L’exposome, une contribution majeure pour la prévention

L’exposome correspond à l’ensemble des expositions, notamment à des agents chimiques, biologiques, physiques, des stress psycho-sociaux subies par un individu tout au long de sa vie. Il a été conçu dès le départ comme étant le complément du génome et comme un facteur majeur influençant la santé et l’état de bien-être des individus et des populations. Les expositions regroupées dans l’exposome sont, pour certaines d’entre elles, évitables et, dans ce sens, une meilleure compréhension de l’exposome va permettre de jouer un rôle majeur en prévention. Différentes propositions et initiatives ont contribué à mieux préciser certains aspects de l’exposome pour le rendre plus opérationnel, notamment concernant l’exposome chimique. Pour mieux cibler ce rapport, nous avons exclu les maladies infectieuses et parasitaires, les effets des médicaments et autres accidents thérapeutiques.

 

L’Académie nationale de médecine émet, dans ce rapport, des recommandations pour contribuer à une meilleure prise en compte des effets de l’exposome sur la Santé. Elles visent à ancrer la notion d’exposome dans le quotidien des populations et à prévenir les impacts sanitaires de la crise environnementale. Des recommandations précises sont faites pour améliorer les capacités de mesurer des expositions, développer les services sanitaires capables d’explorer et d’interpréter les impacts des expositions, intégrer la prise en compte de l’exposome dans les évolutions de la réglementation, et développer une prévention à l’échelle populationnelle et personnalisée tenant compte notamment du sexe et du stade de développement. La prise en compte de l’exposome dans la pratique clinique est aussi recommandée. Enfin, un programme ambitieux de recherche sur l’exposome est proposé notamment par le développement des infrastructures et des méthodes adéquates et de projets d’étude des impacts de l’exposome sur les maladies.

 

Une meilleure compréhension de la nature des expositions environnementales et de leurs impacts est une étape cruciale dans le développement d’une médecine préventive de qualité.

 

Recommandations

  1. Améliorer les capacités de mesure de l’exposome et de sesimpacts sanitaires.

Les technologies pour l’évaluation de l’exposome doivent se développer et s’ouvrir à différents champs médicaux et :

    1. Développer des programmes de mesure de l’exposome chimique, laconception et l’implantation de capteurs et analyseurs de l’environnementgénéral et individuel (dont la sensibilité et la fiabilité s’améliorent constamment), innover pour de nouveaux analyseurs notamment ciblés sur les micropolluantsorganiques.
    2. Structurer une unité nationale pour la détection des dangers émergentsbiologiques et chimiques notamment grâce à la méthode de l’épidémiologie deseaux usées.
    3. Élaborer un indice intégrant les différentes composantes de l’exposome social

(niveau socio-économique, éducation, logement…).

    1. Tenir compte du sexe et du genre dans l’exploration de l’Exposome et deses impacts. Les notions de sexe et de genre doivent être inclues dans lesexpertises et les recherches comme recommandé par le NIH (National Institute of Health) depuis 2014 [36], les expositions et leurs impacts pouvant être différents selon le sexe et le genre.
    2. Évaluer l’exposition à des contaminants chez les personnes les plus vulnérables. Il s’agit, en clinique, d’évaluer les expositions environnementales lors des grossesses et pendant la période de lactation et pour les patientslorsque leur état l’exige (par exemple asthme, troubles cardiaques, pulmonaires) et ceci grâce au développement des méthodes analytiques et destechnologies des capteurs
    3. Caractériser l’impact de l’exposome sur la cinétique, l’efficacité et la toxicité des médicaments (pharmaco-exposomique ). Le rôle de certains composants de l’environnement et de l’alimentation ainsi que du microbiote dansl’efficacité et la toxicité des médicaments est connu (par exemple tisanes à basede millepertuis, réglisse, pamplemousse, phyto-oetrogènes). Il est recommandé d’explorer le contexte environnemental et alimentaire en cas d’inefficacité ou detoxicité des médicaments

 

  1. Prendre des mesures de gestion pour limiter les expositions etleurs impacts
    1. Inciter les agences sanitaires à poursuivre l’appropriation du concept d’exposome. L’appropriation du concept d’exposome par les agences sanitaires a déjà commencé et mérite d’être amplifié et mis en pratique. L’Anses, a édité un rapport sur la prise en compte de l’exposome dans sestravaux et les préconisations très pratiques doivent être financées 4. Santépublique France, l’INERIS et l’IRSN se sont aussi appropriés ce concept. Cesévolutions doivent être poursuivies, soutenues, amplifiées et les résultatspartagés
    2. Réviser des valeurs seuil réglementaires tenant compte de l’exposome. Les valeurs seuils sont actuellement fixées en prenant en compte les substances individuellement (et souvent indépendamment selon la source del’exposition), ce qui ne correspond pas à la réalité des expositions environnementales à une multitude d’agents chimiques, physiques et biologiques selon différentes voies seules ou combinées (orale, cutanée,pulmonaire). Le « pacte vert » européen, et notamment le plan zéro pollution5proposent de tenir compte, pour un agent chimique donné, des différentes sources d’exposition et du mélange de plusieurs substances. Les agences européennes devraient revoir leurs modes de calcul pour tenir compte des effets des mélanges etdes interactions possibles entre substances chimiques, déséquilibres alimentaires et environnement microbiologique, ainsi que de la vulnérabilité particulière des personnes à faibles revenus.
    3. Renforcer  les  centres  régionaux  de  pathologies  professionnelles  et

environnementales (CRPPE). Ces centres qui étaient uniquement dédiés aux pathologies professionnelles ont, depuis deux ans, des missions dans le champ environnemental6. Un audit est nécessaire pour vérifier qu’ils ont bien acquis les compétences dans le champ environnemental. Il faut qu’ils développent une compétence sur les effets chroniques et aigus et faire en sorte que l’extension de leurs missions soit effective dans l’ensemble des régions en analysant et répondant à leurs besoins.

    1. Évaluer et développer les activités des conseillers médicaux en environnement intérieur. Les activités des conseillers médicaux en environnementintérieur (CMEI) sont très pertinentes mais sont-ils suffisamment sollicités et à bon escient ? Quels sont les impacts de leurs interventions ? Il faut réaliser uneévaluation et apporter les soutiens nécessaires. Il est souhaitable de s’inspirerde l’étude pilote ANGELE concernant les patients allergiques et associant médecins, conseillers médicaux et diététiciens7.

 

    1. Améliorer la communication envers les risques environnementaux. La communication doit prendre en compte les bienfaits et les risques d’un aliment ou un produit de consommation et éviter des informations partielles parfois contradictoires. Le dialogue science et société doit se développer notamment au travers des sciences participatives notamment grâce à la science de la communication et de lamédiation scientifique particulièrement dans le champ environnement et santé.
    2. Étudier l’introduction d’un score pour évaluer les produits de consommations : un

« toxiscore » sur le risque de toxicité des produits de consommation et leurs impacts environnementaux permettrait de mieux informer les consommateurs et les orienter. Il est possible de commencer par les produits ménagers, comme cela avait été annoncé par le ministère en charge de l’environnement 8. Il peut être combiné à une évaluation du coût environnemental du produit de consommation, notamment l’empreinte carbone.

    1. Rechercher les co-bénéfices dans les mesures de gestion. Le notion d’exposome doit inclure les impacts du changement climatique et de la perte debiodiversité. Dans toute décision publique, les impacts sur l’environnement, le climat, la biodiversité et la santé doivent être évalués. Les co-bénéfices et le rapport bénéfices-risques doivent être recherchés.

 

  1. Développer une prévention à l’échelle locale et individuelle

L’objectif est d’appliquer le concept d’exposome dans le quotidien du patient et du citoyen. La notion d’exposome reste encore théorique pour beaucoup de citoyens. Une application de ce concept dans la vie quotidienne est donc nécessaire pour tous, ycompris les patients.

    1. Intégrer l’exposome en pratique clinique. Il s’agit de familiariser les professionnels de santé avec une liste des dangers et des facteurs d’exposition dans le but de favoriser les préventions primaire et secondaire. Par exemple la pollution de l’air, le bruit, les expositions aux perturbateurs endocriniens, lesexpositions professionnelles, la situation psycho-sociale. L’exposome doit êtreintégré dans ce qui est appelé la médecine 6P (personnalisée, préventive et prédictive (mais aussi participative, par les preuves et le parcours de soin (36) et contribuer notamment à la médecine préventive et personnalisée (37).

 

    1. Former et informer le plus largement possible les citoyens en intégrantl’exposome dans une formation scolaire aux notions de santé et dans les formations professionnelles (budget espace-temps, phases sensibles de la vie, principales voies de prévention et de réduction des émissions et des expositions…).
    2. Exposome et milieu professionnel. Les expositions sont multiples en milieu professionnel : produits chimiques, bruit, rayonnements, stress psycho-sociaux... dont les effets sont combinés. Une vision globale des expositions etde leurs impacts sanitaires en milieu professionnel est indispensable, accompagnée d’une formation et des recommandations aux médecins du travail. Cela signifie un nouveau développement de la médecine du travail dans lecadre des efforts pour promouvoir la médecine de prévention.
    3. Exposome et milieu urbain. Plus de 70 % des humains vivent en milieuurbain et ces chiffres augmentent. La ville concentre des expositions multiples(chaleur, qualité de l’air, bruit, densité des populations, stress, manque d’espacesverts...). Parmi les solutions pour limiter ces nuisances, la multiplication desespaces verts limite les élévations de température, améliore la qualité de l’air, diminue le bruit et encourage les activités physiques. L’impact sanitaire et environnemental des décisions concernant l’aménagement des villes doit êtreévalué et doit orienter les choix de développements urbains. La gestion des déchets solides et liquides doit être améliorée. Le même type de raisonnementpeut s’appliquer au milieu rural et au milieu semi-urbain. Le développement des systèmes de mesure et de l’acquisition de données est indispensable.

 

  1. Mettre en œuvre un Programme National de Recherche surl’Exposome àlahauteur des attentes sociétales et scientifiques

A l’instar des programmes sur le génome, il est nécessaire d’intensifier significativement la recherche sur les déterminants, les mesures, les impacts de l’exposome et sur les méthodes de prévention des risques. Pour cela il faut développer un programme nationalcohérent et ambitieux. Les éléments de ce programme sont déclinés ci-dessous sous forme de recommandations précises.

 

    1. Installerdesinfrastructuresetdesprogrammesdurablesaux échelleseuropéenne et nationale pour répondre à de nombreux besoins :
      1. Une caractérisation analytique à large spectre de l’exposome chimique dans des matrices humaines et environnementales. Il estrecommandé d’accélérer le développement et d’assureer la durabilitéde l’ESFRI européenne (European Strategy Forum on Research Infrastructures) intitulée EIRENE (Research Infrastructure forEnvIRonmental Exposure assessmeNt in Europe)9 et de l’infrastructurenationale France Exposome (portée par plusieurs instituts ou universités dont l’IRSET à Rennes et le LABERCA à Nantes)10 pour l’étude de l’exposome chimique cherchent à répondre à ce type d’objectifs..
      2. Une capacité d’analyse de grands jeux de données permettant la caractérisation des expositions et de leurs impacts. Il est recommandé d’étendre les objectifs du programme français « Green Data for Health » porté par le CGDD (Commissariat Général au Développement Durable)11 pour accélérer les capacités de mieux analyser les jeux dedonnées, les rendre interopérables et les aligner avec les critères « FAIR» (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable). Il est donc nécessaire d’harmoniser ces différentes initiatives à l’échelle européenne et de renforcer considérablement les capacités françaises.
      3. Une capacité d’analyse toxicologique à grande échelle permettant de mieux prédire les impacts d’expositions mal connues et de mettre en évidence une causalité entre exposome et effet sur lasanté. Il est nécessaire d’assurer la durabilité de ces activités. Il estrecommandé de renforcer les capacités françaises dans ce domaine ensoutenant les instituts de recherche et les agences sanitaires ad hoc et deporter le projet d’un programme européen durable de toxicologie à l’image du « National Toxicology Program, NTP » américain12 qui pourraits’appuyer sur l’infrastructure européenne sur

l’exposome EIRENE13.

      1. Des cohortes épidémiologiques de grande taille permettant de bien caractériser l’exposome et de détecter des évènements sanitaires relativement rares. Il faut une cohorte de grande taille à l’échelle européenne spécialement conçue pour l’analyse de l’exposome (> 100 000 personnes). Il est nécessaire qu’un programme national et européen sur l’exposome identifie les contributions venant des infrastructures existantes ou en gestation et, en pointant les manques,propose la création de nouvelles infrastructures.

 

    1. Développer des actions de recherche en lien avec l’Exposome
      1. Développer une recherche clinique tenant compte de l’Exposome.Intégrer l’exposome dans la pratique clinique est possible si les argumentsen faveur de son impact pathologique sont renforcés et si la formation des professionnels de santé accompagne ce développement. Cette priseen compte de l’exposome se fera sans doute en premier dans la médecine du travail (exposome professionnel) déjà sensibilisée etprogressivement dans les champs de la maternité et de la reproduction,de la néonatalogie et de la pédiatrie et dans des spécialités comme la pneumologie. Elle devrait s’étendre à l’ensemble des spécialités.
      2. Tenir compte du sexe et du genre dans l’exploration de l’exposome et de ses impacts. Il est indéniable que le sexe et le genreinfluencent la nature et l’intensité de certaines expositions environnementales ainsi que leurs impacts sanitaires. La relation entreexposome et sexe et genre doit faire l’objet de recherches dédiées.
      3. Soutenir et amplifier les études visant l’exposition des futuresmères pendant la grossesse et du nouveau-né. Ces expositions sontsuspectées d’avoir des impacts sur la santé du futur individu, voire sur sadescendance. Les travaux de recherche en cours doivent être amplifiés etdes recherches visant à identifier des biomarqueurs précoces devraientêtre entreprises.
      4. Explorer l’épigénotoxicité en relation avec l’exposome. Des recherches intensives dans ce domaine sont nécessaires et doivent permettre de mettreen œuvre les promesses de l’épigénétique (37,38) et de fournir des tests simples et prédictifs (voir annexe). Il est important que les agences d’évaluation des substances chimiques prennent plus particulièrement en compte ces mécanismes, par exemple dans l’évaluation d’un effet cancérogène.

 

      1. Prendre en compte l’éco-exposome. La santé des écosystèmes et la santé animale dépendent en grande partie des activités humaines et enretour présentent un impact non négligeable sur la santé humaine. Larecherche dans ce champ multi-disciplinaire doit être développée.
      2. Exploiter les grands jeux de données. Des recherches sontnécessaires pour développer les méthodes en mathématique etinformatique pour croiser des masses de données environnementales etsanitaires. Il est aussi nécessaire de développer des recommandations pour une bonne interprétation du croisement des données environnementales et sanitaires
      3. Promouvoir la bio-informatique et la modélisation dans le champ de la toxicologie et des expositions. La toxicologie expérimentale qui se focalise de plus en plus sur des méthodes alternatives à l’expérimentation animale exige un développement de méthodes de bio-informatique et de l’intelligence artificielle tant du point de vue de la réactivité chimique que des mécanismes d’action biologiques. Elles sont essentielles pour caractériser les effets des mélanges de substances lesplus pertinents et d’en prédire les effets néfastes.
      4. Favoriser le développement des voies biologiques de toxicité (AOPs). Les AOP ou voies biologiques de toxicité (voir annexe)structurent la recherche et l’expertise actuelles en toxicologie. Elles sont encore très partielles et devraient être complétées dans les années à venir.
      5. Explorer la traduction biologique des facteurs psycho-sociaux. Les inégalités sociales constituent le socle sur lequel des inégalités d’exposition environnementale vont se greffer et conduire à ce qui estappelé l’injustice environnementale (39). Des programmes multi-disciplinaires doivent intégrer, notamment par la traduction en termes de voies biologiques des impacts des expositions de nature sociale et psychologique et l’exposome fournit un cadre adéquat dans cet objectif.

 

    1. Intégrer les risques liés aux mélanges de produits chimiques dans les réglementations inspirés par l’exposome. Bien que des décisions puissent être prises rapidement avec les connaissances actuelles, il est nécessaire d’amplifier la recherche sur la meilleure manière de prendre en compte ces mélangesnotamment en développant l’interprétation des bioessais. La possibilité d’ajouterun facteur supplémentaire de correction dans le calcul des valeurs limites sanitaires(MAF pour

 

Mixture Assessment Factor) est à envisager (40). Il s’agit par exemple d’intégrer des données toxicologiques et des données nutritionnelles ou de données d’exposition aux substances chimiques et de vulnérabilité socio-économique. La réglementationdevra mieux prendre en compte les populations vulnérables.

 

    1. Développer des règles juridiques de réparation inspirées par l’exposome. La réparation des préjudices fait partie des outils contribuant à laprévention. Jusqu’à présent la réparation se fait au niveau individuel ou par actionde classe et porte sur un facteur bien précis (pesticide, défaut mécanique...). Plus récemment a été introduite dans le code civil la notion de préjudiceécologique. L’introduction d’une nouvelle notion appelée préjudice sanitaire est en cours d’étude. Ce préjudice concernerait des atteintes aux intérêts humainsdans une vision collective et non individuelle, par exemple si une activité par son ampleur altère la qualité de l’air ou de l’eau pour une large population.

 

Rapport intégral sur l’ensemble des expositions, notamment à des agents chimiques, biologiques, physiques, des stress psycho-sociaux subies par un individu tout au long de sa vie