Si l’histoire de l’écriture se confond avec celle du progrès humain, il ne faut cependant pas oublier qu’auparavant, il y a plus de 30 000 ans, il y eut le dessin.
Debout face à la mer, l’homme regarde au loin le soleil qui glisse doucement et semble s’enfoncer dans l’élément liquide. L’homme tend le bras, pointe un doigt et se tourne vers sa compagne en haussant les sourcils.
Le langage des gestes et la mimique ont été les premiers éléments de communication entre les humains proches, tam-tam et signaux de fumées pour la distance. Les sons vocaux ont suivi puis le langage.
Accroupi sur le sol, il suit les traces laissées par les animaux et appelle son compagnon. Les deux chasseurs en scrutant les marques recueillent des informations importantes pour la survie de leur peuple. Danger ou nourriture ?
Petit à petit, la connaissance se développe et il faut la transmettre aux plus jeunes. L’homme dessine alors sur les parois des grottes avec des couleurs naturelles, utilisant ses mains, des bâtons ou d’autres objets.
Dessins figuratifs, silhouette d’hommes ou d’animaux, mais aussi des signes plus abstraits comme des traits, des triangles, des cercles dont le sens était sans doute clair à l’époque.
L’homme, en découvrant l’agriculture, devient sédentaire. Le besoin d’utiliser le surplus de production et d’obtenir de nouveaux matériaux qui lui font défaut, induit la mise en place d’échanges. Puisqu’il faut, par sécurité et pour mémoire, garder une trace des transactions, instaurer des titres de propriété et raconter la vie du village, il crée alors l’écriture, mais il ne part pas de rien : il améliore, utilise ce qu’il a appris avec la peinture. Les premiers caractères sont très simples, proches du dessin, comme, par exemple, le cercle représentant le soleil qui signifie aussi le lever du jour. Il faut alors trouver un autre support que les parois d’une grotte, l’information doit circuler.
Au 34e siècle avant notre ère, l’écriture est inventée en Mésopotamie méridionale.
Les supports :
L’argile abondante, et donc bon marché, est le matériau utilisé en Mésopotamie pour la vie courante : constructions, objets usuels... Elle va servir aux premiers écrits.
La brique d’argile encore humide, donc malléable, est un support idéal. Le scribe, a l’aide d’un roseau taillé, appelé calame, inscrit le message à transmettre sur chacune des faces puis il la fait sécher au soleil. Légère, elle peut être facilement transportée mais elle est fragile et se casse facilement.
Les premières tablettes d’argiles ont été découvertes dans le pays de Sumer, on les a appelées les tablettes d’Uruk.
Écriture sommaire permettant d’établir une sorte de comptabilité : liste de sacs de grain, de têtes de bétail En Syrie, au bord de l’Euphrate, à Jerf el Ahmar, quatre pierres gravées datant du 10e millénaire avant notre ère, ont été découvertes.
En 1902, un groupe français dégage une stèle en basalte de deux mètres de haut sur laquelle fut rédigé un texte législatif durant le règne d’Hammourabi (1792-1730 av. J.-C.), roi de Babylone. Parmi ces lois régissant son empire est inscrite la loi du Talion « œil pour œil, dent pour dent ».
Marbre (Grèce), ardoise, tessons de poterie, porcelaine, ivoire, os, verre gravé au jet de sable, puis, le fer, le bronze (pièce de bronze ornée d’écriture ibérique, datée du 1er siè- cle av. J.-C, nommée le bronze de Botorrita), le cuivre (Inde) ainsi que d’autres métaux.
Le bois, les écorces d’arbres : à partir du 11e siècle et durant près de 400 ans, la ville de Novgorod en Russie, se servit de l’écorce de bouleau comme support et de l’utilisation du burin pour écrire, et retarda l’évolution du cyrillique vers des formes plus cursives. Les Chinois, avant le papier, prenaient des lamelles de bambou. Les feuilles de palmier, utilisées en Inde, étaient séchées puis enduites d’huile, elles acquéraient alors la texture et la flexibilité requises. Il y eut aussi : la toile, la soie, les peaux de bêtes et les tablettes de cire avant d’en arriver au parchemin puis au papier.
Les grecs inventent la première ardoise, la tablette de cire qui sera utilisée de l’Antiquité jusqu’à la fin du Moyen Âge, mais son usage va disparaître progressivement avec l’apparition du papier. Elle est fabriquée à partir d’une petite planche de bois, souvent du buis, creusée puis remplie de cire colorée, mélangée à diverses substances comme la poix.
Plusieurs tablettes pouvaient être reliées entre elles par des charnières ou par des lanières formant ainsi un volume qui pouvait être plus ou moins gros, plusieurs volumes formant un tome.
Les lettres étaient tracées à l’aide de stylets de bois, d’os, de fer ou d’argent, le bout pointu servant à écrire, l’autre, en forme de spatule, à effacer.
Certaines tablettes de luxe étaient en ivoire.
Coûtant moins cher que le parchemin, la tablette de cire a été utilisée longtemps mais peu ont été conservées, elles étaient trop fragiles. Elles vont disparaître progressivement avec la généralisation du papier, à partir du 15e siècle.
Le papyrus est une production essentiellement égyptienne. Poussant dans la vallée et le delta du Nil, il est d’abord utilisé pour fabriquer des cordes, des vêtements et même de petites embarcations.
Les Égyptiens utilisaient la tige qu’ils découpaient en fines bandelettes. Celles-ci étaient entrecroisées et traitées pour obtenir une surface uniforme sur laquelle il devenait possible d’écrire. Bien que fragile et très cher, il fut exporté très tôt. Au début du 2e siècle av. J.-C., la pénurie de papyrus en provenance d’Égypte se faisant fortement sentir, le souverain de Pergame, ville d’Asie Mineure (aujourd’hui Pergama en Turquie) demanda à ses artisans de créer un autre support pour l’écriture.
C’est l’apparition du parchemin ou peau de Pergame. Il est fabriqué à partir de peaux d’animaux : moutons, chèvres (nombreux en Asie Mineur), jeunes veaux, antilopes...
Les peaux sont grattées, traitées pour enlever l’odeur, assouplies, poncées du côté de la chair, jusuq’à devenir lisse de façon à ce que l’encre soit retenue sans être bue ni qu’elle s’étale. Avant d’écrire, le scribe trace des lignes avec un instrument acéré : incision pratiquée à même la peau, elle devait être assez forte pour être visible et assez légère pour ne pas trouer la peau. C’est sur cette ligne qu’il va transcrire le texte. À certaines époques ou dans certains endroits, lorsque le parchemin est rare, il est de nouveau gratté pour être réutilisé. Le nom donné à un manuscrit écrit sur un parchemin déjà utilisé est le palimpseste.
Le velin est un parchemin de très grande qualité et très fin, il est fabriqué à partir de la peau d’un veau mort-né.
Le parchemin disparaît lui aussi avec l’arrivée du papier.
Vers 84-86 ap. J.-C. apparaissent des livres de voyage. Aux tablettes de bois reliées entre elles mais trop lourdes, on substitut la peau d’animal aussi résistante mais plus souple et plus légère. C’est ainsi qu’apparaît le codex c’est-à-dire le livre-régistre dont on tourne les pages et qui remplace le volum en ou rouleau, qui se déroulait dans un seul sens et ne pouvait être utilisé que sur la face interne, l’écriture se fai- sant en colonnes (les Juifs utilisent encore le volumen pour la Torah), sa forme imposant une lecture en continu, son utilisation n’était pas pratique.
Le nom de papier vient de papyrus. Inventé en Chine, il est facile à fabriquer et va rapidement remplacer le parchemin qui ne sera conservé que pour des éditions de luxe. Il est préparé à base d’écorces trempées et battues jusqu’à l’obtention d’une pâte liquide que l’on fait sécher en lui donnant la forme d’une feuille. Dès le 5e siècle il remplace le bambou et la soie.
En 751, les Arabes, vainqueurs des Chinois à la bataille de Samarcande emportent avec eux le procédé de fabrication du papier. Ils remplacent l’écorce d’arbre par des chiffons de lin, produit peu coûteux et abondant.
Au 8e, le papier arrive dans la vallée du Nil ; au 9e, en Espagne ; au 12e, en Italie, au 13e, en Allemagne ; au 14e, en Angleterre. La France fabrique son propre papier depuis 1189.
Les instruments :
En règle générale, l’écriture est tracée sur un support à l’aide d’un instrument, soit en creux avec une pointe sèche, soit avec un produit colorant.
La pierre est gravée au ciseau et au marteau en suivant des formes qui ont été préalablement tracées à la craie, au charbon ou à la pointe sèche. Les textes sont écrits en majuscules, les minuscules apparaissant avec l’utilisation des tablettes de cire ou d’argile et du papyrus. Le stile est une tige de fer ou d’ivoire très pointue avec laquelle le scribe trace les lettres sur les tablettes de cire.
Le roseau taillé soigneusement donne un instrument relativement rigide, le calame, capable de retenir l’encre qui s’écoule par la fente pratiquée au centre de la pointe.
Pour écrire sur les papyrus, le scribe utilise aussi des tiges de jonc, qu’il faut d’abord laisser sécher. Puis on coupe des morceaux d’environ 30 cm de long. Quand la tige est sèche, on prépare la pointe en la taillant plus ou moins pour obte- nir un trait plus ou moins fin voire même un pinceau en en écrasant l’extrémité.
La plume d’oiseau, oie ou cygne. C’est un outil plus souple avec lequel il est plus facile de faire des pleins et des déliés. En la taillant en biseau, le scribe peut accentuer l’épaisseur des traits. La main pouvant écrire plus vite, l’écriture se transforme en devenant plus souple. Les lettres se modifient avec des angles plus aigus, des tracés qui deviennent filiformes, d’autres arrondis...
Les cultures maîtrisant la métallurgie ont produit des plu- mes en métal : calames de Constantinople en argent ainsi que différents modèles en bronze ont été retrouvés. La plume en acier apparaît au 19e siècle.
La plume d’oie et le calame sont longtemps restés des instruments fiables. Les sonnets de Dante ou de Boccace, le théâtre de Shakespeare ont été écrits avec. Victor Hugo écrivit que rien ne valait la plume d’oie qui lui rappelait l’oiseau, l’air... Mais, tremper souvent la plume dans l’encrier, la tailler, puis la changer car elle s’usait, rendait son emploi parfois un peu laborieux. En 1884, Waterman brevette le premier modèle réunissant les caractéristiques de ce qui allait devenir le stylographe.
Celui-ci possédait un réservoir qui permettait à l’encre de s’écouler jusqu’à la plume qui était conçue pour distribuer l’encre sur le papier de façon égale. Bien que très amélioré (plus de fuite, plus de « pâté »), c’est toujours le même instrument que nous utilisons aujourd’hui, notre « stylo ».
Les produits :
De la terre finement broyée, de la craie, du charbon mélangés à de l’eau, du graphite (la mine de plomb), de l’encre (les scribes trempaient leur roseau dans une encre à base de suie pour le noir et d’ocre pour le rouge). Au 5e siècle, se répand une encre très noire élaborée à partir de la suie du bois de pin. Les Chinois fabriquent une encre à partir du noir de fumée de colle et de substances aromatiques. Connu dès le 16e siècle, le crayon se compose d’une mine de graphite enveloppée dans du bois.
Grâce aux supports, aux instruments et aux produits utilisés l’homme créa l’écriture.
L’écriture est un dessin qui a remplacé les peintures ru- pestres, elle représente toujours un objet mais de façon abstraite. Fondement de la civilisation elle est la charnière des sciences humaines.
La forme est l’aspect extérieur des lettres, et tant que l’homme a écrit sur la pierre ou l’argile sa forme fut carrée ; quand le scribe utilise le papyrus ou le parchemin les caractères s’arrondissent. La position de l’instrument par rapport à une ligne virtuelle donne l’angle ou la courbe et le poids dépend de la plume et de l’appui que l’on exerce sur elle. Douce, elle donne un trait épais et une impression de lourdeur, dure elle donne un trait fin et une impression de légèreté.
L’alphabet est un ensemble de signes exprimant les sons élémentaires, son nom vient de alphabetum – alpha et bêta – qui sont les deux premières lettres de l’alphabet grec, alphabet qui est à l’origine des alphabets latins et cyrilliques.
Dans l’écriture alphabétique, les signes ne notent que des sons, système démocratique n’imposant qu’un apprentissage léger.
L’éveil de la vie religieuse, avec le développement des monastères, a permis aux écrits de se développer.
Les moines sont devenus des spécialistes en copie et les livres ont ainsi voyagé d’un monastère à l’autre en franchissant les frontières. Outil à double tranchant : faire circuler l’information et développer la culture mais aussi pouvoir : celui de ne transmettre qu’une partie de l’information et de pouvoir ainsi dominer les illettrés. L’écriture étant réservée à une élite : savoir lire et écrire est une force et un pouvoir et ce savoir restera longtemps un privilège.
Charlemagne (768-814) ne sait pas écrire et signe les actes impériaux d’une croix. Pendant son règne il crée des écoles. La demande en manuscrits est élevée et n’est plus seulement affaire de religion. L’écriture caroline (820-830) rend l’écriture plus lisible en ménageant des espaces entre les mots, en ajoutant des hampes ou des traits ou queues qui donnent à chaque signe sa propre physionomie.
L’Europe occidentale possède le même type d’écriture, mais à partir du 11e siècle chaque pays va commencer à imposer son propre style. Formes plus rondes pour l’Italie, plus étroites pour l’Angleterre, plus lourdes pour l’Allemagne.
Le développement de l’administration mais surtout le comerce des manuscrits et l’arrivée du papier, signent le déclin de la calligraphie caroline. Apparait alors une écriture cursive, tracée sans levée de plume : le gothique. Le papier étant moins cher et moins rare que le parchemin, l’écriture prend ses aises et devient de plus en plus personnelle.
La graphologie peut voir le jour...
Martine Tardy
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