Le chan chinois : berceau du zen

L’histoire du zen trouve son berceau dans le Chan chinois, un mouvement qui, dès le VIᵉ siècle, met l’accent sur l’expérience directe de l’éveil plutôt que sur l’étude des textes. À la fin de la dynastie Tang, ce Chan initial se ramifie en cinq grandes lignées souvent appelées « Cinq Maisons » : Linji, Caodong, Fayan, Guiyang et Yunmen. Chacune développe un style pédagogique propre : la vigueur de l’échange de Linji, la méditation silencieuse de Caodong, la subtilité des dialogues de Fayan, l’acuité dialectique de Guiyang et la concision foudroyante des « un mot/un geste » de Yunmen. Même si l’histoire a vu plusieurs de ces branches s’entrecroiser ou décliner, leur héritage irrigue encore la tradition contemporaine, notamment en Chine, à Taïwan et à Hong Kong, où se perpétuent les lignées Linji et Caodong après les turbulences politiques du XXᵉ siècle.

Le passage au Japon : diversité et continuité
Lorsque le Chan traverse la mer au XIIᵉ siècle, il prend racine dans l’archipel nippon et devient « zen ». La branche japonaise la plus ancienne, Rinzai, se situe dans la continuité du Linji chinois : elle affectionne la confrontation directe au kōan et les entretiens vifs entre maître et disciple. Soto, introduit peu après, hérite de Caodong et met l’accent sur la pratique assise silencieuse, le shikantaza, en soulignant que l’éveil s’actualise dans chaque geste du quotidien. Moins connu en Occident, le courant Ōbaku arrive de Chine au XVIIᵉ siècle, portant une saveur Ming mêlant chants liturgiques, discipline monastique stricte et influence des pratiques Pure Terre. Autour de ces trois piliers naîtront, au XXᵉ siècle, des formes modernisées : Sanbō Kyōdan ou la White Plum Lineage, qui croisent l’approche des kōan et l’ouverture à un public laïc mondial.

La tradition coréenne : la vigueur du Seon
Au royaume de Corée, le zen se développe sous le nom de Seon et s’articule principalement autour de la lignée Jogye, issue d’un syncrétisme entre l’étude doctrinale et l’ascèse méditative. À partir du XVᵉ siècle, l’école Taego, plus flexible, se détache pour permettre aux moines de conserver certains liens sociaux (notamment le mariage) tout en préservant la méthode Hwadu, équivalent coréen du kōan. Les grandes retraites saisonnières, le san-gwan anja, ainsi que l’enracinement dans l’ermitage de montagne caractérisent encore aujourd’hui la saveur austère et contemplative du Seon.

Les branches vietnamiennes : une adaptation du Thiền
Plus au sud, la tradition Thiền vietnamienne conjugue l’influence historique des lignées chinoises avec la sensibilité locale. Le courant Trúc Lâm, fondé au XIIIᵉ siècle par le roi-moine Trần Nhân Tông, incarne un idéal d’engagement social et de pratique intérieure unifiée ; il survit aujourd’hui grâce à des monastères rénovés après la réunification du pays. En parallèle, les écoles Linji vietnamiennes (appelées Lâm Tế) et Cao Động perpétuent respectivement l’usage des kōan et la méditation silencieuse, tandis que des figures contemporaines comme Thích Nhất Hạnh diffusent un Thiền engagé, tourné vers la pleine conscience quotidienne et la non-violence.

Rayonnement occidental et courants émergents
Depuis le XXᵉ siècle, la diffusion globale du zen favorise la naissance de sanghas hybrides qui dépassent les frontières culturelles. Des groupes comme le Diamond Sangha d’Hawaï, la Lineage Tree de Deshimaru en Europe, ou encore les cercles occidentaux de Taego et de Jogye, articulent héritage traditionnel et adaptabilité à la vie moderne. De nouveaux courants se structurent parfois autour de laïcité, d’égalité des genres ou de dialogue interspirituel, tout en gardant pour socle l’expérience méditative et l’éthique de la compassion. Ce dynamisme témoigne de la capacité du zen à se réinventer sans renier ses racines : les « Cinq Maisons » originelles demeurent la sève, tandis que chaque époque greffe ses propres rameaux, perpétuant une tradition vivante et plurielle.

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