ÉTATS DES LIEUX D'UN ÉCOSYSTÈME MENACÉ ET PLAN D'ACTION POUR SA SAUVEGARDE


L'IFRECOR - Initiative française pour les récifs coralliens - publie une étude baromètre menée avec ses partenaires durant 5 ans sur un travail d'observation et de suivi des récifs, herbiers et mangroves dans les outre-mer français 1.


Les récifs coralliens sont l'un des écosystèmes les plus diversifiés, les plus productifs et les plus utiles de notre planète, mais aussi l'un des plus menacés.

Engagée dans la préservation des récifs coralliens, la France, à travers l'IFRECOR, agit depuis plus de 20 ans pour la protection et la gestion durable des récifs coralliens et des écosystèmes qui lui sont associés (mangroves, herbiers marins).

 

LE CORAIL, LE PLUS GRAND BIOCONSTRUCTEUR
Le corail est un petit animal extraordinaire qui vit en colonie, en symbiose avec des microalgues, et construit un squelette calcaire. L'accumulation des squelettes forme un récif. La Grande Barrière de corail (Australie) est la plus grande bioconstruction de la planète et la seule visible depuis l'espace.

Répartis sur moins de 1% de la surface des océans, les récifs coralliens sont l'un des écosystèmes les plus anciens, les plus beaux et les plus riches de la planète. Ils abritent environ 4 000 espèces de poissons et plus de 800 espèces de coraux constructeurs de récifs (et les inventaires sont très loin d'être complets), soit plus de 25 % de la biodiversité marine mondiale.

 

La France, 4ème pays corallien au monde
Avec près de 60 000 km² de récifs coralliens, soit 10% de la surface mondiale répartis dans les 3 océans, Atlantique, Indien et Pacifique, la France est le 4ème pays corallien au monde. Elle compte 11 territoires coralliens d'outre-mer, au premier rang desquels la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française (90 % de la surface totale). De plus, les récifs des outre-mer français comptent 30 % de la diversité mondiale des géomorphologies récifales. En outre, la France possède 0.4% des herbiers, 0.7% des mangroves dans le monde ; ces écosystèmes associés aux récifs coralliens abritent également un nombre incroyable d'espèces.

 

Récifs coralliens, mangroves et herbiers marins : des rôles clés pour l'homme et la planète
Au-delà du réservoir de biodiversité qu'ils représentent et qui contribue à faire vivre plus du quart des espèces marines, ces écosystèmes rendent d'immenses services à l'homme.

Selon une étude de l'IFRECOR de 2016, ils apportent chaque année, l'équivalent de 1,3 milliard d'euros aux économies de 9 collectivités d'outre-mer, soit 12 000 sociétés, 50 000 emplois et plus de 175 000 ménages concernés.

Dans le monde, plus d'1 milliard de personnes bénéficient directement des récifs coralliens en termes de ressources alimentaires et de sources de revenu grâce à des activités liées à la pêche et au tourisme.

Ces écosystèmes sont  vitaux, ils assurent :

- La protection côtière : les écosystèmes coralliens absorbent une grande partie (97%) de l'énergie des vagues, réduisant les dommages sur les aménagements littoraux lors des évènements météorologiques extrêmes. Ils sont source d'économies importantes, évaluées à 595 millions d'euros.

- La sécurité alimentaire : dans le monde, la pêche dans les récifs coralliens fait vivre plus de 6 millions de personnes et représente une valeur de 6,8 milliards de dollars par an, dont 215 millions pour les outre-mer français.

- Le stockage du carbone : les mangroves et les herbiers, écosystèmes associés aux récifs coralliens, sont des puits de carbone capables de séquestrer le CO2 ; ils jouent un rôle important dans la régulation du climat. L'estimation de la valeur de ce service est évaluée à 175 millions d'euros (selon les prix du marché volontaire des crédits carbone).

- L'économie du touristique : le service du tourisme « bleu » basé sur les usages récréatifs des récifs (excursions découverte, plongée sous-marine, plaisance, journée plage...) est évalué à 315 millions d'euros.

- Des progrès dans la recherche médicale : la moitié de la recherche sur les médicaments contre le cancer est basée sur les organismes marins. Ils sont également utilisés dans le traitement de maladies comme le paludisme ou la dengue. Extrait d'une éponge des récifs de la Caraïbes, l'AZT est un médicament utilisé contre le VIH.



L'ÉTUDE IFRECOR MET EN AVANT :

>QUE LES RÉCIFS CORALLIENS SONT DE PLUS EN PLUS MENACÉS

Environ 50% de la surface mondiale de corail vivant a disparu depuis les années 1870 et près d'1/3 des coraux sont actuellement menacés2. Si les récifs coralliens français sont, selon les territoires, globalement en meilleure santé que d'autres récifs, la France doit cependant renforcer son action. Dans nos outre-mer, plus de 200 stations ont permis de suivre l'état des récifs : la situation la plus préoccupante se situe dans les territoires soumis à une forte pression anthropique : dans les Antilles françaises et dans l'océan Indien (Mayotte, La Réunion). La majorité (62 %) des récifs évalués sur ces territoires sont dégradés, contre seulement 30 % dans les territoires parmi les plus vastes, plus isolés et moins densément peuplés du Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Polynésie française et Clipperton) et dans les îles Éparses de l'océan Indien.

 
 Antilles françaises : une situation préoccupante. On observe une dégradation importante des récifs de la région dès le début des années 1970 (maladies, surpêche, blanchissements). En 2020, sur les 47 stations des Antilles françaises, 60 % sont dégradées. La majorité des sites présente des coraux nécrosés, des peuplements algaux dominés par les macroalgues et/ou un fort envasement des fonds. Sur le long terme, les trajectoires de ces récifs vont, dans l'ensemble, dans le sens d'une dégradation.



Depuis le dernier bilan en 2015 :

9 % des stations présentent une amélioration

59 % sont restées stables

33 % se sont dégradées


Océan indien : des épisodes de blanchissement à répétition. A la Réunion, on observe une perte de couverture corallienne. Depuis 2002, la biomasse globale de poissons a diminué de 80 %. En 2020, sur les 51 stations considérées à l'échelle de la région, 47 % sont dégradées ou très dégradées. Sur le long terme, sur ces récifs étroits, collés à la côte, la couverture corallienne subit les pressions des activités humaines : l'érosion des sols en lien avec l'aménagement du territoire, les pratiques culturales, la pollution des eaux... auxquels s'ajoutent les événements climatiques extrêmes. Durant la période 2015-2020, trois épisodes de blanchissement corallien et plusieurs cyclones ont eu un impact sur les récifs.



Depuis le dernier bilan en 2015 :

11 % des stations présentent une amélioration

56 % sont restées stables

33 % se sont dégradées


Pacifique : un bon état général. Durant la période 2015-2019, plusieurs évènements ont affecté les récifs, dont deux évènements de températures élevées (2016 en Nouvelle-Calédonie ; 2016 et 2019 en Polynésie française), ayant entraîné des blanchissements coralliens.


En 2020, la majorité (70 %) des récifs inventoriés sur l'ensemble de ces territoires sont en bon état. Sur le long terme, les récifs de ces territoires sont globalement stables et montrent une bonne résilience.


> QU'ILS SONT EN DANGER ET DE MOINS EN MOINS RÉSILIENTS
Le réchauffement climatique et les pressions anthropiques directes (pollutions, sédimentation et pêche) sont les principales causes de cette dégradation. De plus en plus vulnérables aux évènements climatiques répétés, les récifs perdent leur capacité de résilience, et n'ont plus le temps de se reconstituer après un épisode de dégradation. S'y ajoutent les activités humaines qui exercent une pression directe sur les récifs, réduisent leur résilience et amplifient leur destruction.


Les études internationales mettent en avant le fait que pratiquement tous les récifs coralliens tropicaux vont subir un recul notable de leur superficie : déclin de 70 à 90 % si le réchauffement est de 1,5°C, et de plus de 99 % s'il est de 2°C3. Au cours du 21e siècle, 99 % des récifs coralliens du monde devraient connaître un blanchissement important dû au stress thermique4.

 
A l'échelle locale : les pressions sont liées aux activités humaines, sur les bassins versants (agriculture, mines, urbanisation ...), en zone côtière (aménagements côtiers), ou sur le milieu marin (plaisance, transport maritime...). Ces pratiques sont devenues de plus en plus intenses car les zones côtières sont les régions les plus densément peuplées du monde. Le changement de style de vie est aussi en cause : l'urbanisation littorale galopante, qui imperméabilise les sols et favorise le ruissellement, l'érosion mal maîtrisée liée aux pratiques agricoles, les mines à ciel ouvert... ont conduit à une augmentation des apports en matériel terrigène (ou en sédiments) et en polluants dans les eaux côtières. Cette pollution affecte la reproduction, le recrutement des larves et la survie des espèces des récifs coralliens.

 
À l'échelle globale et régionale : les évènements naturels tels que les cyclones, l'augmentation de la température des océans, l'acidification, la modification du régime des précipitations, la montée du niveau de la mer5 sont accentués par le changement climatique, résultant des activités anthropiques.

Ces épisodes, de plus en plus fréquents et intenses, impactent durablement les récifs. Ces cinq dernières années, entre 2015 et 2020, plusieurs épisodes de blanchissement ont touché le Pacifique (deux épisodes) et l'océan Indien (trois épisodes), et neuf cyclones ont par ailleurs traversé les collectivités ultra-marines.



> QU'IL FAUT ALLER PLUS LOIN DANS LA PRÉSERVATION DES RÉCIFS CORALLIENS

Les actions renforcées pour surveiller et protéger les récifs coralliens ainsi que les écosystèmes associés (herbiers et mangroves), et notamment dans les aires marines protégées (AMP), pourront favoriser leur adaptation et maximiser leurs capacités de résilience aux effets du changement climatique.

En Nouvelle-Calédonie : les AMP du lagon Grand Nouméa, mises en place depuis 1990, ont permis une augmentation des populations de poissons commerciaux supérieure à celle des poissons dans les zones non protégées. A Saint-Barthélemy et Saint-Martin, les réserves naturelles nationales ont également démontré un effet positif sur les peuplements de poissons.


Les diverses observations menées durant l'étude ont permis également de découvrir des signes positifs dont de nombreux exemples de résilience des récifs, avec un recouvrement corallien récupéré au bout de quelques années, à la suite d'une destruction massive. Par exemple, en Nouvelle-Calédonie, en 2003, le passage du cyclone Erica a impacté un grand nombre de récifs, récupérés en une décennie. Les épisodes de dégradation brutale de plus en plus fréquents affaiblissent progressivement les récifs qui n'ont pas le temps de récupérer entre deux évènements.

 

Cette étude confirme l'état de dégradation d'une grande partie des récifs coralliens dans les outre-mer français. Il est donc essentiel de poursuivre les actions tant qu'il en est encore temps.

En effet, les signes d'amélioration, liés à la résilience ou à l'effet positif des aires marines protégées, doivent nous encourager à renforcer la préservation des coraux.

 

En accord avec la communauté scientifique internationale5, l'IFRECOR rappelle les 3 piliers de la survie des récifs coralliens :

1 - l'atténuation du changement climatique

2 - la réduction des pressions anthropiques directes

3 - et l'innovation, pour renforcer la résilience.

 
- Protéger. La France s'est engagée à protéger 100 % des récifs coralliens dans les outre-mer français d'ici à 2025 ; 67 % le sont aujourd'hui, grâce notamment aux aires marines protégées. L'étude montre que les zones de protection les plus fortes ont déjà apporté des effets bénéfiques notables sur les populations de poissons et l'état des écosystèmes (27% des récifs coralliens français sont couverts par des statuts de protection renforcé). Cette tendance peut s'accentuer en renforçant ce réseau, en particulier en multipliant et en étendant les zones de protection forte.

 
- Réduire les pressions. La réduction des pressions issues des activités humaines à terre et en mer reste la principale marge de manœuvre pour sauver les récifs et maintenir les services qu'ils procurent. Aménagement du territoire, gestion des eaux, promotion d'une agriculture respectant l'environnement, pêche durable...  ce n'est qu'au prix d'une forte volonté politique de réduire ces pressions que l'objectif de 100 % de protection des récifs coralliens en 2025, pourra être atteint.

 
- Surveiller. Les réseaux de surveillance sont essentiels pour suivre l'évolution des écosystèmes et adapter les politiques et la gestion. Le réseau de suivi des récifs en outre-mer est déjà important, avec plus  de 1 000 stations suivies à des fréquences variables (dont 200 utilisées pour mener l'étude), mais néanmoins insuffisant dans certaines collectivités au regard de la surface de leurs récifs ; les moyens alloués sont par ailleurs souvent trop faibles pour assurer un suivi régulier.


Il faudra également pérenniser, renforcer et améliorer la cohérence des différents réseaux de suivi des écosystèmes, poursuivre l'acquisition des connaissances, notamment sur l'impact des changements climatiques, ainsi que les actions déjà nombreuses de sensibilisation aux enjeux envers l'ensemble des citoyens.



Sources :

1 Etude baromètre : État de santé des récifs coralliens, herbiers marins et mangroves des outre-mer français en 2020, IFRECOR.

   Etude menée tous les 5 ans depuis 2010.

2 IPBES, 2019, Rapport sur l'évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques

3 GIEC, 2019, Rapport spécial sur l'océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique

4 Gattuso et al, 2018

5 Kleypas et al, 2021

 

Etude complète disponible via le lien : https://ifrecor.fr/2021/06/08/2020-letat-de-sante-des-recifs-coralliens-herbiers-marins-et-mangroves-des-outre-mer-francais-un-bilan-mitige/


Créée en 1999, l'IFRECOR (Initiative française pour les récifs coralliens) agit pour la protection et la gestion durable des récifs coralliens et des écosystèmes associés (mangroves, herbiers) dans les collectivités françaises d'outre-mer. Co-fondatrice de l'initiative internationale pour les récifs coralliens (ICRI) qui compte 90 membres dont 43 pays, la France participe via des études au suivi mondial des récifs coralliens (GCRMN/ICRI).

L'IFRECOR, sous la tutelle des ministères de la Transition écologique et de l'Outre-Mer est constituée d'un comité national et d'un réseau de 10 comités locaux représentant les collectivités françaises abritant des récifs coralliens et rassemblant les acteurs des territoires d'outre-mer : Guadeloupe, Martinique, Saint Barthélemy, Saint-Martin, La Réunion, Mayotte, les îles Eparses (TAAF), Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et la Polynésie française.