UNE SAGESSE MILLÉNAIRE
Le potentiel thérapeutique des arts, des rêves et de l’imaginaire est connu depuis la nuit des temps. On trouve ainsi l’utilisation de l’art visuel, du jeu dramatique, de la danse ou de la musique dans les rituels de guérison de tous les coins du monde. L’observation minutieuse des sites préhistoriques nous renseigne sur la fonction sacrée de l’imaginaire et sur la manière dont les premiers hommes vivaient leur spiritualité, soit à travers la symbolique des peintures pariétales et de la sculpture. Certaines grottes ornées par l’homo sapiens sont, en effet, de véritables théâtres, qui ne semblent pas avoir d’autre fonction que celle de célébrer les mystères de la vie et de la guérison de l’âme et du corps. En déchif- frant les hiéroglyphes de la pierre de Rosette, Jean-François Champollion a contribué à démontrer le pouvoir magique qu’accordaient les Égyptiens à leur art. Dans la Grèce antique, le théâtre est un acte de culte qui a aussi une valeur thérapeutique.
Depuis des siècles, la musique est réputée pour adoucir les tour- ments de l’âme. Aussi, de nos jours, la quête de vision et l’étude des rêves sont encore au cœur de la tradition shamanique amérin- dienne et australienne. La réalisation de mandalas occupe une place importante dans la formation des moines tibétains et la danse est au centre des rituels thérapeutiques africains. À l’origine de toutes les religions, de tous les grands enseignements, il y a la vision d’un prophète ou le rêve d’un homme éveillé. Ces quelques exemples démontrent l’universalité du pouvoir accordé à l’art et le fait que l’imaginaire nous relie à une sagesse qui nous dépasse.
Autrement dit, l’art et l’imaginaire ont toujours été associés à une démarche de guérison psychospirituelle. Pourtant, il y a quelques siècles, le pouvoir guérisseur de l’art et de l’imaginaire a tranquillement sombré dans l’oubli. On a relégué ses manifestations mystérieuses et ses guérisons spectaculaires au rang de sorcellerie ou, tout au plus, de phénomène ésotérique sans intérêt scientifique. Peu à peu, la suprématie de l’intelligence ration- nelle, logique et scientifique du cerveau gauche s’est affirmée. Grâce à la pensée scientifique, nous avons réalisé des progrès technologiques indéniables. Il faut aussi reconnaître certains « miracles » de la médecine moderne dans le traitement et la prévention de plusieurs maladies. Malheureusement, ces victoires semblent exiger le sacrifice de la relation de l’homme avec son âme et on observe un mépris dramatique de l’étroite association entre le corps et l’esprit.
LA MALADIE MENTALE, UNE PUNITION DIVINE
Pendant très longtemps, en Occident, on a considéré la maladie mentale comme une manifestation des forces du mal ou une punition divine. Et c’est souvent en vain que l’exorciseur tentait de débarrasser la personne atteinte de sa folie ou de sa mélancolie. Les «fous» étaient donc enfermés dans des prisons et enchaînés, parfois même brûlés pour hérésie. Les moins dérangeants étaient laissés dans leur famille ou tout simplement expatriés.
L’ART COMME THÉRAPIE « OCCUPATIONNELLE »
Ce n’est qu’à l’aube du XIXe siècle qu’apparaissent les prémices du «traitement moral», avec Philippe Pinel qui, le premier, ose réduire la contention physique des patients et introduire de nouvelles idées sur le traitement de la folie. On assiste alors à la mise en place d’un système de soins qui vise à traiter le mal de l’âme, et l’art s’imposera tout naturellement comme outil auxiliaire. On commence à divertir les malades par le théâtre, la musique, la danse ou toute autre distraction ludique susceptible de capter leur attention. On s’aperçoit notamment que le théâtre, utilisé comme activité compensatoire, permet de modifier ou d’accélérer le rythme des patients. Par exemple, un mélancolique retrouvera un peu de son d’énergie en jouant un rôle comique tandis que l’agressif apprendra à contenir ses accès de rage en interprétant le personnage d’un saint homme. Certains psychiatres préfèrent la musique, qui a souvent un effet tranquillisant; d’autres encouragent leurs patients à dessiner ou à peindre leurs sentiments. Ambroise Tardieu et Paul-Max Simon, deux psychiatres français, s’intéressent à la symbolique présente dans les œuvres plastiques et écrites des malades mentaux. De manière générale, la plupart des médecins reconnaissent que les activités artistiques concourent à rendre les malades plus actifs, moins léthargiques, qu’elles sont une trêve à leur souffrance. Mais il s’agit surtout ici d’une thérapie « occupationnelle », qui n’est pas vraiment prise au sérieux comme traitement.
PRÉDOMINANCE DU MOUVEMENT SCIENTISTE
Les fondateurs de la psychologie moderne, préoccupés par la reconnaissance de leur travail, s’appliquaient à suivre le modèle scientifique. Freud et ses contemporains, du mouvement scien- tiste, convaincus qu’il faut chercher dans la science la solution à tous les problèmes, abordent le psychisme humain avec la même grille d’analyse logique que celle utilisée en physique ou en bio- logie, c’est-à-dire avec le souci de classifier les pathologies et de trouver une explication causale à tous les phénomènes psychologiques. On s’efforce d’éclaircir les mystères de l’âme en ignorant l’existence du monde invisible et en ne considérant que les comportements observables et mesurables. Cependant, à la fois pleine de contradictions, légère et lourde de sens, l’âme humaine ne se laisse pas observer si facilement. Fluide, imprévisible, elle nous plonge le plus souvent dans un univers insolite, impénétrable par la seule voie de la logique.
« On voit naître dans la deuxième moitié du XIXe siècle une psychologie “sans âme”. Sous l’influence du matérialisme scientifique, tout ce qui ne peut être vu avec les yeux ou appréhendé avec les mains est révoqué en doute [...]8.»
Le psychiatre et philosophe Carl Jung, par son concept d’inconscient collectif, dégagera la psychologie freudienne de son carcan mécaniste9 et rigide en prétendant que l’imaginaire nous met en contact avec ce qui, en nous, est plus grand que nous. Il mettra au cœur de sa démarche thérapeutique le pouvoir de l’art et des rêves, de la visualisation et du jeu. Il fera dessiner ses patients et abordera l’imaginaire d’une manière analogue à celle du cerveau droit. Cependant, il faudra attendre quelques années avant que l’on parle d’art-thérapie comme telle.
L’ART AU SERVICE DE L’EXPLORATION INTÉRIEURE
Avec la naissance du mouvement automatiste, au début des années 1940, l’art et l’imaginaire retrouvent leurs lettres de noblesse dans la grande aventure de l’exploration du monde intérieur. Prenant conscience de l’importante influence de l’in- conscient dans tout projet artistique, le peintre québécois Borduas et son groupe prônent la spontanéité dans la création artistique. Ils expérimentent toutes sortes d’exercices d’expression automatique, essentiellement intuitifs, qui visent à laisser libre jeu à l’inconscient. Plusieurs pratiques de l’art-thérapie se sont inspirées de ces expérimentations.
Alexandra Duchastel
Si cet extrait vous a intéressé,
vous pouvez en lire plus
en cliquant sur l'icone ci-dessous