Initiation au Bwiti - © Sylvie Le Bomin
Depuis plus d’un siècle, l’anthropologie culturelle s’interroge sur les processus d’évolution culturelle. Est-ce que les traits culturels se transmettent principalement à partir d’une ancestralité commune (transmission verticale), entre populations voisines par emprunts (transmission horizontale) ou bien par des créations indépendantes (convergence)? Cette question n’avait jamais été testée dans le domaine musical de manière formalisée. En construisant une méthode interdisciplinaire associant ethnomusicologie et phylogénétique, une étude réalisée par des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle (ISYEB - UMR 7205 CNRS MNHN UPMC EPHE Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité et UMR 7206 CNRS MNHN Université Paris Diderot Eco-anthropologie et ethnobiologie) et publiée récemment dans Plos One, a testé l’existence de processus de transmission verticale de différents traits musicaux. Cette étude a été réalisée à partir d’un jeu de données concernant 322 caractères de 58 patrimoines musicaux de populations de tradition orale du Gabon.
Ces caractères concernent les répertoires, les instruments de musique, la métrique, le rythme, les échelles musicales, les processus polyphoniques et les techniques vocales. Tous ont été décrits à partir de données de première main collectées pendant plus de dix ans auprès d’un grand nombre de populations gabonaises. Il s’agit du plus grand corpus musical ayant fait l’objet d’un codage dans une matrice de caractères. L’analyse de ceux-ci par une méthode de parcimonie montre une très forte structure hiérarchique par emboîtement des données qui ne peut s’expliquer que par la transmission verticale des caractères musicaux à partir d’ancestralités communes. Celle-ci est beaucoup plus importante que ce qui avait pu être décrit jusqu’à présent.
Mais ce n’est pas tout : « l’arbre des musiques » se superpose parfaitement à d’autres informations concernant les populations qui les jouent, et qui n’avaient pas été prises en compte pour sa construction. Ainsi, les premières branches de l’arbre distinguent les patrimoines musicaux issus des populations rentrant dans un système de filiation patrilinéaire de celles répondant à un système matrilinéaire. Cela montre que le système de filiation est un élément structurant extrêmement fort des patrimoines musicaux. Le second niveau des branches de l’arbre se superpose aux répartitions géographiques des différents groupes montrant que les populations cohabitant à l’heure actuelle ont un passé musical commun. Enfin, le troisième niveau est celui déterminé par des patrimoines musicaux détenus par des populations partageant le même ethnonyme, montrant ainsi que les appellations possèdent une valeur culturelle propre pour les populations qu'elles dénomment. En revanche, il n’existe aucune répartition des patrimoines en fonction du mode de vie des populations tels que agriculteurs vs. chasseurs-cueilleurs.
Arbre montrant les relations entre les patrimoines musicaux au Gabon
© Sylvie Le Bomin – Guillaume Lecointre / MNHN
En résumé, les innovations musicales produites par les populations pour se différencier les unes des autres présentent une importante cohérence ethnonymique et géographique. De plus, ces innovations sont subordonnées à des règles de la systématique musicale dont la nature dépend du système de filiation des populations considérées. Ceci souligne à quel point la transmission musicale est liée à la généalogie et donc à la transmission verticale à partir d’une ancestralité commune. «L’arbre des musiques » permet en outre de créer des catégories musicales cohérentes et de retrouver les caractères musicaux des ancêtres, ce qui constitue les suites prometteuses de cette recherche interdisciplinaire.
Référence : Le Bomin S, Lecointre G, Heyer E (2016)The Evolution of Musical Diversity: The Key Role of Vertical Transmission. PLoS ONE 11(3): e0151570.doi:10.1371/journal.pone.0151570