Accoucher n'est pas dangereux !

Donner la vie, c’est prendre le risque de mourir et de donner naissance à un bébé mort. Voilà ce qu’on trouve en filigrane dans le suivi de la grossesse et de l’accouchement.



Donner la vie, c’est prendre le risque de mourir et de donner naissance à un bébé mort. Voilà ce qu’on trouve en filigrane dans le suivi de la grossesse et de l’accouchement.

Et en France, c’est vrai. Du moins, davantage que dans d’autres pays d’Europe. Nous avons un taux de mortalité fœto-maternel lors de l’accouchement indigne d’un pays occidental. Le taux d’hémorragies mortelles du post-partum est un triste record – plus du double de n’importe quel pays européen de niveau sanitaire égal, et ce depuis plus de dix ans. La grossesse est scandée par une foultitude d’examens invasifs, parfois peu fiables, prétendument indispensables pour garantir la santé et la viabilité du fœtus qui se développe, examens parfois toxiques psychologiquement et affectivement. L’accouchement est devenu un « travail d’équipe » étroitement enserré dans un carcan de protocoles... sans que pour autant les chiffres de morbidité/mortalité évoluent dans le sens souhaité.

UN PEU D’HISTOIRE
L’accouchement a été très longtemps aux mains des femmes. C’était des « matrones », des « ventrières » qui étaient appelées quand les douleurs commençaient. La profession de sage-femme est issue de ces matrones. Il a longtemps existé deux « castes » de soignants: les docteurs (maladies, accidents qui ne nécessitaient pas « d’ouvrir » le corps) et les chirurgiens barbiers, qui avaient droit d’utiliser des lames pour œuvrer.

L’homme n’est intervenu que très tard dans l’accouchement, il y a quelques siècles: des chirurgiens barbiers intervenaient uniquement quand il y avait un problème en cours d’accouche- ment que ne pouvaient résoudre les matrones. Et les problèmes ne manquaient pas, non pas tant par manque de connaissances obstétricales et physiologiques qu’à cause du manque de salubrité et d’hygiène (pas d’eau potable, alimentation déséquilibrée et souvent infectée, habitations insalubres), des maladies endémiques (dont des pathologies ostéoarticulaires qui déformaient le bassin fémi- nin, à très hauts risques pour l’accouchement), des travaux éreintants dès le plus jeune âge qui déformaient le corps, de l’absence de contraception (donc grossesses très jeunes, fausses couches dans des conditions parfois dramatiques, avortements « boucherie », grossesses fréquentes), et d’une dimension psychologique non négligeable de croyances-peurs paniques-mythes-rituels autour de la grossesse et de l’accouchement. Quand le chirurgien barbier intervenait, il était très souvent trop tard pour sauver l’enfant. Parfois, il était possible de sauver la mère, au prix de manœuvres brutales, invasives, douloureuses que nous ne pouvons guère imaginer aujourd’hui.

Les femmes ont accouché chez elles durant des millénaires. Mais certaines femmes n’avaient pas de « chez elle »... Se sont donc développés, sous l’égide d’instances religieuses, des lieux de charité et de soins « hospitaliers » où les pauvres qui n’avaient pas de toit étaient pris en charge pour les maladies, les accidents et l’accouchement. La mortalité était très élevée, de part la promiscuité, le manque d’hygiène élémentaire, le froid, la faim, et l’état de santé dégradé des personnes qui finissaient à l’hôpital, le manque de connaissance des personnes qui soignaient et les nombreux mythes qui entouraient le corps, les maladies et les soins.

Peu à peu, les connaissances ont progressé, les médecins et chirurgiens ont été obligés de faire des études de plus en plus longues pour obtenir le droit d’exercer. Mais il n’en demeurait pas moins que la mortalité des femmes en couches à l’hôpital (par fièvre puerpérale, principalement) était très élevée : dans les années 1850, elle pouvait atteindre 30 à 80 % des femmes accouchant, selon les services. Ce fut un médecin autrichien, le Dr Semmelweiss, qui mit le doigt sur la cause: les médecins ne se lavaient pas les mains, passant de la dissection d’un cadavre à une femme en couches. Le Dr Semmelweiss se trouva en butte aux habitudes ancrées, fut chassé de son travail et mourut fou, pauvre et solitaire.

Mais force fut de reconnaître qu’il avait raison. Les découvertes de Pasteur ne firent que confirmer ce que le Dr Semmelweiss avait trouvé empiriquement. Une autre découverte fit encore progresser les choses : l’anesthésie. Avec l’asepsie et l’anesthésie, l’accouchement devenait plus sûr, plus facile, moins douloureux.

AUJOURD’HUI
Aujourd’hui, presque toutes les femmes accouchent à l’hôpital en France et dans les pays occidentalisés. La fièvre puerpérale n’est qu’un mauvais souvenir et tout est fait pour sécuriser au maximum cet événement. Pourtant, comparativement aux objectifs affichés et aux performances d’autres pays, il faut reconnaître que la France fait plutôt figure de mauvais élève comparée à d’autres pays européens de niveau sanitaire équivalent, et ce depuis plus de dix ans, surtout concernant la mortalité maternelle en couches : en France, le taux d’hémorragie mortelle du post-partum est deux fois plus élevé 2. Et, plus grave, ces hémorragies, pour la plus grande partie, ne surviennent pas chez des femmes considérées comme à risques, mais chez des femmes normales, après une grossesse normale.

C’est à cause de cette peur que l’accouchement à domicile est en voie d’éradication en France. L’accouchement peut tuer entre 70 et 100 femmes par an, en France; il est vital que lors d’un accouchement médecins et salles d’opération soient à portée de main 3.

Pourquoi, alors, les pays européens qui acceptent, voire en- couragent l’accouchement à domicile, ont-ils des taux d’hémorragie mortelle bien moindres que les nôtres ? Contrairement au my- the répandu, il n’y a pas d’ambulance devant la porte de la femme qui accouche chez elle. La principale différence entre ces pays et la France est que dans ceux-ci l’accouchement est considéré comme un événement physiologique, qui ne nécessite pas un staff médical au grand complet. En France, l’accouchement n’est considéré comme physiologique que deux heures après qu’il soit terminé: nous sommes dans une « culture du risque », où tout – et surtout le pire – peut arriver, à tout moment. En conséquence de quoi, il est imposé à toutes les femmes une série de contraintes destinées à limiter les risques qui pourraient survenir chez un pourcentage infime d’entre elles. Ce qui est peu ou pas pris en compte, c’est que ces contraintes sont elles-mêmes porteuses de risques et appellent souvent des interventions pour en corriger les effets secondaires nocifs. L’OMS 4 hier, et « l’evidence based medicine » – aussi appelée « médecine factuelle » 5 – aujourd’hui, ont déterminé les conditions optimum de sécurité pour un accouchement sans risque. On ne peut que constater que l’obstétrique française applique à peu près l’inverse de ce qu’il est recommandé de faire. Et que les pays européens qui ont de meilleurs chiffres en matière de mortalité fœto-maternelle sont ceux qui se rapprochent des recommandations de l’OMS et de la médecine factuelle 6.

Ces millénaires où la femme risquait sa vie et celle de son enfant à chaque naissance ne se sont pas magiquement effacés de l’inconscient des femmes et des hommes d’aujourd’hui. Cette peur de mourir et/ou de perdre son enfant est, de plus, réactivée durant la grossesse, par les multiples examens pratiqués de façon systématique, et durant l’accouchement : chaque geste posé sur la femme, chaque protocole, chaque contrainte a ses justifications, qui s’ancrent toutes dans les peurs, les « au cas où... », les « mieux vaut en faire plus que pas assez ». Sauf que la réalité des chiffres, les pratiques d’autres pays et les études prouvent le contraire.

Un autre mythe concerne les maternités: quand on prit conscience que l’obstétrique française avait un problème avec la mortalité maternelle en couches, problème qui perdurait au fil des ans, un coupable fut trouvé, jugé, condamné: la petite maternité. C’était à cause des petites maternités. Il n’y avait pas assez de « débit » ; pas assez de « cas » ; pas assez de quoi apprendre et se faire la main ; les professionnels n’étaient pas à la pointe, pas assez jeunes, trop enfermés dans leurs routines, les matériels pas assez performants. C’était évident. Donc, il fut décidé de fermer les petites maternités. Sans études préalables de grande ampleur – sur 10 ans par exemple –, sans savoir où étaient décédées toutes ces femmes en couches, sans réfléchir aux conséquences à moyen et long terme. Le ministre de la Santé de l’époque, le Dr Kouchner, annonça en octobre 1998 la fermeture des maternités de moins de trois cents accouchements par an; au fil des ans, la barre passera à 500, et aujourd’hui nombre de maternités sont fermées parce qu’elles sont à moins de 1 000 accouchements par an. Celles qui ne sont pas fermées sont regroupées. L’objectif inavoué est de mettre sur pieds des accouchoirs de 3 à 5 000 accouchements par an, où là, c’est sûr, la sécurité des mères et des bébés sera assurée. Comme évidemment on ne peut créer de telles structures partout, sont mis en place des « centres périnatals de proximité »... La femme y vient durant sa grossesse et y est transférée dans les 24 heures suivant l’accouchement (il faut libérer la place...) qui a eu lieu dans l’accouchoir, loin de chez elle, le plus souvent.

Dans ces centres, elle est « cocoonée » : fleuristes et kinés assurés... Ubuesque.

Alors qu’il est prouvé que l’important est la continuité de l’accompagnement par les mêmes personnes durant la grossesse, l’accouchement, les suites de couches; alors que, juste après l’accouchement, la femme n’a besoin que de paix, d’un environnement connu et rassurant, et surtout de ne pas être trimballée à droite à gauche ; alors que les maladies nosocomiales tuent plusieurs milliers de personnes par an, les plus fragiles, les plus à risques, les bébés qui naissent sont concentrés dans de super structures (là où les risques d’infections nosocomiales sont les plus élevés), puis, à peine nés, transférés avec leur mère dans d’autres structures.

D’autant plus ubuesque qu’il est prouvé que les petites maternités ne sont pas responsables du taux élevé de décès maternels7 et que leur fermeture en chaîne provoque plus de problèmes qu’elle n’en résout, pouvant induire des morts fœtales (parce que la mère n’arrive pas à temps à la maternité) 8.

Ces accouchoirs ne pourront exister dans toutes les villes. Ce qui implique des temps de trajet d’une demi-heure, une, deux heures, voire plus... pour la femme qui doit rejoindre le lieu où elle doit donner la vie. Deux heures de trajet, alors qu’on est en travail, ce n’est pas sans risques. Pour tenter de pallier cet inconvénient, il est alors proposé de programmer le travail : la mère a toujours deux heures de route, mais les choses sont prévues, planifiées, organisées. À ce léger détail près que le déclenchement artificiel du travail augmente les risques d’hémorragie mortelle du post-partum, selon le Comité d’Experts sur la mortalité maternelle en couches9. De façon directe, ou indirecte, le déclenchement augmente aussi la nécessité du recours à la césarienne, qui multiplie les risques de décès en couches (par hémorragie et embolie).

Pour résumer: les petites maternités sont fermées et les accouchements regroupés dans des centres de 3 à 5000 accouchements par an, dans le but avoué d’améliorer les chiffres de mortalité maternelle en couches, notamment celui des hémorragies mortelles du post-partum. Comme cela éloigne considérablement certaines femmes dudit centre, il est recommandé de déclencher le travail, pour pallier les risques d’un long trajet en voiture, en travail. Alors qu’une telle pratique, de façon directe et indirecte, augmente les risques d’hémorragie mortelle du post-partum.

LA FEMME FRANÇAISE EST-ELLE FAITE POUR ACCOUCHER ?
En France, 9 femmes sur 10 qui accouchent pour la première fois font connaissance avec le scalpel ou les ciseaux :
– 2 sur 10 subissent une césarienne 10, – 7 sur 10 subissent une épisiotomie 11.
Ces chiffres posent la question de la nécessité de tels actes.

Soit la femme française est vraiment mal faite, pour avoir besoin des ciseaux ou du scalpel 9 fois sur 10 pour donner la vie la première fois.

Soit nombre d’actes sont inutiles, ou induits par les pratiques protocolaires françaises.

2. http://www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/maternite/rapport3.htm
3. À titre de comparaison sur les risques, les accidents domestiques tuent environ 20 000 personnes par an. Il est infiniment plus dangereux de vivre simplement chez soi que d’accoucher...
4. http://www.who.int/reproductive-health/publications/French_MSM_96_24/index.html
5. Médecine factuelle : processus systématique de recherche, d’évaluation et d’utilisation des résul- tats contemporains de la recherche pour prendre des décisions cliniques. L’Evidence Based Medicine (EBM) pose des questions, trouve et évalue les données appropriées, et utilise ces informations pour la pratique clinique quotidienne. L’EBM suit quatre étapes: formuler une question clinique claire du problème posé par un patient ; rechercher dans la littérature les articles cliniques appropriés ; évaluer de façon critique les preuves de sa validité et de son utilité ; mettre en application les résultats utiles dans la pratique clinique. Le terme « evidence based medicine » a été inventé à la Faculté de médecine McMaster, au Canada, dans les années 80, pour nommer cette stratégie d’étude clinique que les gens de cette école avaient développée depuis plus d’une dizaine d’années ; voir sur : http://www.chu-rouen.fr/ssf/profes/evidencebasedmedicine.html
La médecine factuelle appliquée en obstétrique :
http://www.maternitywise.org/guide/
6.Voir notamment la comparaison des pratiques françaises et hollandaises: Comment la naissance vient aux femmes, M. Akricht et B. Pasveer, Éd. Synthélabo.
7. http://www.jim.fr/jim/data/bdc/base/F5/7C/93/CC/index.htm
8. http://www.grandestsante.com/esp_portail/portail_art_read.asp?artId=1152 9. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/014000593/0000.pdf
10. http://fraternet.org/naissance//docs/DREES-perinat-2003.pdf
11. Les gynécologues-obstétriciens sont appelés à « repenser » leur pratique de l’épisiotomie : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-714238@51-689430,0.html
Article paru dans Le Monde, 25.11.05

 

Blandine Poitel

 

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