Samuel Hahnemann est un médecin saxon qui a établi et théorisé le médicament homéopathique et son usage. Il n’en est pas le créateur, au sens d’une sorte de révélation ex nihilo.
Tous les principes qu’il a établis étaient partagés par une frange progressiste du monde médical de son époque en rébellion contre l’emploi de recettes médicamenteuses. Celles héritées de Galien et basées sur l’organe et non la totalité de l’individu tendaient à drainer les « émonctoires ». D’autres tirées de l’enseignement de Paracelse et notamment de sa théorie des signatures (qui suppose que chaque plante, par son aspect, indique ses possibilités thérapeutiques) entraînaient un usage des saignées, sétons et autres cautères. On imagine aisément, surtout de nos jours, la pauvre efficacité thérapeutique de ces recettes. La nécessité des principes d’individualisation, de similitude et de connaissance exacte des substances actives par une expérimentation chez l’individu sain et même celui de la dilution de la substance administrée peuvent être retrouvés dans diverses publications des médecins européens de la dernière moitié du XVIIIe et d’une grande partie du XIXe siècle.
Cela dit, Hahnemann est le seul à avoir rassemblé dans de remarquables ouvrages toutes ces idées et à avoir osé les appliquer ensemble.
Ce Saxon, né le 10 avril 1755 à Meissen, n’est pas, a priori, destiné à la médecine. Son père est un artisan décorateur sur porcelaine et sa mère la fille d’un maréchal des logis. La situation professionnelle de son père est affectée par la guerre de sept ans (1756-1763), notamment lorsque Frédéric II de Prusse conquiert Meissen et détruit la manufacture de porcelaine.
La scolarité étant payante, son père doit parfois le retirer de l’école pour qu’il l’aide dans son travail. Cela dit, les capacités intellectuelles du jeune Samuel sont telles qu’on l’autorise à poursuivre ses études dans le très réputé collège Saint Afra. Il y apprend, bien sûr, le grec, le latin et l’hébreu mais aussi le français, l’anglais, l’italien, l’arithmétique et la musique.
À vingt ans, grâce à la générosité du médecin et chimiste Carl Wilhelm Poerner, Hahnemann peut commencer des études de médecine à Leipzig. Néanmoins, pour payer ses études, il doit travailler et, pour cela, traduit des textes médicaux. L’enseignement très théorique de Leipzig ne le satisfaisant pas, Hahnemann décide de poursuivre ses études à Vienne.
La capitale autrichienne est un des rares lieux en Europe où les médecins osent pratiquer une médecine clinique et rechercher une pharmacopée réellement efficace. C’est à Vienne qu’Anton von Störck, le médecin de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche publie (entre 1760 et 1771) ses recherches sur l’effet de plantes toxiques (ciguë, datura, jusquiame, aconit). Non seulement, il ose, pour la première fois, expérimenter sur lui-même des plantes jusque-là interdites, mais, de plus, il va jusqu’à les utiliser chez des patients ; en partant du principe que les effets déclenchés par l’intoxication sont semblables aux symptômes de certains patients ! Il écrit en préface de son ouvrage sur l’intoxication par la stramoine, la jusquiame et l’aconit :
« Mais, lors de cette première expérience faite dans mon propre corps, je n’avais remarqué absolument aucun mal, ni ce jour-là, ni les jours suivants, j’en ai conclu (que) l’extrait de stramoine à une dose peu abondante peut faire ses preuves chez les humains. (...)
J’ai consulté les auteurs anciens et les plus récents, or je n’ai rien trouvé qui soit de mon parti : et de fait, tous écrivaient : la stramoine perturbe l’entendement, apporte la démence, détruit les idées et la mémoire, produit des convulsions. Tous ces maux interdisaient l’usage interne de la stramoine. Cependant, de ces maux, j’ai conçu la question suivante : si la stramoine en perturbant l’entendement apporte la démence chez les individus sains, est-ce qu’il ne fallait pas expérimenter : si, par un mouvement contraire, en perturbant chez les déments et les fous, en changeant les idées et le sensorium7 commun, elle provoquait un entendement sain et enlevait les convulsions chez les convulsés ?
Cette idée était abordée depuis longtemps, mais n’est cependant pas exempte de tous ces résultats heureux. »
C’est, encore à Vienne, dans l’hôpital des Frères Miséricordieux, que le professeur von Quarin pratique un enseignement clinique au lit du malade. Même si l’éminent professeur le prend en estime (au point de l’emmener lors de ses visites privées), Hahnemann, par manque de moyens financiers, doit quitter l’université neuf mois après son arrivée. Heureusement, encore une fois, un généreux mécène, le baron Samuel von Bruckenthal, lui propose un poste de bibliothécaire et de médecin personnel dans sa résidence de Hermannstadt (l’actuelle Sibiu en Roumanie). Hahnemann établit, notamment, le catalogue des livres médicaux du baron.
Moins d’un an plus tard, il décide de reprendre ses études de médecine et se rend à Erlangen, où il se lie d’amitié avec Johann Daniel von Schreber, le directeur du jardin botanique de la ville. Il publie sa thèse de doctorat en août 1779.
Commence alors, pour lui, une vie de pérégrinations à travers l’Allemagne à la recherche d’une clientèle suffisante pour assurer sa charge de famille (cette situation ne lui est pas particulière car les malades, au XVIIIe siècle ne consultent pas systématiquement un médecin, comme il est d’usage à notre époque, mais fréquentent toutes sortes de soignants). Il a épousé, en 1782, Henriette Küchler, la fille d’un pharmacien de Dessau dont il aura onze enfants. Jusqu’en 1805, il déménagera vingt fois !
Hahnemann continue, pour cette raison, de traduire des ouvrages de médecine, de chimie et de sciences naturelles. Ce qui lui permet, de plus, d’approfondir ses connaissances, notamment en chimie et en médecine.
Ainsi, sa traduction des deux tomes de la Matière médicale du pharmacologue William Cullen est truffée de notes de marge (parfois critiques) qui prouvent qu’il ne se contente pas de traduire, mais se nourrit aussi des connaissances apportées par les autres médecins ou pharmacologues. Comme Cullen considère que de petites doses d’un mélange composé d’un amer et d’un astringent sont plus efficaces que l’écorce de quinquina contre la fièvre, Hahnemann écrit en marge :
« Ceci n’est pas une réponse. Le principe de l’écorce qui nous manque encore pour une explication de son efficacité ne sera pas découvert facilement. Qu’on pense à cela : des substances qui provoquent la fièvre (un café très fort, le poivre, l’arnique des montagnes, la fève de Saint-Ignace, l’arsenic) éteignent les types de fièvre intermittente »
Et Hahnemann entame, vers 1790, ce qui sera la toute première « expérimentation homéopathique hahnemannienne ». Il commence à absorber des doses répétées d’écorce de quinquina habituelles pour l’époque (15 g par jour) jusqu’à ressentir les effets de cette substance ; qu’il note sous la forme de symptômes précis. Cette expérimentation homéopathique hahnemannienne, appelée plus tard pathogénésie (du grec pathos : maladie et genesis : production), vise à mettre à jour les effets possiblement utiles d’une substance en produisant une sorte de maladie artificielle chez un individu sain ; tout comme l’a fait Störck.
Soulignons encore une fois que cette expérimentation pathogénétique des effets d’une substance chez l’homme sain n’est pas une découverte de Hahnemann. Nourri du concept viennois de la médecine clinique, il aura sûrement lu les publications de Störck et celles du médecin suisse von Haller qui préconisent l’étude de l’efficacité potentielle d’une substance par son expérimentation chez l’homme sain. Cette première expérimentation sera suivie de nombreuses autres faites avec ses disciples et toujours rigoureusement supervisées par Hahnemann. Il s’attache constamment, avec une rigueur toute scientifique, à différencier ce qui est dû à l’action de la substance de ce qui est inhérent à la personnalité de chaque expérimentateur.
Parallèlement, toujours à la recherche de moyens pour nourrir correctement sa famille, il utilise tous les dons qu’il possède : il tente, notamment, de traiter quelques malades atteints de « mélancolie » (qu’on appellerait de nos jours une « dépression ») en les accueillant chez lui pour une sorte de thérapie par la parole (le Français Pinel a fait école, en libérant les « fous » non seulement de leurs chaînes mais aussi des traitements absurdes qu’on leur appliquait). Hahnemann crée aussi des médicaments (dont le Mercurius solubilis Hahnemanni, très apprécié par les médecins de son temps).
Il publie aussi des articles médicaux dans différentes revues, des ouvrages médicaux et pharmacologiques, En 1796, il publie dans une revue médicale prussienne réputée (Le Journal du Pr Hufeland) l’embryon de ce qui sera la théorie homéopathique : Essai sur un nouveau principe pour découvrir les vertus curatives des substances médicinales. Deux ans plus tard, il publie son Dictionnaire de pharmacie où il démontre une connaissance parfaite des plantes et de la chimie, mais aussi de la fabrication du médicament. Cette dernière lui vaudra un grand nombre de procès des pharmaciens qui lui refusent le droit de fabriquer et distribuer lui-même ses médicaments. Tout cela, en continuant de pratiquer la médecine (essentiellement à son cabinet et très rarement en visite auprès du malade) et en expérimentant son principe de similitude lors de ses consultations !
En 1805, il publie les Fragments sur les effets positifs des médicaments observés chez l’homme sain où il présente les symptômes mis au jour par l’expérimentation pathologique et toxicologique de 27 substances. Un an plus tard, il utilise pour la première fois la forme pharmaceutique particulière à l’homéopathie (le globule). Et, quatre ans plus tard, il publie son ouvrage majeur : Organon de la médecine rationnelle.
Docteur Franck Choffrut
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