France 5 / Le Front populaire, à nous la vie !

Documentaire
Dimanche 5 juin 2016 à 22.25

Il y a quatre-vingts ans, en juin 1936, le Front populaire appliquait le programme commun en signant les accords de Matignon. À cette occasion, France 5 diffuse un documentaire en forme de témoignage. Une piqûre de rappel programmée à point nommé, à l’heure où ces acquis sociaux sont remis en cause.

© Cinétévé

Il y a quatre-vingts ans, en juin 1936, le Front populaire appliquait le programme commun en signant les accords de Matignon. À cette occasion, France 5 diffuse un documentaire en forme de témoignage. Une piqûre de rappel programmée à point nommé, à l’heure où ces acquis sociaux sont remis en cause.

À l’heure où doit être entérinée* la « loi travail » ou « loi El Khomri » qui change la conception du droit du travail français en donnant la primauté aux accords d’entreprise sur les accords de branche, le documentaire de Jean-François Delassus revient sur les fondements et l’histoire de la politique sociale française. En juin 1936, le gouvernement du Front populaire (communistes, socialistes, radicaux de gauche), élu depuis un mois mais officiellement en fonction depuis quelques jours à peine, signe les accords de Matignon, négociés entre la CGT et le NPF (ancêtre du MEDEF). Ceux-ci prévoient la mise en œuvre des mesures contenues dans le programme commun des partis de gauche : la semaine de 40 heures, les congés payés, deux jours de congé par semaine (« la semaine des deux dimanches »), l’instauration de délégués du personnel et de comités d’hygiène et de sécurité, et la signature d’accords collectifs par branche. Après un demi-siècle de révolution industrielle, les ouvriers entendent profiter eux aussi du fulgurant accroissement de la productivité.

Une union difficile
En 1936, la France subit une triple crise : économique — c’est la crise de 1929 qui touche alors l’Europe de plein fouet —, sociale — entre faible activité économique et mécanisation, les entreprises licencient massivement —, politique — affrontements entre les ligues d’extrême droite et les communistes sur fond d’instabilité politique aiguë. Les partis de gauche y voient enfin la chance de s’imposer pour tenter de combattre le fatalisme et la morosité du pays. Mais le rassemblement ne va pas de soi entre les communistes de Maurice Thorez qui réclament « une république des Soviets français », les radicaux d’Édouard Daladier qui n’hésitent pas à s’allier à la droite et les socialistes de Léon Blum dont le curseur politique fluctue au gré des circonstances. Ce sont finalement les ambitions de l’Allemagne voisine qui vont favoriser une union a priori impossible. Staline définit la lutte contre le fascisme comme la nouvelle priorité absolue : Thorez reçoit de facto un blanc-seing pour s’allier aux socialistes et aux radicaux. Le Front populaire peut voir le jour.

Des accords aux forceps
La bataille législative de mars 1936 est rude. Au premier tour, la droite est majoritaire. Le report des voix est crucial. Le Front populaire redouble d’efforts en mobilisant d’une seule voix autour de la lutte contre le fascisme. La victoire électorale est courte, mais les partis de gauche ont réussi leur pari : porter au pouvoir, pour la première fois dans l’histoire, un gouvernement de la gauche unie. Mais, puisque le gouvernement du Front populaire ne sera investi qu’en juin 1936, les prolétaires, lassés, organisent une grève générale et le blocage des usines, en attente des négociations à venir. Au plus fort du mouvement, on dénombre 10 000 entreprises occupées et plus de 2 millions de grévistes. Le patronat et la grande bourgeoisie sont vent debout, le franc est attaqué, la Bourse dégringole... Blum craint un putsch des militaires, à l’image de ce qui se passe dans l’Espagne voisine.

Un bilan mitigé
Au-delà des Pyrénées, une coalition de gauche a remporté les élections, mais le coup de force du général Franco menace la démocratie républicaine espagnole. L’occasion d’une crise morale et politique majeure en France. Alors que Hitler et Mussolini bombardent massivement les villes tenues par les républicains (Guernica, 26 avril 1937), le gouvernement français est victime de ses dissensions internes, entre interventionnistes et pacifistes — Blum lâche : « Nous sommes des salauds. » Ce sont les citoyens eux-mêmes qui vont s’organiser en expédiant des vivres ou en s’enrôlant dans les Brigades internationales.
Des camarades qui manifestent.


Le bilan économique du Front populaire est mitigé : si les ouvriers ont vu leur condition s’améliorer, les petits patrons ne décolèrent pas : avec les accords de Matignon, les charges patronales ont augmenté de 30 %. Blum refuse d’évoquer un « mur de l’argent », mais force est de reconnaître que les propriétaires freinent des quatre fers : fuite des capitaux, effondrement de l’investissement et échec du grand emprunt national, le gouvernement est poussé à dévaluer la monnaie de 30 %. Les prix augmentent. Les grèves reprennent. Le clan de l’argent organise la résistance, créant une alliance entre la classe possédante et l’Église catholique. La France assiste à la naissance du Parti social français (PSF) sur les ruines de la Ligue des Croix-de-feu, dissoute par le Front populaire, qui devient rapidement le plus important mouvement politique du pays. Et, le 16 mars 1937, une manifestation où s’affrontent le PSF et les communistes dégénère : la police tire en faisant cinq morts… Le Front populaire a du sang sur les mains.

Un héritage en question
Sentant le vent tourner, les radicaux se déportent vers la droite et poussent Léon Blum à la démission, un an à peine après son arrivée, pour porter l’un des leurs à la tête de l’exécutif, en lui confiant les pleins pouvoirs économiques. Le gouvernement a toute liberté pour voter une série de mesures impopulaires destinées à financer le réarmement : augmentation des impôts et création de nouvelles taxes, suppression du deuxième jour de congé hebdomadaire, retour à la semaine de 48 heures… Daladier, président du Conseil depuis avril 1938, ne veut plus céder et envoie les gardes mobiles pour briser les grèves, tandis que les patrons jouent sur la peur du licenciement. Les grévistes sont massivement licenciés, les leaders syndicaux arrêtés : le Front populaire n’aurait-il été qu’une parenthèse enchantée ?
Puis vint le temps de la guerre, la défaite et l’Occupation. Pétain fait interdire le PCF et dissout les syndicats grévistes. Les chefs politiques du Front populaire sont arrêtés, à l’exception de Thorez, réfugié à Moscou.

Mais le Front n’a pas dit son dernier mot puisque, à la Libération, de Gaulle réinstaure de nombreux points du programme commun sous l’égide du Conseil national de la Résistance. Des mesures sociales et économiques qui, bien qu’elles n’aient pas réussi sous le gouvernement du Front populaire, furent en vigueur pendant les Trente Glorieuses (1946-1975), période économique faste de l’après-guerre… avant que des législatures plus récentes ne viennent remettre en cause ces acquis sociaux.

Sébastien Pouey


LE FRONT POPULAIRE, A NOUS LA VIE !

Documentaire
Durée 90 min
Auteur-réalisateur Jean-François Delassus
Commentaire Alexandre Astier
Production Cinétévé, avec la participation de France Télévisions
Année 2016
 
#lacasedusiecle