À propos de monnaies...


S’il existe bien un droit régalien, qui fut longtemps le pivot du pouvoir de l’État, ce fut le monopole du droit de battre monnaie.
Depuis l’an 2000, en Europe, ce droit régalien a échappé aux États et la naissance de l’euro a signé la fin d’une histoire, celle des nationalismes monétaires et financiers (et les actuelles conspirations américaines et britanniques pour tenter de déstabiliser cette monnaie européenne afin de « restaurer » l’hégémonie de la finance anglo-saxonne sur l’économie mondiale, n’y changent rien mais, au contraire, le prouvent).

Au moment de remettre ce manuscrit à mon éditeur, ce 27 septembre 2011, Le Figaro publie un article intitulé : « Des monnaies locales défient l’euro et le dollar » écrit par Madame Isabelle de Foucaud et que je reproduis ici largement :
« De nombreuses villes et régions d’Europe battent leur propre monnaie pour revitaliser leur économie locale.

« La mondialisation n’a pas bonne presse ces temps-ci. Alors que la crise de la dette a pris le relais de la crise financière de 2008, de nombreuses villes et régions misent sur la relocalisation de l’économie. Elles ont, pour ce faire, décidé de se passer de l’euro en inventant leur propre monnaie. Dernière initiative en date, celle de Filettino, en Italie, qui bat depuis fin août le «Fiorito».

Cette petite commune de 598 habitants, située dans la province de Frosinone au centre du pays, a déclaré son indépendance afin de protester contre le plan d’austérité du Gouvernement qui prévoit la mise en commun des budgets des petites villes de moins de 1 000 habitants. La nouvelle « Principauté » a émis 20 000 billets à l’effigie de son maire et a déjà fixé un taux de change face à l’euro au cas où elle mettrait à exécution sa menace de sécession. Le « Fiorito » vaudrait alors 0,50 €.

L’idée d’une monnaie alternative à l’euro ou au dollar n’est pas nouvelle. Dès 2003, Prien-am-Chiemsee, une commune allemande de Bavière, a mis en circulation le « Chiemgauer ». Les billets de 1,2,5, 10, 20 et 50 Chiemgauers ont la même valeur que l’euro et sont utilisables dans un réseau de commerçants et d’entreprises qui ont rejoint le projet. Aujourd’hui, ils sont 617 adhérents. Le phénomène a pris une telle ampleur en Allemagne qu’il existe une soixantaine de monnaies locales.

« Développement « solidaire »
« Ces monnaies alternatives ont également débarqué en France. À l’initiative de l’association Agir pour le vivant, l’Abeille a fait son apparition dans les porte-monnaie des habitants de Villeneuve-sur-Lot, dans le Lot-et-Garonne, en janvier 2010. À Toulouse, le Sol-Violette se veut une « monnaie éthique », dont le but est de promouvoir un « développement économique solidaire ». Enfin, l’Ardèche du Sud s’est dotée de sa monnaie, la «Luciole», au printemps 2011, afin d’ «ouvrir la voie à une économie plus respectueuse de l’être humain et de son environnement».

Des relents « solidaires » que l’on retrouve partout en Europe, à l’heure ou la crise de la dette se propage. En Belgique, dans la région du Hainaut, la ville de Mons a ainsi lancé le « Ropi », pour « relocaliser l’économie, préparer l’après- croissance, et remettre le citoyen au cœur des débats et prises de décisions, notamment sur la finance et les questions monétaires». Ces préoccupations dépassent largement les frontières européennes. Aux États-Unis, dans la région du Berkshire (Massachussetts), des associations ont créé, en 2006, un système monétaire parallèle, qui repose sur les BerkShares. Aujourd’hui, plus de 400 entreprises acceptent cette monnaie, et plus de 2,7 millions de BerkShares sont en circulation, échangeables à 1 dollar contre 0,95 BerkShares.
« Circuit fermé
« Face à la popularité de ces monnaies alternatives, l’euro et le dollar ont-ils du souci à se faire ? Dans un rapport publié en 2007, la Deutsche Bundesbank, la Banque centrale allemande, se demandait déjà si celles-ci pourraient concurrencer l’euro.
Selon l’institution, les monnaies locales en circulation en Allemagne pesaient alors l’équivalent de 200 000 euros et leur impact sur l’économie du pays était « négligeable ». Aujourd’hui, elles représentent 900 000 euros.

La Banque de France, de son côté, rappelle que le cours légal, tel que défini dans le Code monétaire et financier, est le principe fondamental de tout moyen de paiement. «Les commerçants sont dans l’obligation d’accepter les billets et pièces dotés de ce cours légal.» À l’inverse, la mise en circulation d’une monnaie parallèle n’est pas interdite, mais elle doit se faire dans le cadre d’une entente entre les différents utilisateurs. « Cette monnaie n’est toutefois pas échangeable et circule en circuit fermé», précise l’institution. Malgré l’effet boule de neige, l’euro n’a sans doute rien à craindre de la part de monnaies locales vouées à rester confidentielles. »

Madame de Foucaud ne dit pas qu’il existe, à ce jour, au moins 4 000 monnaies privées dans le monde, celle de la banque suisse WIR étant probablement la plus connue (cf. mon Économie démonétisée, Dangles, 2010).

Cet article illustre tellement bien le propos de ce livre que je ne résiste pas au plaisir de le reproduire ici et d’en donner un petit commentaire.

Que lisons-nous ? Que l’euro a permis à la monnaie – donc à l’économie – européenne d’échapper aux petitesses d’États dont les seules préoccupations politiciennes, démagogiques et électorales lui sont extrêmement dommageables. Donc, l’euro consacre l’émergence de monnaies globales « au-delà » des États. Mais, parallèlement – et c’est ce que décrit l’article de Madame de Foucaud –, pour des raisons aussi diverses que variées (autonomie, solidarité, méfiance, régionalisme, etc.), apparaissent des monnaies « locales » bien « en deçà des États. Ces monnaies « privées » traduisent les besoins propres d’un terroir particulier.

Il ne faut surtout pas voir un quelconque antagonisme entre monnaie globale et monnaies locales, mais bien plutôt une belle complémentarité. Comme l’économie qu’elles symbolisent, les monnaies quittent le niveau national des États et se développent sur les deux niveaux, local et global. Tout le livre qui suit ne dit, au fond, pas autre chose : les États nationaux n’ont plus de raisons d’être et les peuples se réorganisent sur deux plans : celui global de la « Terre » et celui local du « Terroir ». Ces deux plans, répétons-le, sont complémentaires, puisque toutes les problématiques réelles des gens réels sont soit globales (mondialisation oblige) soit locales (proximité et réactivité obligent).

Les États et leurs préoccupations politiciennes n’ont plus aucun rôle à y jouer, répétons-le aussi.
Je me revendique européen et morvandiau. Pas français ! Ce sera la norme commune (pourvu que l’on remplace morvandiau par breton, ou homosexuel, ou bouddhiste ...) dans moins de deux générations...

Marc Halévy

                                                                              

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 Mondialisation et relocalisation, entre terre et terroir