Décrêts sur les produits biocides : Des mesures peu ambitieuses qui ne garantissent pas la protection de la santé humaine et de l’environnement


Les décrets relatifs à la publicité et aux pratiques commerciales prohibées, pour certaines catégories de produits biocides, publiés ce jour même, viennent préciser l’application de l’article 76 figurant dans la loi Agriculture et alimentation (loi Egalim) adoptée en octobre 2018, pour un meilleur encadrement de la commercialisation des produits biocides pour les particuliers. Comme annoncé dans l’article de loi, ces décrets doivent viser l’interdiction pour les particuliers de la vente libre-service, de la publicité et des pratiques commerciales avantageuses de certaines catégories de produits biocides, en fonction des risques pour la santé humaine et pour l'environnement.

Rappelons que les produits biocides sont des substances ou des préparations destinées à détruire, repousser ou rendre inoffensifs des organismes considérés comme nuisibles, par une action chimique ou biologique. D’un point de vue règlementaire ils couvrent principalement les produits à usages domestiques (type insecticides) ou industriels (type désinfectants). Seules les catégories de produits à usages non professionnels sont visées par les décrets.[1]

Cette démarche s’inscrit dans une action de prévention et de sensibilisation du public afin de diminuer l’exposition de la population et notamment des publics les plus vulnérables (couples en âge de procréer, femmes enceintes et enfants en bas âges), et celle de l’environnement à des substances dangereuses. Par ailleurs, ces mesures ont aussi été décidées afin de préserver l’efficacité des produits et éviter le développement de résistance.

Or, malgré l’annonce de mesures ambitieuses dans la loi, le projet de décret qui nous a été présenté en février dernier ne visait que les catégories de produits pour lesquels la publicité et les pratiques commerciales avantageuses seront interdites. Le report de la mesure la plus protectrice, à savoir l’interdiction de la vente libre-service, traduisait déjà le manque de volonté du Gouvernement d’encadrer au plus vite et avec la plus grande fermeté la commercialisation de ces produits dangereux.

Par ailleurs, nous avions formulé plusieurs remarques face à la faiblesse des mesures envisagées et certaines, soulignons-le, avaient alors été prises en compte. Les produits rodenticides par exemple, qui n’étaient visés que par l’interdiction publicitaire le sont désormais aussi pour l’interdiction des pratiques commerciales. Nous avons également fait part du nombre insuffisant de catégories de produits visées par ces interdictions lors de la consultation publique lancée au mois de mars.

Générations Futures n’a cessé de demander que le choix des catégories de produits visés par l’interdiction publicitaire et les pratiques commerciales avantageuses, soit basé sur des critères de dangerosité et non sur une analyse du risque, dans une approche basée sur la précaution, compte-tenue de l’incertitude inhérente à toute évaluation du risque. Nous attendions ainsi du ministère qu’il privilégie une approche par substances actives visant tous les types de produits biocides à usage non professionnel contenant des substances actives classées cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, avérées, présumées et suspectées, des substances perturbatrices endocriniennes avérées ou suspectées, ou encore des substances toxiques pour l’homme (catégorie 1,2,3) ou pour l’environnement (catégorie 1, 2).

Il est tout à fait regrettable de constater à la publication de ces décrets que cette approche n’a pas été retenue et que certaines catégories de produits visés par l’interdiction des pratiques commerciales ont été retirées. Seuls les produits rodenticides (TP14) et insecticides, acaricides et produits utilisés pour lutter contre les autres arthropodes (TP18) sont visés par cette interdiction. Les produits désinfectants et produits algicides non destinés à l’application directe sur des êtres humains ou des animaux (TP2) et les produits de surfaces en contact avec les denrées alimentaires (TP4) ont quant à eux été retirés du décret. Ils sont en revanche toujours visés par l’interdiction publicitaire.

De plus, la classe de danger pour la santé n’est toujours pas mentionnée dans le décret relatif à l’interdiction de la publicité. Pourquoi ne cibler que les catégories de produits désinfectants (TP2 et TP4) classés comme dangereux pour le milieu aquatique de catégorie 1, alors que certains de ces produits contiennent des substances classées dangereuses pour la santé (catégorie 3) ?

« Le contenu des décrets publiés est très en-deçà des attentes de Générations Futures et vient affaiblir l'ambition affichée dans la loi Egalim concernant l’encadrement de l’usage de produits biocides. Il s’agit pourtant de sensibiliser le public sur l’usage domestique de ces produits souvent mal connus et dont peu de gens se méfient. Rappelons que certains insecticides contiennent pourtant des substances interdites depuis de nombreuses années pour l’usage agricole en raison de leur toxicité. Il semble toujours incompréhensible d’avoir reporté la mesure la plus protectrice, à savoir l’interdiction de la vente en libre-service et de conditionner la définition des catégories de produits biocides visés à un nouvel avis de l’Anses. L’Agence sanitaire, dans le respect des missions d’évaluation qui lui sont attribuées, fournira un avis basé sur l’évaluation du risque. Or, il est regrettable que l’évaluation du risque prime sur la prise en compte des classifications de dangers existantes. Il apparaît tout aussi incohérent de ne pas considérer tous les types de produits biocides destinés aux particuliers en privilégiant une approche par substances actives. L’étude de la composition de certains produits pour l’hygiène humaine (TP1) et les répulsifs et appâts (TP19) révèle pourtant la présence de perturbateurs endocriniens suspectés. » déplore François Veillerait, Directeur et porte-parole de Générations Futures.

« Le fait que les produits appartenant aux types 2 et 4 soient visés par l’interdiction publicitaire et non par celle des pratiques commerciales avantageuses, ne laisse aucun doute sur le fait que les intérêts commerciaux priment sur la protection de la santé humaine et de l’environnement. » ajoute-il.
 
[1] Les produits désinfectants appartenant au TP1 (hygiène humaine), TP2 (désinfectants et produits algicides non destinés à l’application directe sur des êtres humains ou des animaux), TP4 (surfaces en contact avec les denrées alimentaires) ; et les produits de lutte contre les nuisibles appartenant au TP 14 (rodenticides), TP18 (insecticides, acaricides et produits utilisés pour lutter contre les autres arthropodes) et au TP19 (répulsifs et appâts).