James AKRE, Département de la nutrition pour la santé et le développement, O.M.S.*, Genève. (Exposé effectué dans le cadre de la journée « Le Rhône bouge pour l’allaitement maternel » organisée par l’Association départementale d’éducation pour la santé et le conseil général du Rhône le 4 décembre 1999, au Centre international de séjour, Lyon)
C’est ainsi que nous pouvons, que nous devrions, remonter dans la nuit des temps en nous rappelant :
• Que l’allaitement maternel est pratiqué chez les mammifères depuis déjà une bonne centaine de millions d’années. Cela n’est pas le cas des préparations pour nourrissons (les produits de substitution que l’on appelle familièrement « laits en poudre ») que nous connaissons depuis environ 130 ans.
• Qu’il y a plus de 4600 espèces de mammifères, y compris nous-mêmes, et que chaque espèce produit un lait qui lui est propre.
• Qu’on ne peut avec impunité donner à un nouveau-né un produit basé sur le lait d’une autre espèce comme substitut du lait humain.
UN ALIMENT UNIVERSEL
Lorsque l’histoire de l’alimentation infantile du XXème siècle aura été écrite, je pense que l’on devrait y voir figurer trois constatations fondamentales :
• Notre méconnaissance collective est infiniment plus grande que notre acquis collectif.
• Si un système alimentaire de survie tel que l’allaitement existe et est pratiqué chez les mammifères depuis aussi longtemps, il nous incombe d’en comprendre la signification.
• Si nous avons de la peine à « prouver » que le mode d’alimentation propre (et unique) à notre espèce est inégalable et le restera toujours, il faut nous rendre à l’évidence : c’est encore et toujours à cause de cette même méconnaissance collective. Et il faut continuer à creuser.
Opter pour l’allaitement artificiel c’est s’écarter sérieusement de la norme biologique de notre espèce. Pour bon nombre de scientifiques, nourrir des bébés avec un substitut du lait maternel constitue l’expérimentation dans le domaine de l’alimentation en dehors de tout contrôle la plus importante, la plus longue et la plus osée de tous les temps. Dans un monde si vaste, si varié et si différent, où l’alimentation en général est d’abord une affaire de géographie conjuguée à la culture, il est vraiment surprenant qu’il n’y ait qu’un seul aliment universel : le lait maternel ! Vivre à bord d’un engin spatial, passer son temps dans un sous-marin ou même rester quelques mois sous une sorte de serre artificiellement contrôlée dans le désert, tout ça nous pouvons le faire et nous l’avons fait. Mais ces pratiques-là ne risquent pas de devenir la norme de sitôt, sinon pour une toute petite minorité d’êtres humains. En revanche, selon certains, l’allaitement maternel ne serait plus une exigence pourvu qu’on soit « bien équipé » en produits basés sur un lait autre que le lait de femme, et que l’eau soit saine. Mais mesurent-ils réellement, même à court terme, les conséquences de ces prouesses technico-nutritionnelles ?
« Est-ce que tu penses allaiter ? » m’a-t-on demandé à plusieurs reprises pendant ma grossesse. La première fois que j’ai entendu cette question, elle m’a semblé drôle. Pour moi, c’était une évidence. Je faisais aveuglément confiance à la « Mère Nature ». Si elle a prévu les choses ainsi, c’est que c’était la meilleure chose à faire. Ignorante ? Peut-être. Je n’avais jamais eu de contact suffisamment proche avec d’autres jeunes mamans pour savoir que tout ce qui est naturel ne roule pas nécessairement sur des roulettes. Ainsi, j’étais toujours étonnée d’entendre les défenseurs de l’allaitement inciter les jeunes mamans à « s’accrocher », à « se faire épauler » et à « ne pas se décourager ». Jusqu’au jour où j’ai mis ma fille au monde.
Effi
Il y a 37 ans d’ici, maman s’est vue contrainte d’arrêter l’allaitement de son premier enfant pour cause d’abcès. Elle n’a pas essayé d’allaiter les suivants dont moi-même. Elle me raconte d’ailleurs que, par manque de temps avec quatre autres enfants, elle m’installait seule dans le divan, coincée par des coussins, avec mon biberon. Depuis, chez mes proches, j’ai vu des mamans allaiter. Pour moi, c’était une évidence puisque la nature l’a prévu ainsi !
Kallima
Fort heureusement, depuis une vingtaine d’années, des études approfondies sur la constitution du lait maternel ont été réalisées et démontrent aisément les qualités inimitables de celui-ci. Les femmes s’instruisent et décident d’allaiter en connaissance de cause. Entre autres et surtout depuis que l’U.N.I.C.E.F.* a lancé l’initiative « Hôpital Ami des bébés » en 1989, les cliniques ont pris conscience de l’importance de l’allaitement et des conditions nécessaires pour le bon déroulement de celui-ci. Le personnel soignant reçoit des formations adéquates afin d’aider les mères qui vivent des difficultés d’allaitement. Des efforts considérables sont faits au sein des maternités. Tous les professionnels de la santé ne vont malheureusement pas dans ce sens, des erreurs sont parfois commises et sont défavorables à la poursuite de l’allaitement. Actuellement, il semble que l’allaitement se réintègre dans la société. Les hôpitaux offrent la cohabitation qui facilite les premières mises au sein et la relation mère-bébé. Des congés d’allaitement sont octroyés. Des séances d’information sur l’allaitement existent.
L’allaitement, ça s’apprend ! Il semble évident pour tout le monde que chacun doit apprendre à marcher, à parler, à manger seul, à rouler en patins, à conduire une automobile, etc. Mais allaiter, devrait «couler de source » et être d’emblée évident puisque naturel. Si on est douée, tant mieux, sinon, où est le recours ? Cette idée reste encore fort répandue. Pour Théo, j’avais décidé de m’informer. D’ailleurs, même toi, tu me l’avais dit un jour lors de notre premier entretien téléphonique : « L’allaitement, ça doit être naturel... ». Ce jour-là, j’ai failli raccrocher le téléphone. J’avoue que lorsque je suis venue à la séance théorique, enceinte de 7 mois, j’étais décidée à te dire combien ce « doit être naturel » me mettait hors de moi. Heureusement, j’ai vite compris que tu ne parlais pas d’un « naturel » inné (bonne fortune pour certaines et cruel manque pour d’autres), mais bien, qu’il y avait quelque chose à apprendre, à comprendre (com- prendre : prendre en soi) et à « métaboliser » pour qu’un jour, comme après 50 chutes à ski, ça coule de source comme un skieur sur la neige. Et encore, même après ces chutes, il y a encore des bosses inconnues à apprivoiser. Cette notion d’apprentissage a réveillé en moi un instinct batailleur et tenace. Je pouvais me permettre les tâtonnements, l’erreur, l’appel à l’aide, la demande d’un regard encourageant et chaleureux sur moi, allaitant mon bébé.
Claire
Anna Rousseaux de Léo
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