Les bâtisseurs de cathédrales ont-ils été les précurseurs du Compagnonnage et de la Franc-maçonnerie ?

Si l’on regarde avec attention où ont été construites les cathédrales, on s’aperçoit qu’elles l’ont toujours été dans des aires géographiques privilégiées, comme s’il existait une prédestination de telle zone géographique plutôt que telle autre


Si l’on regarde avec attention où ont été construites les cathédrales, on s’aperçoit qu’elles l’ont toujours été dans des aires géographiques privilégiées, comme s’il existait une prédestination de telle zone géographique plutôt que telle autre. Selon Jean Phaure3, « la prédestination géographique d’un lieu semble souvent n’être que le visage visible d’une intention plus secrète et plus divine, que les hommes sont par la suite, et presque toujours inconsciemment, amenés à accomplir ». Quant à Louis Gillet4, il écrira : « Comme un arbre jaillit d’un lit de feuilles mortes, la cathédrale repose sur un lit de cathédrales ensevelies. » D’un autre point de vue, certains ont même prétendu que les cathédrales Notre-Dame du domaine royal, celles dédiées à la Vierge, seraient une projection sur le sol de la disposition des étoiles constituant la constellation de la Vierge5 ! Vraie ou fausse, cette affirmation montre au moins une chose, c’est que ces édifices sacrés doivent se trouver en harmonie avec le reste de l’univers. Ce qui est normal puisqu’une cathédrale est une représentation du monde en réduction. Elle est orientée selon les quatre points cardinaux, et du zénith au nadir. On peut faire une seconde constatation : c’est qu’en un lieu donné, les cathédrales ont toujours été rebâties à l’emplacement de celles qui les précédaient.

Ce fut d’abord un temple païen qui fut érigé, puis une première église mérovingienne très modeste lui succéda au même emplacement, ce fut ensuite une église carolingienne déjà plus grande, puis romane et enfin une église gothique majestueuse. Pourquoi cet entêtement à vouloir toujours construire au même endroit, ce qui tendrait à donner raison aux partisans de la « prédestination géographique » ? C’est que très probablement cet emplacement jouit de conditions très particulières, qui furent repérées dès les premiers temps de la construction, du fait même de l’existence possible de certains courants telluriques sur lesquels il se trouve situé, et possède une résonance particulière avec le sacré qui met le croyant dans son temple en communion directe avec le divin.

On pourrait prendre de nombreux exemples : Notre-Dame de Chartres a été bâtie à l’emplacement d’un tertre druidique. Au milieu du xixe siècle, lorsque Notre-Dame de Paris fut sauvée de la ruine par Viollet-le-Duc, après des décennies de saccages ; des restes d’autels gallo-romains dédiés à Jupiter et Vulcain furent mis au jour sous le maître autel de la cathédrale. Elle aussi avait été bâtie à l’emplacement d’un temple païen. Les bâtisseurs n’avaient donc pas bâti ces temples chrétiens n’importe où... Mais peut-être pourriez-vous objecter aussi que, tout simplement, ils ont été bâtis à cet emplacement-là pour y substituer un temple chrétien à un temple païen, et ainsi effacer les traces de l’ancien ?

Terminologie employée dans l’art de bâtir
Émile Coornaert écrira : « Où et quand naquirent les seules formations ouvrières du Moyen Âge et de l’Ancien Régime, gardiennes indéfectibles de coutumes nées dans la nuit des temps ? Leurs origines se perdent dans le nuage fatidique qui entoure le berceau des grandes destinées... » L’art de bâtir en faisait partie, et demandait à celui qui l’exerçait des qualités manuelles, mais aussi intellectuelles, exceptionnelles. Si l’on prend l’exemple de la sculpture, qui revêt une grande importance dans le travail de la pierre destiné à enseigner au peuple le message messianique des Évangiles, tout le monde n’était pas capable de sculpter la statue d’un saint ou de la Vierge. Il y avait donc toute une hiérarchie dans le métier, depuis celui qui ne sculptait que des frises jusqu’à celui qui sculptait un chef-d’œuvre. Il fallait être bon et se surpasser. Lorsqu’il fallait bâtir une église, un monastère ou une cathédrale, les religieux lançaient un appel d’offres aux architectes du royaume, et c’était le plus doué qui emportait le marché ! On se demande encore aujourd’hui comment l’information pouvait aller jusqu’aux limites de ce royaume... Mais c’est ainsi. Villard de Honnecourt, architecte du xiiie siècle, fut mandé, écrit-il dans son célèbre carnet déposé à la Bibliothèque nationale, pour aller construire une église en Hongrie. L’architecte était souvent un maçon sorti du rang, plus doué et plus expert que les autres ouvriers du chantier. Le mot « architecte » n’existait d’ailleurs pas, il n’apparaîtra qu’à la Renaissance. On le désignera par le mot magister lathomorum (maître de la pierre) ou magister operis. Pierre de Montreuil, autre « architecte » de cette époque, sera qualifié lui de doctor lathomorum, c’est-à-dire le « docteur de la pierre ». Quant au tailleur de pierre ou au sculpteur, on employait le mot lathomus ou parfois machon pour le premier, et imagiers ou tailleurs d’images pour le second. Le mot franc-maçon n’existait pas dans le français du Moyen Âge ! Il y avait bien les francs mestiers, mais cela signifie quelque chose de différent. Ce mot de franc-maçon vient de l’anglais freemason, qui est lui-même une contraction de free stone mason ou « maçon de pierre franche », une pierre calcaire facile à travailler, et qui n’est apparu en Angleterre qu’avec l’arrivée de la Franc-maçonnerie au xviiie siècle. Souvent mal traduit en français à cette époque, on découvre aussi ce mot sous le vocable de « frey mason ». Nous en reparlerons plus loin dans la partie consacrée à la genèse de la Franc-maçonnerie.

 


Jean-François Blondel

 

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Franc-maçonnerie et compagnonage