Par Maitre Antoine Chéron, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC,
fondateur du cabinet ACBM
Le projet de loi pour la « République numérique » présenté par Manuel Valls, Emmanuel Macron et Axelle Lemaire a vigoureusement été remanié par les sénateurs le mardi 3 mai puisque 621 nouveaux amendements ont été déposés. Le texte a été approuvé par 322 voix contre une, avec 23 abstentions émises essentiellement par des communistes.
Les politiques se sont emparé des 25 000 contributions émises pendant 3 semaines par les citoyens sur le site republique-numerique.fr créé le 26 septembre 2015 afin d’enrichir et perfectionner ce projet de loi indispensable à l’encadrement du numérique, aujourd’hui omniprésent dans la vie des tous. Le projet de loi avait déjà été modifié le 6 novembre 2015 sur la base de ces contributions avant d’être présenté en Conseil de ministres puis adopté en première lecture à l’Assemblée nationale à 356 voix pour et 1 contre le 26 janvier 2016.
L’adaptation des droits des internautes aux réalités économiques de l’internet
En arrivant au Sénat, le texte prévoyait déjà des mesures très concrètes pour les internautes. Par exemple, la portabilité des données ou encore le droit à l’oubli pour les mineurs et le maintien d’une connexion internet pour les personnes les plus démunies ne pouvant plus de le permettre. Tous les sujets liés au numérique sont traités dans ce projet, de la facilitation des dons par SMS au raccourcissement des délais avant le libre accès aux publications scientifiques de la recherche publique en passant par le reconnaissance des compétitions de jeux vidéo.
S’agissant de ce dernier domaine, les sénateurs ont adopté un amendement permettant la création d’un contrat de travail spécifique aux joueurs professionnels de jeux vidéo qui s’inspire de celui utilisé dans le sport de haut niveau. Plutôt qu’avoir un contrat avec un autre intitulé de poste ou un statut d’entrepreneur, ils pourront désormais obtenir un statut de joueur professionnel salarié en acceptant un CDD dérogatoire d’un an minimum et de cinq ans maximum si l’amendement prospère.
Toujours en se concentrant sur la génération de profits via internet, les sénateurs ont également décidé d’encadrer l’activité de location de logements de particulier via des sites comme Airbnb. Pour éviter les sous-locations illégales, le Sénat a autorisé les communes de plus de 200.000 habitants à rendre obligatoire l’enregistrement de ce type de location. En parallèle, pour ceux qui auraient des revenus supérieurs à 5000 euros par an tirés de leur activité sur des plateformes en ligne de vente de particulier à particulier comme Le Bon Coin seront imposables à l’impôt sur le revenu et aux prélèvement sociaux.
Le renforcement des sanctions d’un usage abusif de l’internet
Les sénateurs comblent ainsi des vides juridiques handicapant quotidiennement les citoyens qui vivent grâce aux nouvelles technologies. Tout en leur octroyant un véritable statut, cela encadre leur activité comme n’importe quel autre travailleur, mettant ainsi toutes les personnes actives sur un même pied d’égalité. Dans la même lignée de cette approche assez économique, le Sénat a décidé que dès lors qu’un « usage à caractère directement ou indirectement commercial » sera fait de la diffusion des photos de bâtiments ou sculptures protégées par le droit d’auteur, alors la « liberté de panorama » votée à l’Assemblée ne sera pas opposable aux titulaires de ces droits.
Faisant écho à la jurisprudence européenne en matière de cookies et de référencement, le Palais du Luxembourg a qualifié de pratique anticoncurrentielle le fait pour un moteur de recherche en position dominante de mettre en avant ses propres services dans la liste des résultats. Cet amendement a donc une portée répressive, qu’on retrouve dans la sanction d’un usage commercial de la liberté de panorama.
Un bilan mitigé pour le Conseil national du numérique (CNN)
Le CNN a noté de « réelles améliorations » en matière de loyauté des plateformes et d’ouverture des données publiques mais « s’inquiète d’un certain nombre de reculs » notamment s’agissant de la suppression par le Sénat de la possibilité pour des associations d’agir en justice pour défendre le domaine public. La navette parlementaire continuant, cet amendement sera peut-être battu en brèche. Et globalement, les modifications apportées par les Sénateurs visent à rendre la République numérique concrète et effective pour tous les citoyens. L’adaptation de la règlementation aux nouveaux usages économiques de l’internet par des particuliers semble pleinement engagée.
Antoine CHERON, avocat associé, est docteur en droit de la propriété intellectuelle, avocat au barreau de PARIS et au barreau de BRUXELLES et chargé d’enseignement en Master de droit à l’Université de Assas (Paris II). Il est le fondateur du cabinet d'avocats ACBM (www.acbm-avocats.com)