Inde : l'archétype spirituel de l’arc

Le premier arc qui inspira les peuples du monde est de nature cosmique, c’est l’arc-en-ciel tel qu’il apparaît, sublime et merveilleux, constitué d’un demi-cercle et contenant les sept couleurs du prisme. Si le Dieu sans forme est à jamais invisible aux hommes, un signe de sa présence peut apparaître lorsqu’Il se manifeste, et l’arc- en-ciel fut l’un des premiers symboles de cette présence. Il fut choisi spontanément pour sa beauté mais aussi parce qu’il était la représentation d’une vérité universelle, à savoir que toute manifestation
Constellation du Sagittaire. (Johannes Hevelius – 1611-1687)


Le premier arc qui inspira les peuples du monde est de nature cosmique, c’est l’arc-en-ciel tel qu’il apparaît, sublime et merveilleux, constitué d’un demi-cercle et contenant les sept couleurs du prisme. Si le Dieu sans forme est à jamais invisible aux hommes, un signe de sa présence peut apparaître lorsqu’Il se manifeste, et l’arc- en-ciel fut l’un des premiers symboles de cette présence. Il fut choisi spontanément pour sa beauté mais aussi parce qu’il était la représentation d’une vérité universelle, à savoir que toute manifestation est la conséquence de sept sons, trois majeurs et quatre subsidiaires.

L’autre vérité est qu’un son émet toujours une couleur, d’où le prisme solaire. C’est pour cette raison que nous retrouvons notre septénaire dans tous les aspects de la création. Ce signe fut donc considéré par les Anciens comme le signe de Dieu, et l’arc, par sa forme, en devint le vivant symbole. L’arc était le moyen de contacter le ciel par l’envoi d’une flèche. La réponse pouvait être positive, la pluie en cas de sécheresse, mais aussi négative, la foudre et les éclairs destructeurs. Les populations en vinrent à croire que les dieux étaient eux-mêmes des archers.

Les principes universels ont toujours été personnalisés sous forme de dieux porteurs d’attributs. Dans la trimûrti hindoue, le premier des trois dieux créateurs est Brahmâ 15, le constructeur de l’univers. Il est la synthèse des sept groupes de puissances créatrices déviques (les ten bouddhistes et les kami du shintô). Brahmâ a quatre bras et l’une de ses mains tient un arc appelé « enveloppement » (parivîta) car c’est lui qui crée l’univers sous la forme d’un œuf lumineux, l’em- bryon d’or (hiranyagarbha). L’arc est ici synonyme de ce qui met un système en route au moyen d’une première flèche.

Le second dieu de la trimûrti est Vishnu, toujours représenté avec quatre bras figurant les trois tendances fondamentales plus la notion du moi (la conscience). Or l’une de ses mains porte un arc :
L’arc symbolise l’aspect destructeur de la notion d’existence individuelle, associée à la tendance désintégrante (tâmas-ahamkâra) qui est l’origine des sens. (Vishnu Purânas, I, 22, 70)

Les nombreuses flèches de Vishnu sont les pouvoirs des sens à travers lesquels s’établit le champ d’activité de l’intellect. (Vishnu Purâna, I, 22, 73)

Quant au carquois, il est, selon A. Daniélou, la réserve du pouvoir d’agir.

Shiva, le dernier dieu de la trimûrti, possède de nombreux attributs et quelquefois un arc (pinâka) afin d’aider les dieux dans leur action

consistant à créer, à entretenir et à détruire le monde. Cette arme ayant la forme d’un arc-en-ciel est constituée d’un terrible serpent à sept têtes et aux dents empoisonnées. À propos de l’aspect destructeur de Shiva (devenu Rudra), le Rig Véda écrit :
Je fais partir la flèche de l’arc du Seigneur-des-larmes pour tuer la tribu des ennemis du savoir. Je combats pour le peuple. Je pénètre le ciel et la terre. Je donne naissance au père. C’est moi qui suis sa tête. Je naquis des eaux primordiales (âp). De là je me suis répandu dans l’univers. Je touche le ciel de mon corps. Je souffle comme le vent lorsque je crée les mondes. Ma grandeur dépasse le Ciel et la Terre. (Rig Véda, VIII, 7, 125)

Parmi les dieux, nous avons aussi Kâma, le dieu du désir, l’original de notre Cupidon porteur d’un arc et de flèches. Kâma a plusieurs noms. Il est appelé « celui à l’arc-de-fleurs » (pushpa-dhanus) et celui « aux-flèches-de-fleurs » (pushpa-shara). Son arc est fait d’une canne à sucre, d’une corde formée d’abeilles et de cinq flèches faites de cinq fleurs pour inspirer le désir : le lotus bleu, le jasmin, la fleur de manguier, le chamoka et le shirîsha. Les cinq fleurs sont les cinq sens une fois charmés par le sucre et le miel du désir. Le texte cherche à montrer que le dieu du désir doit devenir le Dieu de l’amour, l’amour étant du désir à son point le plus élevé, et le désir, de l’amour à son point le plus bas. Le désir est associé au ventre, l’amour au cœur. D’où cette insistance des instructeurs de kyûdô à faire du cœur notre cible.

Notons au passage que le dieu Indra (régent du plan bouddhique précédant le plan nirvânique) porte un arc ayant la forme d’un arc- en-ciel appelé « victorieux » (vijaya). C’est l’arc de la victoire finale.
L’arc et l’arc-en-ciel furent toujours intimement liés. Maintenir un contact entre le ciel et la terre impliquait pour l’homme l’utilisation d’un instrument magique, l’arc fut l’un d’eux. Celui-ci est donc devenu dans les mains des chamanes et des prêtres l’instrument par lequel le monde des dieux et celui des hommes pouvaient se rencontrer.

L’arc-en-ciel est formé d’une demi-sphère qui, étant visible, représente le signe du Dieu avec forme, alors que sa partie invisible formant l’autre partie de la sphère, représente le Dieu sans forme éternellement invisible. Étant un lien entre deux mondes, l’arc-en-ciel était considéré comme un pont (d’où la forme des ponts en Chine et au Japon) par lequel passent les dieux et les héros pour monter au ciel ou descendre sur la terre, il est de ce fait devenu un symbole quasi universel. Lorsque Bouddha naquit, on vit dans le ciel un merveilleux arc-en-ciel, et lorsqu’il redescendit du ciel, il emprunta un escalier de sept couleurs. L’arc ou l’arcade a, pour cette raison, pris beaucoup d’importance dans l’architecture sacrée des temples et des églises. En Grèce, l’arc-en-ciel est représenté par Iris, la messagère la plus rapide des dieux.

L’arc-en-ciel apparaît donc toujours au début de la création et la Genèse biblique n’a pas omis de le mentionner :
Et Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que je mets entre moi et vous et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à venir : je mets mon arc dans la nuée et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre. » (Genèse, IX, 12-13)

Puisque nous parlons de traditions très anciennes, de symbolisme et de cosmos, j’aimerais faire remarquer que l’astrologie a utilisé le symbole de l’archer parmi ses constellations. Il s’agit bien sûr du Sagittaire qui devrait intéresser tous les kyûdôkas.

Dans les temps anciens, cette figure était celle d’un centaure, mi-homme, mi-cheval. Ce signe représente l’évolution et le développement de l’âme humaine avec ses objectifs humains, son égoïsme, ses identifications à la forme, ses désirs mais aussi ses aspirations. Le signe plus récent de l’archer associé au corps d’un cheval signifie l’orientation de l’homme vers un but défini et élevé, l’archer vise en direction du Soleil une flèche unique vers un objectif unique. Le Sagittaire démontre la nécessité pour l’homme de se séparer définitivement de sa nature animale, ancrée sur terre par les quatre pattes du cheval (les Quatre Éléments). Mais le cheval est un animal intelligent et ce que cherche l’archer, ce n’est pas de le tuer mais de transformer son intelligence animale en intuition (Soleil)16. Ainsi l’ambition du centaure devient l’aspiration spirituelle de l’archer. Cette allégorie a pour but la fin de l’identification à la forme, le libérateur apparaissant comme un cavalier utilisant et maîtrisant sa monture (généralement un cheval blanc).

Tout le processus de l’évolution de l’âme peut se résumer en trois étapes :
1) la dualité fusionnée de l’âme et du corps – le Centaure ;
2) la dualité séparée de l’âme et du corps – l’Archer ;
3) la liberté ou la concentration dans l’âme – l’Arc et la Flèche.

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14. « Le Mahâbhârata parle expressément de flèches animées de mantra (Vana Parvan, CCLXIX et CCLXXXI) ; Bhîshma Parvan, CXXI ; Drona Parvan, CIII), d’un javelot animé de mantras (Vana Parvan, CCLXXXIV), d’une masse d’armes donnée par Varuna à Shrutâyudha avec des mantras (Drona Parvan, XCII). » (Jean Herbert, in La mythologie hindoue)

15. Brahmâ le créateur (le Démiurge) ne doit surtout pas être confondu avec « Brahman », le Dieu absolu et invisible auquel se réfèrent toutes les religions et dont Brahmâ n’est que l’émanation première.

16. Le Sagittaire est l’un des Signes intuitifs, car seule l’intuition pourra conduire l’homme au pied de la montagne de l’initiation dans le Capricorne.

Michel Coquet 

                        
                                                                              

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