Jésus : le procès et la passion

Bien que la Passion soit le cœur des quatre Évangiles, il est assez difficile de mettre ceux-ci d’accord sur son récit. En effet, la narration qu’ils en font semble être davantage bâtie selon une optique d’accomplissement des Écritures plutôt qu’un reportage des événements. Jésus est arrêté alors qu’il résidait à Jérusalem pour célébrer la fête de la Pâque juive. Ce dernier séjour se déroule dans une ambiance qui semble assez clandestine et tranche avec l’atmosphère enthousiaste de son entrée triomphale dans cette ville. L’étude des évangiles ne permet pas une lecture très claire des causes ni de la chronologie de ce retournement de l’opinion.


Bien que la Passion soit le cœur des quatre Évangiles, il est assez difficile de mettre ceux-ci d’accord sur son récit. En effet, la narration qu’ils en font semble être davantage bâtie selon une optique d’accomplissement des Écritures plutôt qu’un reportage des événements. Jésus est arrêté alors qu’il résidait à Jérusalem pour célébrer la fête de la Pâque juive. Ce dernier séjour se déroule dans une ambiance qui semble assez clandestine et tranche avec l’atmosphère enthousiaste de son entrée triomphale dans cette ville. L’étude des évangiles ne permet pas une lecture très claire des causes ni de la chronologie de ce retournement de l’opinion. Certes, on trouve la trace dans les évangiles de l’attente d’une partie de la population, d’un Messie politique et libérateur du joug des Romains. Néanmoins, on peut observer que Jésus ne conteste pas radicalement le pouvoir romain, comme en témoignent les propos fameux qu’on lui prête : « Rendez à César ce qui est à César. » Il semble clairement refuser de se voir être enfermé dans un cadre strictement nationaliste, ce qui est attesté par son insistance à préciser que son royaume n’est pas de ce monde, mais aussi par son message de paix et d’amour qui s’adresse largement au-delà des seuls Juifs lorsqu’il déclare : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

Il semble en fait qu’un retournement d’opinion se soit manifesté en Judée. C’est probablement là que se trouvent les signes avant- coureurs de sa condamnation future, qui sera le fait des milieux sacerdotaux conservateurs de Jérusalem, souvent assimilés aux sadducéens. Ceux-ci laissent apparaître une inquiétude croissante à mesure que son enseignement personnel ouvert sur la Torah semble susciter un enthousiasme populaire qui risque de mettre à mal le modus vivendi établi avec l’occupant romain.

C’est pourquoi il apparaît vraisemblable que le scandale qu’il provoque au temple de Jérusalem, un peu avant la fête de Pâque, en y chassant les marchands, proches des pharisiens, ait pu être le prétexte qui précipitera son arrestation. À noter que c’est lors du dernier repas pascal pris avec ses proches disciples qu’il institue l’Eucharistie et qu’il fait explicitement mention de sa mort prochaine. Cet acte et celui du Baptême, également décrit dans les Évangiles, constituent les deux seuls sacrements qui unissent tous les chrétiens, quelle que puisse être leur Église ou secte d’appartenance. C’est à la suite de cet ultime repas que Jésus fut arrêté au jardin de Gethsémani sur dénonciation de son disciple Judas, dont les motivations n’apparaissent pas clairement dans les écritures.

La description des modalités de son procès fait apparaître une double comparution. D’abord politique chez les Romains, puis religieuse chez les Juifs, qui est déconcertante si l’on se réfère à ce que l’on connaît du droit de l’époque. La question de ce procès est d’autant plus difficile à résoudre que le temps et l’antisémitisme chrétien au cours des siècles écoulés l’ont recouverte de multiples enjeux politiques et religieux. Jésus est finalement condamné à subir le supplice romain du crucifiement, après avoir été flagellé et tourné en dérision. Enfin, la mort de Jésus est suivie d’un épisode qui relève de la seule foi mais qui n’en appartient pas moins à l’histoire des religions par les effets incalculables qu’il a produits. Il s’agit de sa Résurrection. Il faut considérer son annonce comme l’élément majeur et fondateur de ce qui va devenir une nouvelle religion. Et pourtant cet épi- sode fondamental n’est décrit dans aucun évangile canonique. Il est juste interprété comme tel à partir de quelques rencontres fugitives, sous une forme qui, curieusement, ne permet pas à ses proches, qui l’ont pourtant côtoyé pendant plusieurs années, de le reconnaître immédiatement. On peut cependant déduire des points communs aux récits canoniques que la résurrection de Jésus est inattendue. En effet, celle-ci intervient le troisième jour après sa crucifixion sans que, pour autant, soit niée sa mort physique. Mais cette résurrection n’est pas décrite en tant que telle. Elle n’est donc accessible qu’aux seuls croyants, d’autant plus que sa qualification de résurrection de la chair n’apparut officiellement que trois siècles après les événements relatés dans les Évangiles. Enfin, la croyance en son ascension quarante jours plus tard est troublante puisqu’il n’eut de cesse de répéter qu’il n’était pas venu pour bouleverser les lois divines, mais au contraire pour les remettre en lumière et les accomplir.

Les divergences d’interprétation du message christique
Comme pour tout nouveau courant spirituel, le christianisme n’échappa pas à la règle : assez rapidement, son enseignement initial fit l’objet de diverses interprétations. D’une part, par des erreurs de transmission faites de bonne foi, comme en témoignent les contradictions que l’on peut relever dans les quatre évangiles écrits près d’un siècle après la mort de Jésus. D’autre part, à cause de certaines notions spirituelles qu’il a voulu développer mais qui ont été soit improprement comprises, soit entendues de manière trop littérale. Enfin, à mesure que croissait le nombre de clercs et d’érudits se multipliaient les dogmes et rituels. Certains contribuèrent à cautionner l’émergence de nouvelles sectes et futures Églises, d’autres permirent de justifier la direction morale d’adeptes et l’intrusion du spirituel dans le pouvoir temporel.

Cette confusion entre le spirituel et le temporel prend sa source, avec la publication en 313, de l’édit de Milan, par lequel l’empereur Constantin fit du christianisme une des religions officielles de l’Empire romain. Il fut ensuite proclamé religion d’État en 380 par l’empereur Théodose au concile de Constantinople. À partir de ces décisions, le christianisme interféra de plus en plus avec le politique, tandis qu’une structure hiérarchisée, l’Église, se mit progressivement en place sur le modèle de l’administration impériale pour administrer, éduquer les croyants et être garante de l’orthodoxie de la foi. Il convient de souligner que, jusqu’alors, il n’y avait ni clergé institutionnel, ni organisation centralisée. Dans les villes, chaque communauté se donnait un évêque (du mot grec episkopos qui signifie surveillant) qui choisissait ses aides parmi les membres âgés de la communauté, réputés pour leur capacité à commenter les textes sacrés. Ce n’est que progressivement que de grands penseurs, appelés les Pères de l’Église, élaborèrent peu à peu sa doctrine. Ainsi par exemple, saint Augustin créa-t-il à la fin du iiie siècle de toutes pièces la doctrine de la prédestination, laquelle, bien que n’étant ni explicite dans les écritures, ni présente dans la tradition de l’Église primitive, fut cependant appelée à un grand succès, en particulier dans les églises protestantes.

Les premiers schismes
Tout au long des premiers siècles de l’Église, des querelles doctrinaires éclatèrent en son sein, et furent à l’origine d’une trentaine de schismes, dont nous allons maintenant survoler quelques uns. Pour la chrétienté, la première et profonde querelle fut celle autour de l’arianisme qui mit en cause, dès 320, l’un des fondements de la jeune religion chrétienne. À savoir, l’union indivisible de trois personnes en une seule au sein de la Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Cette conception ouvrait la voie à un nouveau polythéisme en suggérant l’existence de plusieurs divinités de rang variable. Dès lors, l’arianisme enlevait beaucoup de signification à l’incarnation, à la mort et à la résurrection de Jésus, puisque celui-ci n’était pas pleinement Dieu. Craignant un schisme, l’empereur Constantin Ier, qui n’était pourtant pas encore baptisé, convoqua à Nicée, en 325, le premier concile, qui établit la nouvelle notion de consubstantialité désormais la base du Credo de l’Église. Selon ce terme, Jésus-Christ, le Fils de Dieu est de même substance, donc de même nature que le Père qui l’a engendré.

Ce fut ensuite le concile d’Éphèse qui, en 431, rejeta le nestorianisme, selon lequel il n’y avait pas union en Jésus-Christ de ses deux natures humaine et divine. En réaction à cette hérésie fut alors développée la doctrine du monophysisme, selon laquelle le Fils de Dieu n’avait, au contraire, qu’une seule nature, et que celle-ci était divine. Cette conception fut, elle aussi, condamnée. Ce fut lors du concile de Chalcédoine lequel, en 451 conclu plus de quatre siècles de controverses et de dissensions en adoptant le diophysisme, doctrine, selon laquelle le Christ est à la fois Dieu et homme, c’est-à-dire, que ses deux natures sont unies en une seule personne. Tout cela illustre que l’élaboration des concepts, qui sous-tendent les différentes doctrines chrétiennes, a été laborieux. De plus, on est frappé par le caractère ténu des éléments qui étayent ces différentes conceptions, dont on peine à trouver trace dans les écritures. C’est probablement ce qui explique l’évolution dans le temps de ces doctrine dont on est obligé de constater les changements, mais aussi parfois les revirements, qui furent à l’origine de bon nombre des ruptures et des des scissions qui ont affecté la communauté chrétienne.

Dans un autre registre, intervint en 869, lors du huitième concile de Constantinople, la suppression de la conception tri-unitaire de l’homme qui prévalait jusqu’alors, comme d’ailleurs dans d’autres spiritualités. Cette conception distinguait les trois prin- cipes présents dans l’homme. Un premier principe, purement spirituel, que l’on pourrait assimiler à l’esprit. Son double, enveloppé d’une première enveloppe subtile, l’âme qui s’incarne ensuite dans un corps physique. Curieusement, cette suppres- sion intervient alors que cette conception trichotomique avait été clairement décrite par Paul de Tarse dans l’invocation d’une de ses ses épîtres :
« Que le Dieu de Paix vous sanctifie lui-même tout entier et que tout votre être, l’esprit, l’âme et le corps soit conservés irrépréhensibles. »

Cette décision donna naissance au nouveau dogme de la dichotomie de l’homme, composé d’un corps et d’une âme. Dès lors, les mots esprit et âme furent indifféremment employés, ce qui engendra, et pour longtemps, ignorance et confusion.

La scission entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident
C’est en 1204, qu’intervint un schisme majeur, celui d’Orient, qui fut consommé après le sac de Constantinople par la IVe croisade. À son origine, on trouve une lutte d’influences qui prenait de l’ampleur entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident, avec en toile de fond un empire d’Orient qui avait amorcé son déclin et des États occidentaux qui laissaient entrevoir leur puissance après l’impulsion donnée par l’empire de Charlemagne. C’est donc sur un fond de rivalité politique qu’intervint ce schisme doctrinaire dont la cause majeure est la modification du Credo instauré par l’Église lors de son Ier concile de Constantinople, et que celui d’Éphèse, en 481, avait confirmé être intangible ! Il s’agissait en réalité de trois mots ajoutés à ce Credo. À l’origine, le texte était : « Nous croyons dans l’Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie. Il procède du Père. » La liturgie de l’Église romaine, qui souhaitait combattre dans sa zone d’influence l’arianisme qui s’y développait, y ajouta à cet effet au xie siècle, « et du Fils », le fameux filioque, qui fit ainsi apparaître une profonde divergence avec l’Église d’Orient sur le dogme de la Trinité, les Orientaux considérant en effet qu’il y avait rupture de l’équilibre de la Trinité et que l’ajout du filioque était en contradiction avec l’enseignement évangélique qui précisait : « Je vous enverrai l’esprit de vérité qui procède du Père » (Jean 15, 26). Pour les catholiques, au contraire, le filioque exprimait la communion consubstantielle, c’est-à-dire de même nature, entre le Père et le Fils. C’est ainsi que l’Église d’Orient se déclara orthodoxe, et consomma sa rupture avec sa consœur latine. S’ajoutèrent à cette querelle majeure d’autres, plus accessoires, probablement dues à des cultures différentes, telles que l’usage du pain non levé, la discipline du jeûne des Latins, le baptême réduit par les Latins à une simple immersion contre trois pour les Grecs, ou encore, le célibat ecclésiastique ainsi que le port de la barbe chez les clercs. Enfin, l’absence d’une épiclèse, c’est-à-dire de l’invocation de l’Esprit-Saint, avant la prière eucharistique de la messe latine. Les orthodoxes partagent cependant avec les catholiques les sept sacrements que sont le baptême, la confirmation, la confession, l’eucharistie, l’ordination, l’extrême-onction et le mariage. Quoique pour ce dernier, les orthodoxes le considèrent dissoluble, ce qui rend le divorce possible. En revanche, ils contestent les dogmes qui ont été établis postérieurement par l’Église catholique, comme ceux ayant trait à la Vierge Marie ou encore à l’infaillibilité papale éta- blie en 1870, comme c’est également cas pour les protestants dont nous allons maintenant parler.

 

Christophe Queruau Lamerie     
                                                                              

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