Osthéopathie : une toile conjonctive, un matériau commun entre espèces

Entorse, déchirure musculaire, cicatrices ont été considérées dans le paragraphe précédent comme des fractures du tissu conjonctif, des « fractures de gélatine ». Toutes fractures en médecine étant une discontinuité, on parle ausside discontinuité tissulaire. Les cicatrices sont à considérer comme une couture avec du fil. Cela peut créer au niveau du tissu conjonctif des blocs fibreux, amidonnés, des « blocs de gélatine ».


Entorse, déchirure musculaire, cicatrices ont été considérées dans le paragraphe précédent comme des fractures du tissu conjonctif, des « fractures de gélatine ». Toutes fractures en médecine étant une discontinuité, on parle aussi de discontinuité tissulaire. Les cicatrices sont à considérer comme une couture avec du fil. Cela peut créer au niveau du tissu conjonctif des blocs fibreux, amidonnés, des « blocs de gélatine ». Ce que montre l’endoscope du docteur Guimberteau, ce sont des cicatrices qui entravent le retour d’une continuité du tissu conjonctif. Par son caractère ubiquitaire fondé sur un réseau de fibrilles, le tissu conjonctif donne une réponse à distance de la cicatrice. Il est important pour l’ostéopathe d’enlever la discontinuité contenue dans une cicatrice pour restituer la continuité de ce matériau de base qu’est le tissu conjonctif. Pour ce faire, le massage par étirement de cicatrice se fait en étoile à partir des points de la cicatrice. Il faut trouver les tensions persistantes sous-jacentes qui peuvent se répercuter loin de la cicatrice.

Le tissu conjonctif est un matériau archaïque
C’est le matériau de base de la vie. Le début de la vie est un amas cellulaire sans forme précise. Le tissu conjonctif vient de très loin et continue à se développer. Toutes les structures archaïques ont la particularité d’être très résistantes, résistantes au temps qui déconstruit. Le tissu conjonctif est un lien dans le temps de l’évolution et dans l’espace, dans le corps des différentes espèces. Il est le tissu ancestral des premières cellules, des premiers amas cellulaires – protozoaires, algues, coraux, éponges, méduses. Le collagène est déjà présent chez les plus vieux organismes vivants. Parmi les plus vieux fossiles, précambrien il y a 600 millions d’années, on trouve les stromatolithes d’Ediacara en Australie. Ces stromatolithes sont des organismes marins proches des bactéries. Sous la forme de lamelles, ils constituent la masse des récifs non coralliens.

À l’instar du tissu conjonctif, ces organismes capturent des sels minéraux. Le calcaire, le gaz carbonique sont très présents à ce moment sur la planète. Ils ont constitué une masse de sédiments sur la planète d’où émergent les premiers signes de Vie.

L’Homme, comme tous les organismes vivants, est une transformation continue utilisant du tissu conjonctif, depuis sa conception jusqu’à sa mort. L’avantage adaptatif du tissu conjonctif est un système non spécialisé, neutre, dit indifférencié par les biologistes. Ces cellules « neutres » ont un devenir. Les cellules du tissu conjonctif sont potentiellement des cellules nerveuses, musculaires, immunitaires, hormo- nales. Le tissu conjonctif, dans sa forme primitive ou dans sa forme transformée, constitue « une architecture intérieure ». Ce dernier constitue la « masse corporelle » d’un organisme humain que perçoit un ostéopathe à la surface du corps. Soit environ 70 % du poids corporel. Le tissu conjonctif est partout dans le corps. Ubiquitaire et continu, il sert de liant à un corps. On peut parler de « toile conjonctive », selon les termes de Guy de Chauliac. J’utiliserai volontiers ce terme de toile conjonc- tive à la place de tissu conjonctif pour évoquer ce tramage se comportant comme un second squelette.

Tout est relié
L’enveloppe corporelle n’est pas telle une combinaison de plongée qui recouvrirait toutes les parties du corps. La peau n’est pas un cuir issu d’un dépeçage. Elle n’est pas un mur de séparation, ni un rempart de protection. La peau est formée d’un matériau primitif, la toile conjonctive. Elle est en conti- nuité avec tous les fragments du corps. En prenant l’image de l’iceberg pour expliquer la réalité du tissu conjonctif, la partie émergée de ce matériau est la peau. En prenant contact avec la densité de la peau, une pression lente et progressive des mains, l’ostéopathe perçoit la réalité de la toile conjonctive, ce que l’on pourrait nommer la « chair du corps ». Si l’on considère l’activité de cette toile, on peut dire que l’ostéopathe perçoit les marques laissées par des traumatismes physiques, psychiques, infectieux, toxiques. Ce sont des « blocs » de tissu conjonctif.

La partie immergée est la toile conjonctive, un réseau qui conserve des traces de « poisson intérieur, d’insecte intérieur ». Le tissu conjonctif a été longtemps considéré comme un matériau de remplissage entre les muscles, entre les organes. Mais le tissu conjonctif n’est pas présent pour combler les vides. C’est une construction vivante, animée, qui remplit des rôles pour préserver un équilibre à l’intérieur du corps. C’est davantage un maillage contigu entre les os, les muscles, les artères, les nerfs, les viscères. La continuité d’une toile conjonctive est perçue chirurgicalement par le docteur Jean-Claude Guimberteau qui nous emmène voir ce qui se passe sous la peau. Il emploie une caméra, endoscope Full HD, qu’il glisse sous la peau. Ainsi, il nous dévoile la toile conjonctive lors de ses interventions chirurgicales. Lors de son interview sur idfm 98, il nous a fait part de cette continuité qu’il voit sous la peau. Qu’il filme. L’endoscope du chirurgien nous montre sous la peau une complexité étonnante. Ce n’est pas une superposition de couches stratifiées. C’est un tissage qui se fait et se défait au gré des contraintes physiques, infectieuses, toxiques. Il vient de réaliser quatre films qui nous emmènent voir ce qui se passe sous la peau : Promenades sous la peau, Le passage de l’épiderme, Architectures d’intérieur, et Attitudes musculaires. Ces très belles images nous font découvrir le vivant autrement. Le tissu dessine des formes artistiques mues par la vie dans tout ce qui existe sur la planète Terre.

Le tissu conjonctif est un organe de communication qui relie tous les éléments du corps ensemble. C’est une toile continue dans laquelle tous les nerfs, tous les tendons, muscles, aponévroses, le périoste des os, les yeux, se développent. Cette toile conjonctive est un « tissu constitutif ». À partir des images du docteur Jean-Claude Guimberteau, on voit une toile présentant des formes variées et variables en fonction de l’environnement et de ses contraintes. Si tout est lié dans le corps, tout devrait bouger en même temps : tendons, muscles, gaines, artères, nerfs. Et pourtant, quand vous regardez vos doigts bouger, seuls quelques tendons semblent bouger. Les vaisseaux, les nerfs restent à peu près à leur place. Le tissu conjonctif amortit les déplacements des tendons. Nerfs, artères et veines, qui se côtoient, restent à leur place respective. Le tissu conjonctif joue le rôle d’amortisseurs dans les gestes du quotidien, dans la transmission des tensions. C’est donc apparemment un acteur fondamental, central, riche en solutions adaptatives.

Que se passe-t-il quand le bistouri a créé une ouverture chirurgicale ? Selon le docteur Jean-Claude Guimberteau, pour accéder à l’objet à opérer, il peut arriver que le geste chirurgical soit trop invasif, trop destructeur, sur la toile conjonctive. Les répercussions pour le patient seront des adhérences, voire des difficultés, sinon impossibilités de récupérer la mobilité d’un tendon, alors que l’opération a été techniquement bien réalisée. Autour d’un os réparé, d’un muscle recousu, d’un nerf rabouté, d’un viscère colmaté, il y a la toile conjonctive. Mais quelle est donc cette réalité liante si prégnante pour qu’elle puisse remettre en cause le pronostic d’opérations chirurgicales bien réalisées ? La réalité d’une toile se manifeste dans les échanges biologiques.

Philippe Petit

 

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Le corps, un être en devenir