Particularités de la médecine chinoise

Si la médecine chinoise ne peut pas être amalgamée à la médecine occidentale, elle se distingue tout aussi sûrement du large éventail de pratiques qu’on qualifie couramment de parallèles, complémentaires ou alternatives2. La Chine possède, en effet, cette double particularité, exception historique et anthropologique, d’être le berceau d’un système médical qui s’est pratiqué dans la longue durée avec une remarquable continuité épistémologique et de l’avoir conservé ou, plus précisément, réimplanté, en tant que médecine d’État, dans les années 1950. La médecine chinoise partage donc avec la biomédecine un statut officiel. Ceci n’est pas seulement vrai en Chine : dans la seule région du Pacifique occidental, elle fait l’objet de documents de politique gouvernementale dans 75 % des pays, il existe des cursus universitaires dans 62,5 % d’entre eux et, dans 69 %, des instituts nationaux de recherche3.

Si la médecine chinoise ne peut pas être amalgamée à la médecine occidentale, elle se distingue tout aussi sûrement du large éventail de pratiques qu’on qualifie couramment de parallèles, complémentaires ou alternatives2. La Chine possède, en effet, cette double particularité, exception historique et anthropologique, d’être le berceau d’un système médical qui s’est pratiqué dans la longue durée avec une remarquable continuité épistémologique et de l’avoir conservé ou, plus précisément, réimplanté, en tant que médecine d’État, dans les années 1950. La médecine chinoise partage donc avec la biomédecine un statut officiel. Ceci n’est pas seulement vrai en Chine : dans la seule région du Pacifique occidental, elle fait l’objet de documents de politique gouvernementale dans 75 % des pays, il existe des cursus universitaires dans 62,5 % d’entre eux et, dans 69 %, des instituts nationaux de recherche3.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, en Chine, 90 % de la population y a recours de façon ponctuelle ou exclusive4. Il ressort donc que ce système médical, que l’on connaît surtout en France sous l’aspect très limité de l’acupuncture, a un statut beaucoup plus proche, à l’échelle mondiale, de celui de la médecine occidentale que de la position des autres pratiques qu’on regroupe sous le vocable de « médecines alternatives». Certaines disciplines, comme les médecines tibétaines ou ayurvédiques, ont une origine très ancienne et leur intérêt est indiscutable, mais elles ne sont pratiquées qu’à une petite échelle, peu implantées en milieu hospitalier, et les recherches ou validations modernes, en ce qui les concerne, sont beaucoup plus rares. De plus, dans les universités d’État de médecine chinoise, on enseigne à la fois, aux futurs médecins hospitaliers, des théories et des méthodes fondées sur des textes millénaires et des techniques d’investigation ou de soin issues de la science moderne. Cette approche, apparemment paradoxale, de la pratique et de l’enseignement médicaux, est un des aspects qui font l’intérêt, l’originalité et la pérennité de la médecine chinoise.

Il est peut-être utile d’introduire ici une précision terminologique. L’emploi de la dénomination « médecine traditionnelle chinoise » (MTC)5 s’est largement répandu, au point de devenir presque consensuel. Tout d’abord, le terme « médecine traditionnelle chinoise » est une invention contemporaine de prati- ciens et de chercheurs occidentaux qui a été progressivement adoptée par les Chinois eux-mêmes, principalement pour désigner le système médical insti- tutionnel qui a été instauré en Chine après 1949. Il n’a pas d’équivalent, d’un usage aussi répandu, dans la langue chinoise. Dans la littérature médicale classique, on utilise seulement yi 醫 [médecine]. Le terme contemporain zhongyi 中醫 [médecine chinoise] désigne, indifféremment, la médecine savante qui s’est élaborée tout au long de la période impériale et la médecine chinoise contem- poraine aujourd’hui établie officiellement, parallèlement et par opposition à ce qui est nommé xiyi 西醫 [médecine occidentale]. Les Chinois ont commencé à employer la notion de « Traditional Chinese Medicine » en traduisant leurs ma- nuels en anglais, afin d’exporter leur savoir, dans la deuxième moitié du XXe siècle, avec l’intention explicite de générer une certaine perception de la médecine chinoise en Occident. Cette appellation entraîne de nombreuses confusions. Par exemple, elle induit l’idée de transcendance des origines et l’illusion d’une transmission ininterrompue. De plus, elle laisse penser aux Occidentaux qu’il y aurait une rupture entre deux médecines chinoises inconciliables : l’ancienne, impériale et traditionnelle, et la moderne, communiste et coupée définitivement de ses racines. Or, si les changements survenus au cours du XXe siècle ne peuvent pas être ignorés, il n’est pas certain ni évident qu’ils soient les plus importants de l’histoire de la médecine chinoise. Enfin, l’appellation de médecine6traditionnelle fait référence à des conceptions criti- quées par Paul Unschuld ; celui-ci évoque l’influence des travaux d’Erwin Ackerknecht7 sur l’anthropologie médicale qui ont conduit à généraliser l’appro- che de la médecine en tant que système culturel. Or, Unschuld mentionne que ce mode d’appréhension, s’il est possible pour des sociétés assez simples dont les membres partagent, pour la plupart d’entre eux au moins, les mêmes réalités politiques, économiques et religieuses, est inapplicable à des civilisations aussi complexes que la Chine. Ma perception de la médecine chinoise sur le terrain et à travers son histoire me conduit à partager ce point de vue : la médecine chinoise, pas plus que la médecine occidentale, ne peut être considérée comme une ethnomédecine. Il faut d’ailleurs remarquer que ces deux systèmes médicaux sont pratiquement les seuls à connaître une diffusion et un développement qui débordent largement de leurs aires culturelles d’origine8.

Tout au long de cet ouvrage, le lecteur constatera que la médecine chinoise est constituée d’un ensemble de théories et de pratiques sous-tendues par un système cognitif9 et par une dialectique spécifiques. Dans la plupart des aspects de la médecine savante qui s’est élaborée en Chine, le corps humain est perçu comme un empire. Les viscères ne sont pas des groupes de tissus mais des ministères et des administrations au service d’un gouvernement. On emploie d’ailleurs volontiers les termes d’empereur, de chancelier, de général, d’intendant ou de divers fonctionnaires pour les définir. Ils n’exercent pas seulement une action physiologique, ils « gouvernent ». On dira, par exemple : gan zhu shuxie 肝主疏瀉 [le Foie gouverne le drainage et la dispersion]. Il ne s’agit pas tant d’une fonction organique que d’une charge politique. De la même façon, on parlera de correspondances, de communication, de domination, d’attaque, toutes expressions utilisées pour définir des actions d’organisation sociale ou de stratégie militaire. Quant au mot zhi 治, il peut aussi bien signifier « gérer » que « soigner ». Il faut savoir que, dans la Chine ancienne, la profession médicale n’a pas toujours constitué un métier à part entière, exercé pendant toute la vie. De nombreux médecins historiques ont occupé, en tant que lettrés, diverses fonctions administratives, politiques ou militaires. Ce facteur, associé à la conception du corps comme une représentation miniaturisée d’un empire, est sans doute à l’origine de cette terminologie.

D’autre part, la médecine chinoise bénéficie d’un champ d’application très étendu car elle est pratiquée depuis longtemps, dans une aire culturelle vaste et à forte démographie. Quel autre système médical a pu expérimenter sa pharmacopée, par exemple, depuis aussi longtemps et sur une aussi grande population ? Certaines substances sont référencées et quotidiennement utilisées depuis plus de deux millénaires.

Enfin, la médecine chinoise est un système complet et non une simple technique médicale aux applications limitées. En homéopathie, par exemple, il n’existe pas de techniques d’obstétrique, de massage ou de chirurgie. Les différentes thérapeutiques manuelles (ostéopathie, chiropraxie, vertébrothérapie) ne disposent pas de leur propre pharmacopée et ont un spectre d’applications restreint. Il n’est pas question de polémiquer sur les valeurs intrinsèques de ces disciplines qui ont leur place dans l’offre de soins disponibles pour les patients. Il faut seulement différencier, au-delà de leurs valeurs et de leurs limites, d’une part, des systèmes médicaux complets, comme la médecine chinoise ou la biomédecine occidentale, et, d’autre part, des techniques thérapeutiques partielles ne pouvant couvrir tous les champs de la pathologie. Ceci explique qu’on ne trouve, à travers le monde que deux catégories d’hôpitaux mis en place par des États : des hôpitaux de biomédecine et des hôpitaux de médecine traditionnelle chinoise. Cependant, seule la médecine chinoise bénéficie à la fois, comme la médecine occidentale, de l’expérience d’un statut officiel et, comme d’autres médecines traditionnelles, d’une approche plus humaniste et plus globale de l’être humain, de la santé et de la maladie.

2. Le terme de « médecine douce » est si peu adéquat qu’il n’est plus guère utilisé dans les publications sérieuses.
3. Organisation mondiale de la santé, Bureau régional du Pacifique occidental, Comité régional, 52e session, Brunei Darussalam, 10-14 septembre 2001,.

 

Eric Marié

 

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Précis de médecine chinoise