Lire : Précis d'acuponcture chinoise

L’acupuncture est une branche thérapeutique majeure de la médecine chinoise. La plupart de ses théories fondamentales sont présentes dans le Huangdi Neijing [Classique interne de l’Empereur jaune], ouvrage composite dont les parties les plus anciennes sont peut-être antérieures au IIIe siècle av. J.-C. Le système médical chinois a la particularité de présenter une remarquable continuité épistémologique dans la longue durée, tout en intégrant de nouveaux savoirs et en s’adaptant aux apports extérieurs. Malgré la confrontation avec la médecine occidentale, qui s’est principalement opérée, en Chine, aux XIXe et XXe siècles, la médecine traditionnelle chinoise a conservé une certaine autonomie. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler qu’il existe aujourd’hui, en Chine, deux systèmes médicaux officiels : médecine occidentale et médecine chinoise. Chacune dispose de ses propres institutions universitaires et hospitalières ainsi que de cursus et de diplômes spécifiques, ce qui constitue, en terme de santé publique et d’offre de soins, un modèle inhabituel pour les Occidentaux habitués à l’existence exclusive d’une médecine dominante engagée dans un rapport d’opposition, de rupture, d’ignorance ou, dans le meilleurs des cas, de tolérance, vis-à-vis de toutes les autres conceptions médicales qualifiées de parallèles ou de complémentaires. C’est donc dans ce contexte de reconnaissance institutionnelle et d’organisation politique et sociale de la médecine chinoise que des facultés et instituts publics vont voir le jour, dans toutes les provinces chinoises, à partir des années 1950. L’Académie de médecine chinoise est ainsi fondée, à Pékin, le 19 décembre 1955. Destinée à constituer le plus important centre de recherche dans cette discipline, elle sera à l’origine d’un grand nombre de publications. Parmi celles-ci, il faut mentionner des ouvrages d’acupuncture destinés initialement aux étudiants et médecins chinois.

Les Européens découvrent la médecine chinoise au cours des XVIe et XVIIe siècles, initialement grâce aux voyageurs portugais. On peut notamment citer Fernao Mendes Pinto (1511-1583) qui, dans la version originale de ses Pérégrinations 1, mentionne pour la première fois la pratique de l’acupuncture (du latin acus, aiguille, et punctura, piqûre). Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ce sont tour à tour des missionnaires jésuites et des chirurgiens de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales qui vont introduire cette discipline en Europe, sans que l’accent ne soit particulièrement mis sur l’acupuncture qui commence à susciter réellement un intérêt dans les milieux médicaux à partir du XIXe siècle, suscitant des vocations plus ou moins heureuses, l’absence de sources fiables se faisant cruellement sentir. L’ouvrage 2 de Dabry de Thiersant (1826-1898), puis ceux de Soulié de Morant (1878-1955) vont partiellement combler ce vide. Mais force est de constater qu’avant les années 1970, les acupuncteurs occidentaux, y compris ceux qui se réclament de la plus pure « tradition » chinoise, n’ont accès à aucun document publié en Chine.

C’est dans ce contexte que le Précis d’acuponcture chinoise va être conçu. À cette époque, un certain nombre d’Occidentaux sont motivés pour étudier cette discipline mais la distance géographique et la barrière de la langue constituent des obstacles majeurs. Comme les Chinois souhaitent favoriser la diffusion de leur médecine à travers le monde, ils vont prendre l’initiative de rédiger tout d’abord un ouvrage en anglais 3 lequel sera, en 1977, traduit en français et publié par les Éditions Dangles 4.

Depuis près de trois décennies, l’ouvrage est devenu une référence pour des dizaines de milliers de lecteurs et son succès ne décline pas. On pourrait s’en étonner car l’enseignement de l’acupuncture, en Chine comme dans le reste du monde, a beaucoup évolué. En outre, de très nombreuses publications sont à la disposition des lecteurs occidentaux. Il semble que l’intérêt de ce livre soit double. Tout d’abord, il constitue une sorte de témoin historique d’une étape majeure dans la diffusion de l’acupuncture chinoise dans le monde. Mais il est peu pro- bable que la majorité des lecteurs l’achètent pour cette seule raison. Son autre intérêt est, de toute évidence, didactique et pratique. Pour le comprendre, il faut se pencher un peu sur son contenu.

Si l’on connaît le contexte politique du moment de la rédaction de l’ouvrage, on ne s’étonnera pas que l’Introduction tente de concilier histoire de la médecine chinoise et apologie du maoïsme. Il ne faut pas s’arrêter à ces contraintes rédactionnelles récurrentes dans toute la littérature médicale de cette époque. On découvre ensuite une première partie qui constitue un exposé simple mais clair des techniques de bases de l’acupuncture et de la moxibustion. Puis, vient la théorie des méridiens et l’exposé de leur trajet, ainsi que la classification des points, exposés de façon synthétique avec croquis et tableaux. L’intérêt du livre réside surtout dans la troisième partie, la plus longue, qui constitue un atlas anatomique d’acupuncture, avec les localisations et fonctions des points. La quatrième partie est consacrée à la thérapeutique et se présente comme un aide mémoire des principaux points utilisés dans le traitement d’une cinquantaine de maladies, sans références à la nosologie traditionnelle chinoise. Enfin, une cinquième partie présente succinctement des pratiques dérivées ou inspirées de l’acupuncture, comme l’auriculothérapie ou l’analgésie. En substance, cet ouvrage ne présente pas d’approfondissements théoriques, mais permet de parcourir de façon assez complète la diversité des aspects de l’acupuncture chinoise qui s’est développée à la fin du XXe siècle, tout en constituant un bon guide de repérage et d’apprentissage des points. On peut en conclure que le Précis d’acuponcture chinoise ne saurait être une source suffisante pour un étudiant ou un thérapeute qui voudrait étudier et pratiquer cette discipline; aucun livre ne pourrait d’ailleurs prétendre à cette exhaustivité. En revanche, il constitue un guide utile à un certain stade de l’apprentissage et sa place est légitime dans la bibliothèque de toute personne intéressée par l’acupuncture chinoise.

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1 F. Mendes Pinto, Peregrinacam de Fernam Mendez Pinto, em que da conta de muytas et muyto estranhas cousas que vio et ouvio no reyno da China, no da Tartaria, no do Sornau..., escrita pelo mesmo Fernao Mendez Pinto,... , P. Crasbeeck, 1614. Les références à l’acupuncture disparaissent dans les traductions posthumes française (1645) et anglaise (1653) de ses souvenirs de voyages.
2 P. Dabry de Thiersant, La médecine chez les Chinois, Paris, Plon, 1863.
3 An Outline of Chinese Acupuncture, Pékin, Foreign Languages Press, 1975.
4 Une autre version de l’ouvrage, presque identique mais présentant quelques variations
dans la traduction, sera imprimée à Pékin, la même année, pour le compte des Éditions en langues étrangères.

 

 

Professeur Éric Marié
Faculté de médecine chinoise du Jiangxi Faculté de biologie et de médecine de Lausanne

 

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