux lui-même, dont Besançon conserve vingt-huit peintures, est exposée une Cléopâtre sensuelle et lascive qui répond à ce goût pour des nudités érotiques et sinueuses que l’on rencontrait alors aussi bien en peinture qu’en sculpture. L’œuvre est une esquisse très aboutie pour un tableau remarqué du peintre qui se trouve aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Chambéry.
Souvenirs d’Italie et goût du pittoresque
La cinquième section de l’exposition est consacrée aux motifs nouveaux, anecdotiques, que les peintres retiennent de leurs voyages en Italie mais aussi, de plus en plus, dans les provinces françaises. L’Italie demeure une étape essentielle dans la formation des jeunes artistes mais à côté des œuvres et monuments classiques, ce sont les paysages de la campagne, les costumes, les scènes de la vie quotidienne qui fascinent les peintres dans leurs excursions. À leur retour en France, les souvenirs du voyage dans la péninsule continuent à nourrir un imaginaire parfois nostalgique, suscitant des œuvres pittoresques (Le Premier pas de l’enfant de Cornu, disparu mais connu par l’esquisse de Besançon) et d’autres plus personnelles telles que la Jeune fille dans une vasque de Delaroche. L’œuvre de Granet, qui passe près de la moitié de sa vie d’artiste en Italie, réunit ces deux composantes, goût pour un motif presque anecdotique et interprétation personnelle, voire religieuse dans son cas. Le musée de Besançon possède un très bel ensemble de celui qu’à Paris on surnomma le « capucin », dont quatre peintures et autant de dessins sont présentés. Comme pour les œuvres de Géricault, celles-ci proviennent quasi exclusivement de la collection de Jean Gigoux. Le développement de la peinture de « genre anecdotique » va de pair avec le goût pour l’histoire, souvent romancée, et les vies d’artistes (voir la vie de Salvator Rosa mise en scène par Luigi Rubio). La France devient également une source où l’on puise de nouveaux sujets aussi bien dans la riche diversité des provinces (Eugène Isabey en Normandie) qu’au cœur du vieux Paris que les travaux d’Haussmann allaient bientôt faire disparaître (illustré par la Vue d’intérieur de cour d’immeuble à Paris de Bouhot) ; dans les deux cas, ce ne sont plus les vues de villes, les espaces publics prestigieux qui retiennent l’attention des artistes, mais des lieux cachés ou abandonnés.
La peinture d’histoire de la Restauration à la Seconde République
Sous la Restauration (1815-1830), la Monarchie de Juillet (1830-1848) et la Seconde République (1858-1852), la scène artistique française est d’une grande richesse aussi bien dans ses propositions plastiques que dans la variété de sa production. Les quelques œuvres présentées permettent à la fois d’illustrer des exemples correspondant à chacun des régimes politiques précités mais aussi de présenter les différentes générations d’artistes qui, autour des exemples de David, Ingres, Géricault et Delacroix, suivent des orientations stylistiques variées. L’œuvre la plus atypique et la plus spectaculaire de cette section est à n’en point douter la grande Scène de massacre de François Gérard, rarement montrée et restaurée à l’occasion de cette manifestation. Production tardive d’un ancien élève de David, le tableau est imprégné d’un esprit romantique que son état d’inachèvement vient encore accentuer. De la même
manière, le Tobie rendant la vue à son père de Lancrenon, élève de Girodet et premier conservateur du musée de Besançon, vient encore rappeler la continuité de l’esprit davidien sous le règne de Louis XVIII. L’apport d’Ingres est magnifiquement illustré par la Sainte Pélagie de l’un de ses meilleurs élèves, Hippolyte Flandrin. Cette dernière œuvre rappelle également, aux côtés des esquisses religieuses de
Cornu, le rôle fondamental des commandes religieuses dans la carrière des artistes après la restauration de la monarchie. La section se clôt par la République de Cornu, icône laïque, allégorie historique, qui incarne le vent de nouveauté et l’esprit révolutionnaire qui balaye ce demi-siècle si mouvementé.
Portraits et paysages
Afin de présenter un visage sinon fidèle, du mois plus complet de la production artistique de la première moitié du XIXe siècle, est réuni dans les deux dernières sections de l’exposition un choix varié et représentatif de paysages et de portraits, genres qui connaissent un important développement et une grande diversification au XIXe siècle.
Les treize portraits sélectionnés représentent près du quart des peintures exposées, c’est-à-dire environ la proportion de portraits présentés au Salon entre 1815 et 1850 (une mesure en hausse constante). Du Portrait de Pierre-Adrien Pâris de Hortense Haudebourt-Lescot à l’Autoportrait de Courbet, ils couvrent toute la diversité de ce genre durant la première moitié du XIXe siècle et semblent tous motivés par des attentes différentes, des commanditaires variés et des partis pris esthétiques hétérogènes. Il faut souligner la présence de deux peintures du Britannique Thomas Lawrence, l’un des portraitistes les plus fameux d’Europe de son vivant, dont les oeuvres exposées au Salon à Paris en 1824 et 1827 provoquèrent une grande émotion dans la communauté artistique. Plusieurs de ces effigies semblent déborder le cadre de l’exercice et tendent à se rapprocher de la tête d’expression (la Voyante de Courbet) ou de la scène de genre (le portrait dans une mansarde du Franc- Comtois Alexandre Desbiez de Saint-Juan par Devéria. La sélection comprend deux autoportraits, du jeune Sébastien Cornu et d’un peintre qui œuvra avec une énergie rare et singulière à sa propre promotion, Gustave Courbet.
La section consacrée au paysage illustre un genre qui gagne en France son autonomie dans la première moitié du XIXe siècle. Comme le portrait, le paysage devient prépondérant au Salon au cours de la période, à tel point que le journal L’Artiste écrit en 1836 que le paysage « est véritablement la peinture de notre époque. » Mais contrairement aux portraits, les paysages sont achetés par l’État pour être envoyés dans les musées de province : c’est ainsi que l’Adam et Eve chassés du Paradis terrestre de Bénouville, avec lequel l’artiste concourt pour le prix du paysage historique, est envoyé à Besançon en 1842, un an avant l’ouverture du musée. Par ailleurs les études sur le motif, étape indispensable de la peinture de paysage, se multiplient avec les voyages, en Italie toujours ainsi que dans les environs de Paris, les provinces françaises et les massifs montagneux, facilités par les progrès des transports et la multiplication des guides de voyageurs. Au milieu du siècle, Gustave Courbet développe une approche nouvelle du paysage, plus naturaliste et puissante, très rapidement admirée et imitée, en particulier par le Franc-Comtois Antonin Fanart.
De l’utilité d’une exposition
Le projet de cette exposition est né en 2014 suite aux échanges entre les deux commissaires. Le musée des Beaux-Arts de Rennes a été par la suite rejoint par le musée des Beaux-Arts de Dole puis le musée Roger-Quilliot de Clermont-Ferrand. La préparation de cette manifestation a permis la réalisation d’un travail scientifique sans précédent sur l’ensemble de ce fonds : restauration d’un tiers des œuvres sélectionnées, révision des attributions, remise à jour de l’état de la recherche et publication d’un catalogue illustré comprenant le répertoire complet des deux-cent soixante et onze peintures de la première moitié du XIXe siècle conservées à Besançon. Ainsi cette entreprise a permis de porter un nouveau regard sur des œuvres telles que la Baigneuse de Gros, les dessins de David, les peintures de Duvivier et Cornu, les quatre scènes de l’Histoire de Jacob attribuée jusqu’ici à Eugenio Lucas Velasquez, un portrait féminin de Thomas Lawrence, un petit paysage italien rendu à Bidauld, un autre de Fanart, un bel Intérieur de cour de Bouhot jamais montré et, surtout, une Nature morte et une Etude de toit éclairé par le soleil dont l’attribution à Géricault a pu être confirmée. La redécouverte la plus importante est certainement la magnifique et mystérieuse Scène de massacre inachevée de François Gérard. Restaurée pour l’exposition, cette œuvre aura une place de choix dans le nouvel accrochage du musée rénové.
Informations pratiques
musée des beaux-arts, 20 quai Émile Zola 35000 Rennes Tel. : 02 23 62 17 45
Accueil et renseignements : 02 23 62 17 45
museebeauxarts@ville-rennes.fr
Réservation groupes à partir de 10 personnes : 02 23 62 17 41 de 8h45 à 12h15
www.mbar.org
Publics spécifiques : Marine Certain
m.certain@ville-rennes.fr
Horaires d’ouverture
Du mardi au vendredi : 10h - 17h Samedi et dimanche : 10h - 18h
Fermé le lundi et les jours fériés