Covid-19 : la mission de suivi de la commission des lois du Sénat analyse les premiers textes pris au titre de la loi d’urgence sanitaire

 

La commission des lois du Sénat, a constitué, le 25 mars 2020, une mission pluraliste de suivi afin de contrôler les mesures mises en œuvre par le Gouvernement pour lutter contre l’épidémie de Covid‑19. Présidée par Philippe Bas (Les Républicains – Manche), cette mission est composée de 11 sénateurs, représentant l’ensemble des groupes politiques du Sénat, majorité comme opposition. Cette initiative s’inscrit dans une démarche coordonnée de l’ensemble des commissions permanentes du Sénat destinée à assurer un suivi concret et exigeant de l’action du Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire.

Le travail de la mission portera sur tous les domaines relevant de la commission des lois. Il couvrira, notamment, la préservation des libertés individuelles dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, la protection des personnes pendant le confinement (violences conjugales, maltraitance des enfants, etc.), l’utilisation éventuelle des données personnelles pour lutter contre l’épidémie (« tracking »), la continuité des services publics essentiels, les actions mises en œuvre par les collectivités territoriales et les conditions d’organisation du second tour des élections municipales.

La mission s’appuiera sur des remontées de terrain mais également sur la communication régulière des décisions prises par le Gouvernement, les préfets et les maires. Elle procédera aussi à l’audition des  ministres concernés. Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la Justice, sera entendue par visioconférence le jeudi 9 avril 2020 à 16 heures, et M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, le jeudi 16 avril à 15 heures.

Pour Philippe Bas« la mission de contrôle du Parlement est d’autant plus nécessaire en période de crise, notamment pour s’assurer de la proportionnalité et de la nécessité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Notre rôle est à la fois de vérifier que l’action du Gouvernement s’insère bien dans le cadre juridique que lui assigne la loi d’urgence du 23 mars 2020, mais également de surveiller l’application quotidienne par les autorités publiques de mesures, certes justifiées par les circonstances, mais fortement dérogatoires au droit commun et qui restreignent les libertés de chacun dans le but de protéger la santé de tous. Il nous revient d’alerter le Gouvernement sur des difficultés concrètes, qui demandent des réponses à la fois claires et rapides ».

La mission de suivi s’est réunie pour la première fois le 2 avril 2020, par visioconférence, pour procéder à un premier examen des mesures arrêtées par le Gouvernement. Celles-ci doivent respecter les habilitations accordées par le Parlement et rester strictement proportionnées à l’objectif d’éradication de l’épidémie de Covid-19 et à l’impératif de continuité des services publics, tout particulièrement celui de la justice.

La mission constate que les textes pris par le Gouvernement respectent globalement le cadre juridique fixé par la loi d’urgence du 23 mars 2020. Elle relève toutefois plusieurs points d’attention concernant la proportionnalité et l’efficacité de ces mesures.

D’une manière générale, les mesures prises par ordonnance ne sauraient par nature être que temporaires compte tenu des dérogations multiples qu’elles apportent à notre droit. À cet égard, la mission a relevé que plusieurs procédures dérogatoires pourraient se prolonger jusqu’à deux mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, délai qui doit être considéré comme un maximum. Si l’état d’urgence sanitaire devait se poursuivre au-delà des deux mois autorisés par la loi du 23 mars 2020, le Parlement, saisi pour autoriser la prorogation, devrait alors décider aussi, au terme d’une analyse au cas par cas et au vu de l’évolution des circonstances épidémiques, si les adaptations législatives prises restent justifiées dans leur totalité.

Sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire

Pour assurer un contrôle efficace, il importe que le Parlement soit destinataire de l’ensemble des mesures d’application prises par les préfets au niveau local dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, notamment lorsqu’elles imposent des restrictions plus importantes qu’à l’échelon national à la liberté d’aller et de venir des personnes. La mission demande aussi à être régulièrement informée des contentieux ouverts devant la juridiction administrative sur l’application des mesures de restrictions aux libertés.

La mission portera une vigilance particulière sur la réalisation des contrôles par les forces de l’ordre et l’application des sanctions pénales.

Sur le fonctionnement des juridictions

Les adaptations décidées par le Gouvernement pour assurer la continuité du service public de la justice malgré des effectifs réduits ne sauraient être opérées au détriment des droits fondamentaux des justiciables. Il conviendra de veiller à ce que les juridictions privilégient le renvoi lorsque la complexité ou la gravité d’une affaire le justifient et d’être attentif à ce que les avocats soient en mesure d’exercer pleinement les droits de la défense via des moyens techniques qui ne sont acceptables que pendant une courte période.

La mission de suivi sera vigilante sur les dérogations aux règles de collégialité et sur les conditions dans lesquelles il serait recouru aux audiences par visioconférence, voire par téléphone, ainsi que sur les cas dans lesquels le juge aura usé de sa faculté de ne pas tenir audience. Ces mesures qui, telles que prévues par les ordonnances, soulèvent pour certaines d’entre elles des interrogations sur le respect des garanties fondamentales  offertes aux justiciables, ne sauraient être envisagées que de manière exceptionnelle en l’absence de toute autre possibilité, une attention particulière devant être portée aux décisions de placement en détention provisoire.

La mission sera particulièrement attentive à la situation des prisons. Certaines mesures décidées pour mettre en œuvre le confinement, comme la suspension des parloirs, ont entraîné des tensions, que l’administration pénitentiaire a jusqu’ici réussi à maîtriser mais qui impliquent le maintien d’une grande vigilance. La libération anticipée de certains détenus peut être un moyen de réduire temporairement la surpopulation carcérale et ainsi de limiter la propagation du virus au sein des établissements pénitentiaires. Elle doit cependant être opérée avec le discernement nécessaire et ne saurait être utilisée comme l’expérimentation d’un nouveau mode de régulation de la population carcérale, sans rapport direct ou même indirect avec la crise sanitaire

Sur le fonctionnement des collectivités territoriales

Les assouplissements apportés aux conditions de quorum et de délégation de vote au sein des assemblées locales apparaissent excessifs à la mission. Ils vont très au-delà des dérogations adoptées par le Parlement à l'article 10 de la loi du 23 mars 2020, et sont par ailleurs étendus aux commissions permanentes, au risque de dégrader le fonctionnement démocratique des instances concernées.

Plus largement, la mission  sera très attentive à l'impact des mesures prises sur la vie démocratique de nos collectivités, et s'attachera à évaluer leur pertinence dans les petites communes, où l’accès au numérique reste très souvent insuffisant.

La mission déplore en outre la modification des délais liés au transfert de la compétence d'organisation de la mobilité dans les communautés de communes, conduisant à un calendrier particulièrement contraint risquant de faire obstacle à une prise de compétence sereine de l'établissement public de coopération intercommunale.

Sur la gestion des agents publics dans un contexte de crise sanitaire

La mission constate que les concours administratifs étant suspendus depuis le 12 mars dernier, le Gouvernement prévoit d’adapter les voies d’accès à la fonction publique, par exemple en supprimant certaines épreuves écrites et en autorisant le recours à la visioconférence pour les épreuves orales. Elle souligne que les conditions mises en œuvre ne doivent pas porter atteinte au principe constitutionnel d’égal accès aux emplois publics des citoyens, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Sur les élections municipales

Dans les communes où le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour, l’élection du maire et des adjoints doit être la plus rapide possible pour respecter le vote des électeurs et permettre aux nouvelles équipes municipales de commencer à travailler.

La loi d’urgence du 23 mars 2020 a déjà permis d’assouplir les règles de quorum et les procurations, tout en habilitant le Gouvernement à prévoir d’autres outils par ordonnances. Cette problématique n’est pas traitée dans les textes publiés, ce qui est très regrettable au regard de son importance. Le Gouvernement doit prendre, dans l’urgence, des dispositions prévoyant un vote à l’urne, par correspondance ou par voie électronique afin que l’élection des nouvelles municipalités puisse avoir lieu sans retard même dans l’hypothèse où le confinement devrait être prolongé

S’agissant du contentieux du premier tour des élections municipales, l’adaptation du délai de recours pour les citoyens peut s’expliquer par les difficultés pour réunir documents et témoignages et pour consulter les listes d’émargement, qui constituent des pièces essentielles dans les contentieux électoraux. Pour autant, l’augmentation du délai de jugement des tribunaux administratifs ne doit pas fragiliser la situation des conseillers municipaux élus dès le premier tour, en laissant planer une certaine incertitude sur leur mandat. La mission de suivi demande donc au Gouvernement de maintenir le délai habituel de jugement du contentieux électoral, fixé à trois mois.

Sur les élections consulaires

Le calendrier retenu par le Gouvernement pour l’organisation des élections consulaires paraît particulièrement contraint et risque de réduire la campagne électorale à sa plus simple expression. Il suppose également que le comité de scientifiques rende son rapport sur l’organisation du scrutin le 7 mai 2020 au plus tard, ce qui peut apparaître prématuré au regard de l’évolution de l’épidémie. Enfin, plusieurs questions techniques restent en suspens, comme la gestion des listes électorales consulaires et la durée du mandat des conseillers consulaires qui seraient élus en juin prochain.

En outre, la mission a formulé des recommandations sur des questions plus ponctuelles mais également importantes :

  • des instructions plus claires doivent être données aux forces de l’ordre et aux maires concernant le contrôle du confinement et les sanctions encourues par les contrevenants, un certain flou demandant à être dissipé sur les contraventions de 5ème classe et sur l’exercice des pouvoirs de police des maires dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 ;
  • l’action des fonctionnaires mobilisés doit être mieux reconnue, par exemple en étendant la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat prévue pour les salariés du secteur privé ;
  • un suivi approprié et réactif des entreprises en difficulté, notamment lorsqu’elles sont en cessation de paiement, doit être mis en œuvre par les tribunaux de commerce, dont il est impératif d’assurer la continuité du fonctionnement pendant la crise afin de sauver des emplois.

L’ensemble de ces observations ont été présentées à la commission des lois, réunie en visioconférence le 2 avril après-midi, et seront transmises au Premier ministre.

L'analyse de la mission de suivi sera disponible à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/commission/loi/missions_de_controle/mission_de_controle_sur_les_mesures_liees_a_lepidemie_de_covid_19.html