Quel pouvait être le chantier d’une cathédrale à la fin du Xll ème et au Xlll ème siècle ?

 

Brossons rapidement « l’atmosphère » qui régnait sur un chantier de cathédrale au Moyen Âge. Le chœur de la cathédrale n’est pas encore achevé. Lorsque ce sera chose faite, il sera immédiatement livré au culte. Déjà, l’archevêque s’impatiente, envoie ses chanoines en émissaires. Ceux-ci pressent l’architecte de terminer les travaux au plus tôt, car le chantier a pris du retard sur les délais prévus initialement et chaque jour supplémentaire coûte de l’argent à la fabrique ; enfin, le jour de la dédicace a été fixé depuis longtemps !...

Brossons rapidement « l’atmosphère » qui régnait sur un chantier de cathédrale au Moyen Âge. Le chœur de la cathédrale n’est pas encore achevé. Lorsque ce sera chose faite, il sera immédiatement livré au culte. Déjà, l’archevêque s’impatiente, envoie ses chanoines en émissaires. Ceux-ci pressent l’architecte de terminer les travaux au plus tôt, car le chantier a pris du retard sur les délais prévus initialement et chaque jour supplémentaire coûte de l’argent à la fabrique ; enfin, le jour de la dédicace a été fixé depuis longtemps !...

La pose de la première pierre, dite « pierre de fondation », avait été célébrée vingt ans plus tôt et avait fait l’objet d’une cérémonie particulière, au cours de laquelle l’archevêque l’avait bénie. Ayant jeté dessus du mortier avec sa truelle, il avait donné un coup de marteau, posé la deuxième pierre sur la première, tandis que la truelle et le marteau passaient de main en main jusqu’à l’architecte et les ouvriers.

Pendant ce temps, les « tailleurs d’images » (ou sculpteurs) s’étaient déjà mis à l’ouvrage, afin de terminer à temps les quelque deux mille ou trois mille statues qui orneront, quelques décennies plus tard, les chapiteaux, ainsi que les tympans et les voussures des portails de la cathédrale une fois achevée.

Sur la partie en voie d’achèvement, s’élèvent de curieux échafaudages, sur lesquels se pressent de nombreux ouvriers. Mais ce sont les engins de levage qui nous surprennent le plus. Il y en a partout et de toutes les tailles. Leur rôle est fondamental. En effet, il était impossible à dos d’homme de charrier les énormes pierres qui étaient taillées dans les carrières. Les pierres, mais aussi les éléments de charpente, ces énormes poutres, constituées à partir d’arbres entiers. Il fallait donc trouver différents systèmes permettant de lever à de grandes hauteurs. Ces engins portent tous des noms d’animaux, ainsi la « grue », la « chèvre », l’« écureuil », la « louve », etc.

Certains ont pensé que, pour construire la cathédrale, il fallait installer une sorte de rampe en terre battue, sur laquelle on charriait les pierres jusqu’à leur emplacement prévu sur l’édifice en construction, cette rampe s’élevant en même temps que l’église. Si cette méthode a existé dans l’Antiquité grecque ou égyptienne, elle n’a jamais été utilisée pour la construction des cathédrales. Au Moyen Âge, elle a été remplacée par les échafaudages et les engins de levage.

Le principe en était simple : il fallait soulever la charge à l’aide d’un fort crochet fixé au bout d’une grosse corde, reliée à un système de poulies et enroulée autour d’un axe que l’on faisait tourner de diverses manières : par une manivelle simple ou double, un cabestan, une roue d’écureuil le plus souvent. C’est dans cette dernière, pouvant atteindre huit mètres de diamètre, que pouvaient prendre place un ou plusieurs hommes qui la faisaient tourner en avançant. Ce système des plus ingénieux pouvait soulever les plus lourdes charges.

Entre les culées des contreforts, nous pouvons discerner des appentis où s’affairent, à l’abri des intempéries, sculpteurs et tailleurs de pierre. Mais, plus loin, nous voyons un bâtiment en bois, plus important, fermé sur ses quatre côtés : c’est la loge du chantier dans laquelle travaille le maître d’œuvre, assisté de l’appareilleur.

Non loin de là, nous apercevons des flammes, surtout visibles à la tombée de la nuit, tandis que se fait entendre un bruit lancinant de métal que l’on frappe avec une lourde masse : c’est la forge du chantier, où l’on répare et fabrique les outils.

Des chariots tirés par quatre ou six bœufs apportent les blocs de pierre taillés dans les carrières, que l’on regroupe au pied de la cathédrale en construction, non loin des engins de levage.

Mais quel est ce personnage, accompagné par une cohorte de religieux, auquel on accorde une vénération particulière ? Devant qui tout le monde s’approche avec déférence ? C’est sans nul doute le maître d’œuvre du chantier, le maître maçon (magister lathomorum), reconnaissable par la grande règle qu’il tient dans une main, insigne de son pouvoir, tandis que, s’adressant à l’un des chanoines et lui donnant des explications sur un plan en parchemin, il pointe de l’autre main la partie de l’édifice en voie d’achèvement.

En haut des échafaudages, nous voyons les maçons poseurs ainsi que les charpentiers et les couvreurs. Les premiers avec leurs truelles assemblent les pierres à l’aide du mortier que des manœuvres leur apportent à dos d’homme en montant sur des échelles. Les seconds assemblent les pièces de l’immense charpente à l’aide de poutres numérotées dont l’assemblage est déjà préparé au sol. Enfin les troisièmes, agrippés à la charpente qui vient d’être installée, posent les grandes plaques de plomb ou de cuivre, assurant la couverture de la toiture. Tout est en effet préparé au sol et attend d’être monté par les poseurs.

Au sol s’affairent les tailleurs de pierre et les métiers d’art : sculpteurs et imagiers, sans oublier les morteliers et plâtriers.

Les tailleurs de pierre taillent et découpent la pierre devant constituer des fûts de colonne, des éléments constitutifs d’un oculus, d’une lancette ou d’une rosace, à l’aide de môles ou gabarits qui leur ont été fournis par le maître maçon ou l’appareilleur. Les tailleurs d’images sculptent les innombrables statues, ainsi que les innombrables frises et éléments décoratifs destinés aux trois portails de la cathédrale. Approchons-nous d’un gros bloc de pierre : nous distinguons quelques contours semblant être ceux d’un animal mythologique, sommairement dessiné par le sculpteur. À côté du premier, un second imagier, plus avancé que son camarade, travaille activement, une bête fantastique semblant émerger de la pierre ; à côté de lui, un troisième affine son travail depuis longtemps commencé et une bête semble sortir de ce bloc de pierre ; ses formes et ses traits se précisant de plus en plus, comme si la pierre accouchait sous le ciseau du sculpteur.

Des porteurs d’eau apportent le précieux liquide aux morteliers et plâtriers qui préparent enduits et mortier dans de grandes bassines afin de cimenter les pierres.

Il ne faut pas oublier, dans cette liste déjà longue, les charpentiers dont nous avons déjà parlé. Ils construisent la charpente qui supportera la couverture de l’immense édifice. Des poutres énormes en constituent « l’ossature » ; une dizaine d’hommes est nécessaire pour en déplacer une seule. Ceci montre la grosseur et la longueur de ces poutres qui constitueront la « forêt » devant supporter le poids colossal de la couverture.

Outre les engins de levage et les échafaudages dont nous avons déjà parlé, les charpentiers doivent aussi assembler les cintrages des arcs d’ogives. Le principe en est fort simple : on confectionnait une armature en bois épousant exactement la courbure de l’arc d’ogives. Les poseurs plaçaient les pierres les unes à côté des autres et l’on terminait par la pose de la clef de voûte qui fermait la voûte en bloquant chacune des pierres. Il suffisait de déplacer le cintrage et de recommencer la même opération un peu plus loin. Travail patient et minutieux, mais c’était le seul moyen de confectionner les voûtes de nos cathédrales à cette époque.

Telle pouvait être la physionomie d’un chantier de cathédrale au Moyen Âge...
Outre les ouvriers hautement qualifiés, il y avait probablement beaucoup de bénévoles et de manœuvres. Leur nombre est difficilement chiffrable, et certainement variable suivant les époques et suivant les chantiers. Ceux-ci œuvraient à des tâches beaucoup plus humbles, essentiellement le transport des pierres venant des carrières qui étaient parfois éloignées du chantier. Ces bénévoles, appartenant certainement à toutes les couches de la société de l’époque, faisaient ainsi œuvre de foi et espéraient, par
cette pieuse action, obtenir le Royaume des Cieux.

 


Jean-François Blondel

 

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Franc-maçonnerie et compagnonage