Si l’on vous dit «famille recomposée», « beau-père »,
« belle-mère », quels adjectifs vous viennent à l’esprit ?
Sont-ils positifs ? Si ceux auxquels vous songez d’abord sont négatifs, rassurez-vous : vous n’êtes pas seuls à associer spontanément une image négative à la famille recomposée. Mais d’où nous vient cette impression que la famille recomposée a moins de valeur ou vit plus de difficultés? De l’histoire de Blanche-Neige? Hansel et Grethel ? Aurore, l’enfant martyr ou Cendrillon ?
En fait, il faut reconnaître qu’une étiquette péjorative est associée à la recomposition familiale depuis fort longtemps et a été largement véhiculée dans toutes les époques par l’entremise des contes de fées. Pourtant, nous faisons l’hypothèse qu’à l’origine, ces histoires ne visaient pas tant à juger négativement ces familles (très nombreuses en d’autres temps, comme nous l’avons vu précédemment), mais plutôt à protéger les enfants qui auraient à y vivre en rappelant au beau-parent (particulièrement aux belles-mères qui, par tradition, jouaient un très grand rôle auprès des enfants) qu’il devait en prendre soin. D’ailleurs, dans la plupart de ces histoires, le bien l’emporte finalement sur le mal.
Cependant, le monde de la fiction n’est pas seul responsable de l’étiquette péjorative associée à la recomposition familiale. On remarque aussi que les Occidentaux valorisent beaucoup le modèle de la famille intacte et qu’ils jugent parfois sévèrement (pour différentes consi- dérations, notamment religieuses) les organisations familiales qui s’en écartent. Par exemple, vers la fin du xIxe siècle, on considère qu’il est plus « naturel » de vivre avec ses parents d’origine, et qu’un beau-parent « ne peut éprouver pour des “ enfants par alliance ” les mêmes bons sentiments que pour les enfants de son propre sang15 ». Cette incapacité à ressentir les « mêmes bons sentiments » amènerait le beau-parent à négliger, voire à abuser des enfants de son conjoint. Un chercheur qui s’est beaucoup intéressé à cette question, Claxton-Oldfield, montre par exemple qu’à comportement identique, les beaux-parents sont souvent perçus moins aimants et moins gentils que les parents. Les enfants vivant en famille recomposée sont aussi perçus plus négativement: ils seraient plus instables, plus insatisfaits et manifesteraient plus d’insécurité que les enfants de familles intactes.
Ganong et Coleman, des chercheurs très connus pour leurs travaux sur la recomposition familiale, notent que la société a habituellement deux façons de voir la famille recomposée. Soit elle l’ignore compte tenu du fait qu’elle est absente des lois et des politiques sociales, et que les institutions en font peu de cas (comme l’École ou l’Église), soit elle la trouve moins fonctionnelle et plus problématique que la famille intacte. Dans cette perspective, les membres de la famille recomposée possèdent des caractéristiques qui sont négatives, pour la plupart, et leurs interactions apparaissent moins agréables que celles d’une famille intacte. Selon les auteurs, ces deux points de vue entraînent une vision idéalisée de la famille intacte en même temps qu’un frein à l’établissement de modèles différents et sains pour la famille recomposée.
Comme les recompositions familiales d’aujourd’hui interviennent généralement après une séparation parentale plutôt qu’un veuvage, les enfants qui en font partie peuvent être perçus en fonction de cette caractéristique. Le fait d’avoir connu la séparation de leurs parents est associé à une représentation négative que Coltrane et Adams associent au « modèle de l’enfant du divorce ». Il s’agit en quelque sorte d’un script de la vie des enfants dont les parents sont séparés dans lequel on conçoit que tout ce qui leur arrive de négatif est attribuable à cette séparation, sans chercher à examiner d’autres hypothèses. Que ce script relève de la fiction ou de la réalité, ou encore qu’il serve les intérêts des groupes qui luttent contre la séparation conjugale, il n’en a pas moins des impacts sur l’image que se font les individus de leur vie et peut devenir le point central de la manière dont ils racontent leur histoire personnelle. Toujours selon Coltrane et Adams, ce script amplifie la gêne et la culpabilité des parents qui vivent la recomposition de leur famille, ce qui affecte leurs habiletés parentales.
Heureusement qu’avec le temps, le travail de plusieurs intervenants dans la société et l’augmentation du nombre de personnes qui ont vécu une recomposition familiale, les mentalités ont évolué. On remarque, en effet, que le fait de vivre en famille recomposée ou de côtoyer ces familles tend à diminuer l’entretien d’images stéréotypées à son égard. Ainsi, lorsqu’on a sondé l’opinion des Québécois en 2013 au sujet de la famille recomposée, trois personnes sur quatre ont affirmé être d’accord pour dire que les enfants qui grandissent dans ce type de famille ont autant de chances de bien se développer et d’être heureux que ceux qui grandissent dans une famille intacte. Cette proportion est encore plus élevée lorsque la personne sondée a déjà vécu en famille monoparentale ou recomposée.
Marie-Christine Saint-Jacques
et Claudine Parent
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