Un conflit peut commencer par une divergence d’opinion, l’irritation devant un comportement que l’on ne comprend pas, la peur ou l’hostilité face à une attitude que l’on estime choquante... À l’origine des conflits, il y a souvent des conceptions différentes du monde, des situations ou des intérêts divergents. Le conflit naît de ces éléments fondateurs, mais il se développe sur notre maladresse relationnelle. Au lieu de tenter de comprendre ou d’évaluer les faits, nous optons pour une surenchère émotionnelle destinée à l’emporter sur l’autre, à gagner la partie ou à sauver nos intérêts. Cette surenchère est la mani- festation d’un blocage de l’empathie naturelle. Nous devenons sourds aux sentiments de l’autre, à ses raisons. Aveuglés par nos émotions et nos préjugés, nous fonçons vers la crise.
Pour les psychologues humanistes Thomas Gordon ou Marshall Rosenberg, cette absence d’empathie est la réelle cause de nos conflits. Pour sortir de cet engrenage qui conduit vers toujours plus de violence, il faut cultiver sa bienveillance, c’est-à-dire sa capacité à voir le meilleur en tout homme. Sans cette bienveillance systématique, la communication est tout simplement impossible : on ne fera aucun effort pour comprendre l’autre si on ne lui prête pas de bonnes intentions ! La chose semble de bon sens. Et pourtant elle n’est pas si aisée. Selon le dictionnaire, la bienveillance se manifeste par des dispositions favorables et de l’indul- gence à l’égard des autres. La bienveillance s’assimilerait donc à la bonté, la mansuétude, la complaisance et la compréhension. Un sacré programme !
Avec ceux que nous aimons ou que nous respectons, la bienveillance se pratique sans difficulté, (à condition d’être de bonne humeur et pas trop fatigué). Mais avec les autres, les inconnus, les collègues peu sympathiques, les patrons ou les voisins acariâtres, c’est une autre affaire ! Nous avons l’habitude de juger leurs comportements, leurs paroles, leurs attitudes et, la plupart du temps, de nous méfier. Emprisonnés dans notre évaluation négative, nous n’entendons que ce que nous voulons entendre. Notre filtre négatif noircit la situation avant même que nous nous soyons donné la peine de l’étudier. Nous ne les écoutons pas... et eux non plus !
Faire le pari d’une confiance partagée
La communication non violente propose une autre voie qui permet de sortir de nos impasses relationnelles. Pour recommencer à communiquer efficacement, elle nous incite à abandonner cette attitude de réserve, voire de défiance, qui ne donne rien de bon. En somme, elle nous demande de reprogrammer tous nos réflexes naturels en décidant d’être bienveillant de manière quasi artificielle. Cette bienveillance volontairement offerte à tous ouvre de nouveaux horizons. Non seulement elle permet de surmonter nos filtres défor- mants sur la réalité et les autres, mais elle est surtout fort utile pour instaurer des relations harmonieuses qui déboucheront sur un mieux- vivre ensemble, voire pour résoudre de vieux conflits larvés.
Je vous vois déjà tordre le nez, encore une histoire de Bisounours ! Tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau... Rassurez-vous, personne ne vous demande de signer un chèque en blanc à tous ceux que vous rencontrez. La psychologie humaniste incite à regarder les autres avec des yeux neufs et dénués de préjugés pour mieux évaluer les situations. En abandonnant nos défenses habituelles (ces milliers d’avis que nous avons sur mille et une choses), nous pourrons aborder les nouvelles situations avec un esprit ouvert et positif, beaucoup plus à même de créer des relations agréables. Sensible à notre approche dénuée de jugement ou de prévention, notre interlocuteur se sentira à l’aise et optera sans doute pour la même attitude.
La bienveillance n’est pas la sympathie
Mais au fait, pourquoi devrait-on observer les autres avec indulgence et compréhension ? Si leurs attitudes ou leurs paroles nous choquent, il semble naturel de se méfier. Nous avons pleinement le droit d’être très critiques, voire hostiles devant certains comportements. La psychologie humaniste ne prétend pas le contraire, mais elle pose comme postulat que tous les individus ont d’excellentes raisons d’agir comme ils le font. Ces raisons sont les leurs, vous pouvez ne pas les partager, mais si vous ne les abordez pas avec bienveillance, vous ne découvrirez jamais les motifs qui justifient leurs actes ou leurs paroles. Et si vous ne comprenez pas leurs raisons, vous ne pourrez jamais discuter avec eux d’éven- tuelles modifications de leurs comportements. Bref, vous serez condamné à réprimer ou à subir, une alternative plutôt limitée.
Et si les raisons qui les motivent sont indé- fendables ? S’ils agissent par jalousie, envie, méchanceté, perversité ? Bref, si leur seul objectif est de nous faire du mal, de nous nuire ?
Lors de mes formations en communication et en management, j’entends souvent des propos de ce type de la part de mes stagiaires. Ils s’imaginent souvent que les difficultés qu’ils rencontrent avec leurs collègues ou leurs subordonnés sont le fait d’une attitude hostile. Si les autres ne font pas ce qu’ils veulent, c’est par paresse ou pour leur casser les pieds. Est-ce vraisemblable ? Difficile d’en juger sans connaître en profondeur les personnes et les situations, mais je serais tentée de croire le contraire dans la majorité des cas. Si les collègues ou les subordonnés en question agissent ainsi, c’est sans doute pour d’excellentes raisons : ils n’ont pas compris la demande, ils sont débordés, fatigués, ils ont oublié. En clair, ils ont d’autres priorités... La volonté de nuire n’a rien à voir là-dedans.
L’empathie, une approche pragmatique des relations
Or la conviction que l’autre fait preuve de mauvaise volonté agit comme un poison. Au lieu d’essayer de comprendre ce qui coince, l’individu qui aborde la relation avec méfiance envenime la situation. Il juge l’attitude de l’autre, celui qui est jugé se sent agressé et se cabre. Pas facile, ensuite, de continuer à travailler ensemble. La bienveillance volontaire n’est pas un gadget. En dehors de tous dogmes religieux ou philosophiques, c’est tout simplement une attitude pragmatique pour communiquer avec les autres et éviter les conflits. En se débarrassant des a priori que l’on a sur les autres et en évitant de les juger, on aborde les situations avec davan- tage d’efficacité. Cette neutralité amicale est un terrain fertile sur lequel peuvent se développer des relations harmonieuses, intelligentes et fluides.
Mieux encore, cette bienveillance est un puissant outil au service du discernement. En facilitant les échanges, elle vous permettra d’al- ler plus loin que les apparences et de faire le tri entre vos véritables « ennemis » et les simples malentendus. Gageons que les premiers seront bien moins nombreux que les seconds ! Regarder le monde et les autres avec bienveillance rend mille fois plus lucide et... heureux !
Pascale de Lomas*
Pour en savoir plus, lire :
Dénouer les conflits sans violence, c'est malin
*Pascale de Lomas
http://www.editionsleduc.com